Livre lu dans le cadre de mon défi personnel de lectures 2024, avec l'objectif de compléter les collections de mes auteurs préférés et, ici,
Arnaldur Indridason.
C'est en effet pour moi le cinquième opus des "Enquêtes du commissaire Erlendur Sveinsson" que je lis (et aussi le 5e dans l'ordre de sa bibliographie) et je ne m'en lasse pas !
Dans cet opus publié en 2002 (et en 2007 pour sa version française), on retrouve Erlendur Sveinsson et son équipe (Sigurdur Oli et Elinborg) aux prises avec un meurtre étrange et glauque. A six jours de Noël, dans l'un des plus grands hôtels de Reykjavik (en Islande), le corps du portier et homme à tout faire de l'hôtel est retrouvé mortellement poignardé dans une espèce de cagibi qui, à la cave, lui servait de chambre, dans une posture pour le moins incongrue : il est assis sur son lit, vêtu d'un costume de
Père Noël (il devait participer à un goûter organisé pour les enfants des clients), pantalon et slip sur le bas des jambes, et le sexe encapuchonné d'un préservatif qui a, manifestement, servi. Pas de trace d'effraction, pas d'arme du crime, pas de vol manifeste... Encore un de ces crimes étranges qui se déroulent souvent sur le sol islandais.
Dès lors, la police investira les lieux - en faisant toutefois en sorte de rester la plus discrète possible, fêtes et touristes obligent - pour mener l'enquête. Qui est donc cet homme discret et sans histoire, dont on ne sait quasiment rien, que les membres du personnel ne semblent pas bien connaître ni vraiment apprécier (il travaille pourtant là depuis vingt ans), et dont la mort ne semble concerner personne, y compris le père et la soeur de la victime qui disent ne pas l'avoir vu depuis plus de trente ans ?
Dès lors, Erlendur Sveinsson n'aura de cesse de comprendre ce qui se cache derrière cette indifférence de tous, d'interroger témoins, collègues, clients, famille et d'ouvrir toutes pistes utiles pour faire la lumière sur cet événement. Pour plus de facilité et parce qu'il a du mal à vivre dans son chez lui où personne ne l'attend, le commissaire mènera l'enquête à partir d'une chambre d'hôtel dont on verra qu'elle n'est pas loin de ressembler au cagibi de la cave. Par un effet miroir inversé, on a le sentiment qu'au fur et à mesure que l'individu décédé passe de l'ombre de la cave à la lumière (n'était-il pas à douze ans un enfant-star destiné à une grande carrière lyrique ?) le commissaire, lui, fait tout pour se cacher et de la lumière et se réfugier
dans l'ombre protectrice et le froid de sa chambre, pour y retrouver ses démons et ses fantômes (en effet, il n'a jamais fait le deuil de son frère âgé de 8 ans à jamais disparu sans laisser de trace alors même qu'il était sous sa responsabilité).
Torturé par ce vécu et son impossibilité à le dépasser pour mener une vie sociale et affective "normale", Erlendur Sveinsson ne peut que comprendre l'extrême solitude vécue par sa victime et son incapacité manifeste à rebondir, professionnellement, socialement et affectivement, après qu'il eut si fortement déçu son père (qui plaçait en lui tous ses espoirs), comme lui-même a pu le faire après la disparition de son cadet.
En parallèle à cette enquête, on en suivra une autre : Elinborg tient régulièrement son supérieur au courant d'une garde à vue en cours d'un père soupçonné de faits de maltraitance et de violence à l'endroit de son fils qui a dû être hospitalisé. Les faits semblent établis, pourtant le père dément et l'enfant ne veut rien dire. Comment se sortir de cette impasse ?
De même, on suivra Erlendur dans ses difficiles relations avec sa fille Eva Lind, junkie qui cherche à sortir de la drogue et qui a bien du mal à s'y tenir, encore plus après sa fausse-couche liée à sa consommation. Comment faire le deuil de son enfant ? Comment surmonter la culpabilité ? Comment ne pas succomber à la tentation de replonger ? Telles sont les questions dont elle voudrait bien s'entretenir avec son père qui, accaparé par l'enquête et ses propres soucis, a bien du mal à être à son écoute.
Comme à son habitude, l'auteur offre donc à ses lecteurs un polar bien ficelé à la mode islandaise. L'intensité dramatique et le rythme vont crescendo au fur et à mesure que les jours s'égrènent et que l'on se rapproche de Noël (souvent un passage difficile chez certaines personnes). Mais au-delà du meurtre, de l'enquête et de sa résolution, c'est aussi pour
Indridason l'occasion d'évoquer la psychologie de personnages torturés, empêtrés dans leurs contradictions et leurs non-dits et différents thèmes de société auxquels manifestement il s'intéresse ou est sensible.
Ici, est évoquée principalement la question du star-système pour les enfants, s'agit-il d'un vrai choix lié à une passion ou d'une contrainte de loyauté familiale et comment fait-on pour vivre et survivre quand ça s'arrête ? Et accessoirement : la passion des collectionneurs, l'homosexualité, la pédophilie, la prostitution, la drogue et ses conséquences, le rejet familial, la maltraitance familiale.
Mon seul bémol est le suivant : Après cinq romans, j'aimerais tant pouvoir découvrir un autre aspect de la personnalité d'Erlendur. J'aspire à lui voir mettre un terme à son comportement autodestructeur et lui souhaite de parvenir enfin à construire ou à reconstruire des relations sociales (femmes, fille et fils, collègues) empreintes d'amour et de chaleur affective. Ma crainte serait de me lasser de sa sombritude...