Cette femme en contre-jour c'est
Vivian Maier (1er février 1926-21 avril 2009) nounou-photographe.
Sa vie aurait pu se résumer à cette seule phrase, deux dates, une fonction et l'oubli au bout de la route…
Il en a fallu des hasards et de l'opiniâtreté pour la sortir de l'ombre.
« Sous le ciel blanc de ces derniers jours de décembre, les goélands argentés et les canards cisaillent l'air en piaillant au-dessus du lac Michigan gelé. Une femme âgée, très âgée, les suit du regard. Elle est sortie malgré le froid, malgré la neige qui enserre la ville dans son emprise depuis de longues semaines. Elle est venue s'asseoir, comme chaque jour, sur ce banc, son banc, face au lac. Pas trop longtemps, impossible de rester immobile par un tel froid. Ses pensées sont emmêlées, agitées comme le vol des oiseaux au-dessus du lac gelé qui cherchent des eaux encore libres de glace. Ce lac, comme une mer. On ne voit pas l'autre rive. Et si c'était la mer ? Peut-être le souvenir de quelques bateaux lui revient-il fugitivement en mémoire. Mais comment savoir, car tout vacille. »
Dans ces quelques lignes, tout est là, sous nos yeux, le drame de la vieillesse et de la solitude.
L'histoire d'une petite fille née au mauvais moment, au mauvais endroit, une vie diffractée pour toujours.
Bien sûr il y a eu, heureusement, sa grand-mère maternelle, la courageuse Eugénie, les amies de cette dernière Jeanne Bertrand, photographe et Berthe Lindenberger.
Le lecteur ne peut que dire merci aux trois frères Gensburg, dont elle s'est occupée durant 17 années, sûrement les plus belles de sa vie et qui ne l'ont pas oubliée. Ils l'ont sauvée de la rue, de la misère de la vieillesse alliée à la pauvreté. Elle a eu un toit et une fin de vie digne.
Puis le hasard nous offre à nous le privilège de découvrir son oeuvre, car il s'agit bien de cela, l'oeuvre d'une vie grâce à
John Maloof.
Issue d'une famille dysfonctionnelle,
Vivian Maier s'est tenu à l'écart de tout vie familiale et sociale, par peur de reproduire ?
On ne le saura jamais, mais elle a passé sa vie à photographier les gens en marge, les exclus, les oubliés au bord de la vie. Elle a mis des visages sur ce monde-là, encore et toujours comme une antienne.
Gaëlle Josse a su nous dire la vie de
Vivian Maier, vie en ombres chinoises, elle révèle mais n'interprète pas.
Comme son modèle, avec son art des mots elle fige des moments pour faire émerger cette existence, sans envelopper ou adoucir.
Elle conte l'envers du rêve américain, dont
Vivian Maier est un maillon, comme ceux qu'elle a immortalisé sur ces milliers de photos.
Une énigme, sans aucun doute.
Une fois de plus je suis éblouie par l'art des mots que sait si bien façonner
Gaëlle Josse. Une écriture qui se reconnaît d'emblée. Un regard en mots. Des textes courts mais dont jamais en refermant un livre, le lecteur ne ressent le manque. A une époque où les auteurs étirent leur récit, cette économie de mots est salutaire.
Car il en faut du talent pour faire ressortir l'essentiel, le vital dans un récit sans délayer, savoir le mot juste à sa juste place. Un art qui s'apparente à celui de la photographe
Vivian Maier.
En refermant ce livre la lectrice que je suis est émue et troublée, elle se dit que ces deux femmes se sont rencontrées, par-delà l'infini.
«
Vivian Maier, originaire de France et fière de l'être, résidant à Chicago de puis cinquante ans, est morte paisiblement lundi. Seconde mère de John, Lane et Matthew. Cet esprit libre a apporté une touche de magie dans la vie de tous ceux qui l'ont connue. Toujours prête à donner un conseil, à exprimer ses opinions ou à tendre une main secourable. Critique de cinéma et photographe extraordinaire. Cette personne vraiment unique nous manquera beaucoup, mais nous nous souviendrons toujours de sa longue et formidable vie. » Signé les frères Gensburg.
Vivian Maier est vivante.
Un libre bouleversant par l'histoire qu'il raconte mais surtout par la forme donnée par l'auteur, le choix des mots, les scènes révélées, les morceaux de vie qui resteront toujours dans l'ombre, les pourquoi qui resteront sans réponse. Une vie en noir et blanc.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 28 juillet 2019.