Je montais, à ce moment-là, la colline de mon bonheur, et mon sang en ébullition me faisait vivre cent vies à la fois. Rien, de ce qui se passait autour de moi, ne m’était étranger, joie ou douleur. A la noce, comme à la dispute, oncle Anghel était présent. C’était moi qui buvais le premier et le dernier verre de vin, et c’est moi également qui tenais le dernier à la bataille !… Car – bon Dieu tout-puissant ! – il fait bon d’entendre ses tempes craquer sous le glouglou du « sang du Christ », descendant par notre « cheminée » en feu, comme il fait bon d’enfoncer les côtes d’un cynique qui te rit au nez.
J’ai voulu le bonheur complet, un bonheur facile, le contentement de la chair vaniteuse, orgueilleuse… Et pour l’avoir, je me suis débattu avidement. Vingt ans de lutte pour acquérir une femme belle qui s’endort en mangeant ; une maison prétentieuse qui brûle comme de la paille ; du bétail qui disparaît ; des enfants qui meurent ; de l’or qui attire les coups de matraque et une chemise propre qui est sale le lendemain.
C’est inutile d’accuser quelqu’un, ou d’accrocher son espoir à quelque chose : on est destiné au bonheur ou au malheur avant de sortir du ventre de sa mère. Heureux est celui qui sent le moins, ou qui ne sent rien. Le peu qu’il demande, l’existence le lui donne. Et malheureux est celui qui sent et qui veut : il n’a jamais assez.
Pour un homme à la pensée défaillante, il y avait de quoi mourir deux fois, puisque c’est par la pensée que l’on meurt. Quand la destruction approche, le cerveau fort s’oppose, lutte, engage une bataille avec la mort et, dans certaines circonstances, il écarte la fin pour un moment, il la retarde.
Ce n’était pas d’un cœur allègre qu’il allait voir l’homme au destin effrayant. Sa peur était plus violente que la nuit de Pâques, la nuit de la « réconciliation » des deux frères. Il avait le sentiment de comparaître devant un tribunal où son sort serait jugé, et d’où il sortirait condamné.