Et nous vivrons sous le silence de la neige…
…Des arbres, des enfants naîtront de cette mort,
d’autres mains dénouées de l’herbe de nos mains,
des ailes bougeront entre nos bras déserts.
Nous verrons s’effacer, très loin sous nos fenêtres,
de petits gestes gris, des yeux bavards,
des ombres bues par de paisibles craies.
Nous les dirons de pluie, de feuilles, de passage :
rosées de sueur des terres maternelles,
ordres léger, cendre de nuit – si peu.
Dans le froid lumineux, nous survivrons longtemps
à nos désirs – siècles, années, secondes –
sous le regard figé de l’oiseau blanc.
Comment te repousser, lumière noire...
Comment te repousser, lumière noire
qui monte en nos vergers
si faussement complices du carnage ?
Nous devisons de neige, de clarté.
Pourtant l'intruse pétrifie. L'orfraie
se fige à la plus sèche branche,
le fruit se fend avec un bruit de mort.
Un mot à dire encore, une question
posée dans la nuit d'une chambre
par la servante jeune
qui déjà s'éloigne entre les murs,
et notre main levée, traçant un signe obscur
et la pluie suspendue qui nous effacera.
Ébranche ton orgueil…
Ébranche ton orgueil, réduis le geste, ne t'emploie
qu'au brisement des terres les plus noires
et n'oublie pas d'enclore, d'irriguer.
Que ta main fasse vœu de connivence,
que la racine ait ta complicité
et le feuillage aux cimes ta louange.
Ta pauvreté se vêt de transparence,
ton ombre suit l'ombre de toute sève.
Muet, tu cries. Pesant, tu te délivres.
Seul, te voici de ruches habité.
Tu tiens au doigt la lumière du monde.
PIERRE LEVÉES SUR LES JARDINS DE SABLE
Extrait 4
Sept pierres levées,
sept : les livres l'affirment.
Pourtant, où que tu sois, tu n'en vois que six.
L'une t'échappe tour à tour, la septième.
Les six pierres sont belles mais tu ne peux cesser de croire que
la grande beauté serait de sept pierres.
La septième t'occupe. Bientôt ta vie va en dépendre.
Prétexte infini à rêver et à souffrir.
L'ange de verre est descendu...
L'ange de verre est descendu, l'oiseau
géant, la sentinelle des brouillards,
et le sommeil d'amour en fut voilé,
l'ombre de l'aile troublant l'eau
des seins légers sur le sable entrouvert.
Insaisissable cri sur une bouche où rage
la tempête de plumes, et déjà voici l'heure
et la rosée pesante où se séparent
jour et nuit, chair et cristal.
Un soleil bleu s'accroît. L'ange de verre
emplit les chambres nues, griffes serrées
sur les épaules des amants qui se délient.
Dans le jardin, rampe sur les terrasses,
comme un grand félin noir, échevelé,
l'odeur très pourrissante de l'automne.
Poèmes de Jean Joubert, extraits de "Longtemps j'ai courtisé la nuit", et de Jean-Marie Berthier, extraits de "Ne te retourne plus".