Ce tome constitue une histoire complète et indépendante parue initialement en 2012, directement en format complet (même si elle est découpée en 5 épisodes).
Batman est installé devant son bat-ordinateur dans la Batcave ; il souffre d'une terrible céphalée. Derrière lui, Alfred Pennyworth, toujours prévenant, lui propose de quoi faire passer sa migraine. La veille, Bruce Wayne assistait à une réception de la juge Rosalyn Hart, pendant laquelle un prestidigitateur a effectué des numéros déconcertants. le journal du jour annonce le meurtre de Dunphrey Tweedle dont la police a retrouvé le cadavre dans sa baignoire. Cet homme politique avait également participé à la réception du juge. Soudainement Batman voit passer un lapin blanc en redingote tenant un parapluie et une montre à gousset : il est en retard. Tout aussi soudainement le lapin disparaît par un siphon de sol et une jeune fille prénommée Celia (une ancienne camarade de jeu du Bruce Wayne, jeune enfant) apparaît sous les yeux de Batman. Alfred n'a rien vu de tout ça. Batman dévisse la grille du siphon et descend dans les égouts à la suite du lapin blanc prénommé Claude. C'est un Batman très désorienté qui va devoir assembler les pièces du puzzle.
Il s'agit du troisième projet successif en l'espace d'un an de
Sam Kieth pour DC Comics, après une aventure de
Lobo (Highway to Hell, écrite par
Scott Ian, bassiste d'Anthrax ) et une histoire se déroulant dans l'asile d'Arkham (Madness, scénario de
Sam Kieth). Pour cette histoire, Kieth a fait appel à un scénariste chevronné, aussi bien réputé pour son travail sur les superhéros (par exemple Hulk dans Return of the Monster) que pour des histoires indépendantes (par exemple Somerset Holmes).
La présence de Dick
Grayson et le manque de précautions de Batman vis-à-vis de Jervis Tetch conduisent le lecteur à supposer que
Bruce Jones raconte la première rencontre entre Batman et le Mad Hatter. le récit se situe donc vers le début de la carrière de Batman, après l'enrôlement de Dick
Grayson. Afin d'offrir un écrin permettant de briller aux illustrations peu conventionnelles de Kieth,
Bruce Jones raconte l'histoire de manière subjective, du point de vue de Batman dont l'esprit est fortement altéré. Tout ce qu'il perçoit est sujet à caution et il subit un phénomène de distorsion qui lui fait voir un lapin blanc, une petite fille habillée d'une mignonne robe bleue, d'un joli tablier blanc et auréolée d'une magnifique chevelure blonde.
Bruce Jones n'est pas né de la dernière pluie et il fait reposer ces hallucinations sur un scénario solide, même si la trame est très classique, voire convenue une fois que le lecteur fait la transposition entre ce que perçoit Batman et ce qui se passe réellement.
Donc le principal intérêt de ce récit réside dans la manière dont
Sam Kieth effectue l'amalgame entre le monde de Batman et celui d'
Alice de l'autre côté du miroir de
Lewis Caroll. Les premières pages donnent le ton. Kieth dessine un Batman massif avec les oreilles de sa cagoule très allongées, comme à son habitude. Il tord légèrement la perspective pour la rendre convexe. Dès la deuxième page, les décors ont disparu ; ils ne reviennent qu'en début de chaque nouvelle scène pour donner une impression de l'endroit.
Tout au long des pages,
Sam Kieth s'amuse à jouer avec plusieurs registres graphiques qui vont du dessin avec une précision quasi photographique pour un visage, à une vague esquisse ressemblant à gribouillis d'enfant en maternelle, du superhéros bodybuildé au-delà du possible (étonnante interprétation de Robin) au personnage déformé de dessin animé pour enfant (Jimmie Cheshire et ses bras en arc de cercle), du vêtement réaliste (la casquette de Sherlock Holmes, à l'exagération symbolique (la longueur de la cape de Batman). Souvent plusieurs styles se côtoient (ou s'affrontent) dans la même case.
Prises une par une, certaines illustrations sont renversantes et traduisent à la perfection le trouble de la perception dont Batman est affecté. Mais au fur et à mesure de la progression de l'intrigue, le lecteur finit par se désintéresser de ces dessins qui ne provoquent pas l'immersion attendue, et par le scénario un peu trop prévisible. À force de traiter les décors comme quantité négligeable,
Sam Kieth finit par esquisser n'importe quoi sans souci de cohérence, ou même de consistance. le summum est atteint pour le combat final qui s'effectue sur une passerelle sans rien qui la rattache à l'hypothétique immeuble en cours de construction où elle se situe. La réalité physique est pratiquement absente alors que Batman a regagné sa prise sur elle. L'autre déception provient d'une interprétation visuelle d'Alice trop proche de celle du dessin animé de
Walt Disney. Enfin
Bruce Jones se sert de la perception altérée de Bruce Wayne pour glisser une ou deux facilités scénaristiques en attirant bien l'attention du lecteur dessus : regardez Batman se sort de ses entraves en faisant une chose impossible dans la réalité, mais acceptable parce qu'il délire. Au fur et à mesure de l'enquête, le lecteur a du mal à croire que le cerveau de Bruce Wayne puisse détecter les indices les plus ténus, sans réussir à comprendre le rôle du Mad Hatter.
Finalement l'association de
Bruce Jones et
Sam Kieth débouche sur une histoire un peu facile dont les illustrations finissent par former une suite de dessins intéressant, mais sans vue d'ensemble réfléchie, sans réelle progression, parfois plus bâclées qu'artistiques, sur un scénario très classique (une fois débarrassé de l'apparence débridée des dessins). Espérons que l'association suivante de
Sam Kieth sera plus réussie : Night, Again avec
Joe R. Lansdale (dans la série de "30 days of night").