Un réalisme terrifiant
Un livre qui fait froid dans le dos ! Et pourtant ce n'est pas un polar, ni même un thriller, juste un roman qui s'appuie sur la réalité la plus réelle, celle qui nous entoure ou dont nous entendons parler tous les jours.
Et c'est justement ce qui est effrayant : c'est que
Thierry Jonquet reprend très exactement les faits divers du Journal Télévisé. Les noms, les lieux, les faits, tout est vrai ou plausible ! le collège de banlieue, les profs qui n'en peuvent plus, le proviseur qui se défile, les élèves intenables, les locataires excédés, les fics découragés, les parents dépassés, les salafistes qui s'infiltrent partout, les dealers qui s'entretuent, les médecins débordés et les politiques qui promettent et ne font pas… c'est la stricte vérité !
Ce que T. Jonquet nous montre bien, c'est que les collèges sont la caisse de résonnance de tous les problèmes de guerre et de fanatisme de notre monde. Livrés à eux-mêmes, les gamins répercutent et amplifient les violences, notamment les tensions du Moyen Orient, sans rien y comprendre. Ils tombent sous toutes les influences, et sont manipulés sans le savoir.
Des procédés d'écriture maîtrisés.
T. Jonquet met en place des personnages attachants et des situations poignantes. Sans effets de manche, avec une simplicité percutante, il va droit au but, appuie là où ça fait mal, dénonce crûment et cruellement, sans prendre parti ni se voiler la face.
Sa technique : nous placer successivement dans la conscience de quelques personnages clés (Anna, Lakdar, Adrien, le procureur…). Il nous fait ainsi vivre de l'intérieur la logique de ses héros, leur façon de penser et de s'exprimer (le style, le vocabulaire et la syntaxe, changent par exemple totalement lorsqu'on est dans l'optique de la prof ou dans celui d'un ado). le réalisme est bien sûr accru par ces focalisations internes successives.
A part cela, pas de quoi se perdre pour le lecteur : le récit suit un ordre chronologique. Pas le temps de s'ennuyer non plus : le rythme est vif, les actions nombreuses, on tourne les pages avec fébrilité et effroi, et la tension va montant jusqu'à la fin.
Beaucoup de qualités donc pour ce roman très marquant.
Trop noir ?
Son seul défaut est sans doute d'être si noir, de cumuler tant d'horreur. Par exemple, fallait-il vraiment ajouter l'histoire de cet ado schizophrène qui finit par décapiter sa voisine ? C'est un peu « hors sujet », non ? même si l'histoire des photos qui circulent est, elle aussi, bien d'actualité !
Mais dans ce livre, tout est désespérant, et l'auteur ne nous propose pas la moindre solution. Tout au plus accepte-t-il de laisser un point d'interrogation sur le sort d'Anna qui avoue son origine juive à ses élèves (mais on imagine sans peine ce qui va lui arriver), et accorde-t-il à Lakdar un sursaut d'humanité lorsqu'il comprend que le petit « feuj » « prie son Dieu ». C'est peu, et il faut nous contenter de ça…
En choisissant comme titre un alexandrin de
Victor Hugo,
Thierry Jonquet se place dans la lignée humaniste de l'auteur des Misérables. le poème qu'il cite est d'ailleurs superbe.
Mais
Victor Hugo, lui, au XIXe siècle, proposait des solutions : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ». Et il avait raison.
Le problème, c'est qu'au XXIe s nous avons bien des écoles… Mais lesquelles ? Avec quels moyens ? Quelle formation pour les profs ? Pour enseigner quoi ? Et comment ? Comment redonner de l'espoir à ces milliers de jeunes promis au chômage et à l'exclusion ? Comment faire pour, sinon résoudre, du moins améliorer, le problème de nos banlieues ravagées par le communautarisme et le fanatisme religieux ?
Personnellement, je reste sans voix. Qui a des idées ???