Quand a lieu LA rencontre : LA rencontre entre un livre et un lecteur. J'ai ouvert
Lambeaux un soir de tristesse et ne l'ai plus quitté pendant quarante-huit heures et aussi surprenant que cela puisse paraître tant ce récit est violent, il a fait renaître en moi une force qui était en train de me quitter insidieusement.
J'ai d'abord été bouleversée par le destin de la première femme, la mère biologique de
Charles Juliet, celle qu'il n'a pas connu. Cette femme si belle et son si bel amour des mots, son amour instinctif de la littérature, de la culture qu'elle a à jamais réprimé, qu'elle n'a jamais pu exprimer parce que cela ne se faisait pas dans son milieu. Il raconte la jeunesse, l'adolescence, la vie en couple de cette femme : aînée de la famille, elle devra s'occuper de ses soeurs, de la maison, de la ferme. Elle ira à l'école mais malgré les excellents résultats obtenus, elle n'aura pas le droit d'aller au-delà du certificat d'études. Et là sera sans doute le point d'ancrage de sa douloureuse descente aux enfers. Elle passera sa vie à ne se parler qu'à elle-même, esseulée, sentant un peu plus fort, année après année, sa différence. L'arrivée trop rapprochée de ses quatre enfants ne fera qu'accélérer sa détresse intérieure, sa souffrance inguérissable, jusqu'à sa fin de vie tragique. Bouleversée aussi par la manière qu'a
Charles Juliet de s'adresser à elle. Ce lien invisible entre ces deux êtres et la force du « TU », le fait qu'il s'adresse à elle alors même qu'il ne l'a connue que quelques mois. Oui, cette première partie fut un véritable bouleversement pour moi.
Et puis, arrive le récit de sa propre enfance entouré de sa mère adoptive et de sa famille, une paysanne elle aussi mais une terrienne. Et c'est avec tout autant de douceur, de respect qu'il décrira cette femme qui l'a aimé comme s'il était le fruit de ses entrailles, cette femme qui lui a permis de tenir, malgré l'absence de sa mère biologique, malgré les idées noires, malgré la quête interminable de soi… Et qui lui a donné assez de force pour ne pas être détruit par ses études dans une école militaire particulièrement stricte et violente. Là encore le « TU » donne tout son sens à ce texte d'une poésie et d'une finesse incroyables. le « TU » qui évoque l'introspection puisque dans cette deuxième partie,
Charles Juliet ne s'adresse non pas à sa mère adoptive mais à lui-même… Cette deuxième personne du singulier sert surtout de catalyseur –d'après moi- à ces multiples sentiments contradictoires qui traversent le lecteur. Parce que nous nous retrouvons non seulement face à la quête intime de
Charles Juliet mais aussi face à nos propres démons, nos propres douleurs, notre propre histoire familiale avec ces questions récurrentes (pour ne pas dire permanentes) : comment être ? Comment se libérer de ses carcans, quels qu'ils soient ? Comment s'autoriser à vivre, à faire ce qui est nécessaire à notre essor ?
Je reste bouche bée devant une telle qualité littéraire, je reste sans voix devant cette façon si belle qu'a
Charles Juliet de se parler à lui-même tout en parlant à chacun de nous, devant sa capacité à pénétrer l'âme de l'être humain avec une telle acuité.
Je reste ébahie devant cette Rencontre littéraire. Révélation.
Lien :
https://unbouquindanslapoche..