— Vous allez sacrifier votre jeunesse, vos goûts, votre existence, à un homme que vous n’aimez pas.
— Comment pouvez-vous affirmer cela ?
— Je le connais mieux que vous et je n’ai contre lui aucun grief personnel, mais il est de ces êtres qui prennent tout des autres et ne rendent rien : ce n’est pas le mari qu’il vous faut. A vous reviendront les charges matérielles et morales. Il a un don remarquable pour les éloigner de lui, les passer aux autres.
Maman est une femme adorable. Nous n’avons pas du tout les mêmes goûts. Je l’irrite souvent par mon manque de coquetterie. Son rêve serait de me voir devenir une jeune fille posée qui, sous sa direction, se transformerait en une excellente maîtresse de maison. Elle m’imagine mariée, avec de jolis enfants. Mon allure, comme mon travail de garçon, la navre. Je ne sais pas tenir une aiguille, les romans m’ennuient et les seuls livres auxquels je m’intéresse se rapportent aux chevaux et aux chiens.
Le hasard qui fait quelquefois bien les choses avait voulu que je ne sois jamais là quand il venait à la maison. Pour avoir été – oh ! très peu – camarades d’enfance, Régis et moi n’avons jamais eu d’affection l’un pour l’autre. Si nous avons caché à nos parents réciproques notre inimitié, nous nous sommes, au cours des moments qu’il nous fallait passer ensemble, copieusement détestés, voire même battus.
Ce que je détestais chez le jeune garçon qui avait été mon compagnon de jeux avait disparu chez l’homme. Il était fort, volontaire, intelligent, et pourtant il ne s’imposait pas à moi comme j’ai confusément souhaité que le fit l’être aimé, celui dont je partagerais l’existence.
Ce qui m’attirait en lui m’effrayait également et surtout cette séduction à laquelle je ne résistais pas. Pendant que nous nous regardions ainsi, j’avais la certitude de ne pas l’aimer et pourtant j’allais accepter de l’épouser. Je ne pouvais faire autrement.