Pour quelle raison les philosophes des Lumières qui étaient si critiques envers la monarchie étaient-ils si enthousiastes envers le tsarisme de Pierre le Grand ou de Catherine II ? Pourquoi Fontenelle et Voltaire écrivent-ils les éloges de Pierre Ier et Diderot se rend-il à Saint-Pétersbourg chez Catherine II ? En quoi ces régimes leur paraissaient-ils plus favorables ou dignes d'éloges que celui de Louis XV ? En référence aux "villages Potemkine", on a souvent parlé du "mirage" russe. Mais qui a créé l'illusion et qui en est la dupe ? Voici les questions que posent les textes rassemblés dans ce recueil très précis et très documenté : on y apprend que Voltaire avait beaucoup lu et s'était fortement renseigné avant d'écrire son "Histoire de la Russie de Pierre le Grand" et comment Diderot avait préparé méticuleusement son voyage chez l'impératrice. On y lit aussi les commentaires moins favorables de l'abbé Chappe d'Auteroche sur la Sibérie et la réplique virulente qui lui est opposée dans "l'antidote"... Mais si des opinions défavorables étaient exprimées si vivement, la question reste posée : pourquoi des éminences grises ont choisi de ne pas en tenir compte ?
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"Vous voulez civiliser vos peuples, leur inspirer le goût des lettres, la passion des beaux-arts, mais vos commencez votre édifice par le faîte en appelant auprès de vous des hommes de génie de toutes les contrées. Que produiront ces rares plantes exotiques ? Rien. Elles périront dans le pays comme des plantes étrangères périssent dans nos serres […] C’est qu’en tout il faut commencer par le commencement, et que le commencement,c’est de mettre en vigueur des arts mécaniques et les conditions basses. Sachez cultiver la terre, travailler les peaux, fabriquer des laines, faire des souliers, et avec le temps, sans que vous vous en mêliez, on fera chez vous des tableaux et des statues, parce que de ces conditions basses il s’élèvera des maisons riches et des familles nombreuses."
Diderot - 1772
"J'étois parti de France d'après la demande que l'Académie de Saint-Pétersbourg avoit faite à celle de Paris, d'envoyer un de ses membres en Sibérie."
Chappe d'Auteroche - 1768
"Saint-Pétersbourg est une grande fenêtre ouverte depuis peu dans le Nord et par laquelle la Russie regarde en Europe."
Francesco Algarotti - 1739
"
Que tout charme en ces lieux le citoyen qui pense,
La Raison sur le trône illustre la puissance ;
On voit de toutes parts des travaux imposatnts,
D’une gloire immortelleaugustes monuments.
Minerve anime tout ; elle embellit nos villes ;
Au pauvre, à l’orphelin elle ouvre des asiles ;
Elle sait retrancher les abus odieux,
Rend un sceptre adorable et cent peuples heureux ;
Et promulguant des Lois dignes de la Sagesse,
Elle honore le zèle et flétrit la paresse.
Ee parle : à sa voix notre aigle déchaîné
Plane sur les Etats de Neptune étonné,
Et sur des bords lointains, en sa noble assurance,
Montre son Equité, sa Force et sa Prudence.
O Destins fortunés ! temps brillants ! jours fameux !
Ils seront enviés par nos derniers neveux.
Le bonheur coule ici d’une source divine :
Tel fut Titus dans Rome, et telle est Catherine.
"
Andreï Chouvalov - 1782
"[Catherine II] a porté les premiers coups au clergé. Elle veut diminuer les forces de la noblesse et celle du militaire, en tant qu'elles peuvent être nuisibles au repos et à la sûreté du souverain. Elle veut réduite l'esclavage et former un tiers-état qui formera les négociants et les artistes ; elle veut augmenter les revenus impériaux et mettre dans ses finances un ordre et une administration que l'on n' connaissait pas [Si son règne dure suffisamment longtemps, la Russie deviendra] un des puissances les plus considérables d'Europe."
Ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg - 1765