Que savons-nous du Japon au fond, nous-autres occidentaux qu'ils surnommaient « les longs nez » ? Peu de régions ont vu fleurir une culture aussi riche sur un territoire aussi petit. Et il n'y a que dans ces petits recueils de
nouvelles aussi discrètes qu'élégantes et subtiles que j'ai l'impression de voir sa civilisation se dévoiler un peu.
Il y en a cinq et la première est, de loin, la plus accessible. Dans les années 1920, un étudiant part en voyage à travers un Japon en pleine mutation, où traditions et modernité coexistent de manière fluide. En cours de route, il rencontre une troupe de baladins, et décide d'effectuer un bout de chemin avec eux. Bien vite il éprouve une attirance – visiblement partagée – pour la plus jeune de la troupe, une adolescente d'une quinzaine d'années. Mais les histoires d'amours, dans le Japon traditionnel et à dire vrai dans une vie ordinaire, ne finissent pas sur une scène de balcon et du poison. Plutôt sur quelques mots maladroits, un regard furtivement jeté en arrière, et un bateau ou un train qui s'éloigne…
On réalise que les Japonais gravissaient les cols de leur fort montagneux archipel en portant VRAIMENT leurs malcommodes kimonos et leurs invraisemblables socques en bois ressemblant à de micros-échasses. Ça vous forge le caractère d'un peuple, ça. On apprécie également l'épaisseur des frontières sociales, dans le respect que les baladins témoignent à cet étudiant n'ayant que quelques sous vaillants de plus qu'eux. Même s'il est tout en bas de sa classe sociale et eux plutôt en haut de la leur, il vient d'un monde supérieur. Lamartine peut fantasmer sur l'amour entre un jeune aristocrate et une fille de pêcheur ; mais un mur invisible et impénétrable sépare un étudiant japonais pauvre d'une danseuse.
Musset n'aurait pas pu écrire au Japon.
Les quatre autres
nouvelles ne se laissent pas pénétrer aussi facilement. Dans le Japon ruiné de l'immédiat après-guerre, un homme retrouve son ancien amour, dont l'existence semble plus que précaire. Une jeune mariée ne peut oublier son précédent mari, mort de tuberculose, et qui passa les dernières années de sa vie alité en contemplant le monde extérieur grâce à un petit miroir. Une jeune femme, dans une longue lettre, s'adresse à l'homme qu'elle aimait, qui l'a abandonnée pour une autre et vient de décéder, et lui avoue son don de prémonition. Un collectionneur d'oiseau, esthète riche, oisif et misanthrope, perd ses petits protégés à un rythme régulier, mais ils sont la seule chose qui l'intéresse en ce monde…
Çà et là, des réflexions jaillissent. Une apologie de la métempsychose par rapport au concept abrahamique de vie après la mort ; des coutumes, des attitudes faces à la mort… Mais pour une que j'attrape au vol, combien m'échappent !