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Citations sur Les pissenlits (43)

Elle ôta sa ceinture, plia sa veste et son kimono. Malgré la discrétion avec laquelle elle s'efforçait de ranger ses vêtements, elle songea que Hisano devait l'entendre. Cette pensée la rendit un peu maladroite.
Elle hésita. Ôterait-elle le jupon qu'elle portait sous sa robe de dessous, ou le garderait-elle pour enfiler par-dessus le yukata en coton de l'auberge ? Quand elle était chez elle, elle l'enlevait. C'était son habitude. Par ailleurs, il lui arrivait rarement de dormir dans une auberge.
Peu importe. Ce n'est pas le moment de me soucier de ces choses, songea-t-elle en murmurant indistinctement : " A mon âge."
Même si, de l'autre côté du fusuma, il y a un jeune homme, c'est l'amant de ma fille. D'ailleurs, Ineko seule emplit son coeur et l'enfièvre. Moi, il ne me considère même pas comme une femme. Il ne me considère pas comme une femme ? Comment est-ce que j'ose me parler ainsi ? Je ne serais pas un peu dérangée ? pensa-t-elle.
Elle n'aurait dû avoir aucune raison de prendre en considération la présence de Hisano pour décider si elle enlèverait ou non son jupon. Ikuta avait beau être une ville au climat doux où les pissenlits fleurissaient en plein hiver, si elle voulait se prémunir de la fraîcheur de la nuit sur ces bords de mer, il lui fallait garder son jupon. Le yukata de l'auberge lui parut vieux, quoique propre et empesé, et elle ne voulut pas en éprouver le contact direct sur son ventre et ses cuisses. C'est ce qu'elle ressentit soudain. A imaginer cette sensation, elle eut envie de contempler la soie blanche qui la couvrait des hanches aux genoux. Comme la blancheur de l'étoffe avait tendance à se salir facilement, surtout en bas, elle veillait toujours à en changer très souvent. Elle estimait que c'était là l'un de ses rares luxes dans sa vie frugale. En de rares occasions, il lui arrivait pourtant de se demander si cette couleur blanche n'était pas justement la couleur qui lui était propre ─ celle d'une veuve, bien éloignée d'aguicher un homme.
Elle se contenta de relâcher un peu le cordon du jupon pour se mettre à l'aise. C'était sans doute à cause de la présence d'un jeune homme de l'autre côté du fusuma et de la vétusté du yukata de l'auberge qu'elle avait hésité à enlever son sous-vêtement. Mais quand elle abaissa les yeux sur la rondeur de ses genoux moulés dans la soie blanche, elle se rappela son défunt époux, Kizaki. Son image lui revint à l'esprit à la manière d'une flamme vacillante.
"La femme de quarante ans fera tout pour toi. Mais la femme de vingt ans ne fera rien."
Elle entendit clairement la voix de Kizaki qui énonçait ces phrases. Elle avait oublié le titre de l'oeuvre traduite que Kizaki lisait alors. Quand il était tombé sur ce passage, il l'avait appelée. "Viens, écoute ! " et il le lui avait lu.
"C'est de Balzac. Balzac", avait répété Kizaki.
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"Mère, s'écria Hisano, j'ai envie de retourner à l'hôpital pour voir cet arbre. Si je rentre sans l'avoir vu, j'en resterai préoccupé. Cela m'angoisse, ce souci de quelque chose que je n'ai pas vu. Je fais un saut et je serai à l'heure pour le train.
- Cet arbre demeurera tel qu'il est jusqu'à votre prochaine visite, répondit la mère. Il sera toujours là. A jamais. Même après qu'Ineko aura guéri et qu'elle aura quitté l'hôpital.
- Si j'avais votre autorisation et celle de l'hôpital, je voudrais me marier avec Ineko, même à l'asile des fous. Oh, pardon, je voulais dire, je voudrais la soigner, être à ses côtés.
- C'est hors de question, monsieur Hisano.
- Je me suis laissé amadouer, je n'ai pas réussi à vous tenir tête et finalement j'ai accepté de confier Ineko à la garde de l'hôpital psychiatrique. Vous allez penser que je rabâche...je peux comprendre pourtant que vous ayez reporté notre mariage. Même si ce n'est, en réalité, qu'une crainte imaginaire de la part d'une mère. Tout de même, c'est incroyable que vous ayez pu vous en séparer ! La laisser toute seule dans un hôpital psychiatrique ! Un asile de fous, c'est le fond d'un abîme où se déposent les substances toxiques du coeur humain et où elles entrent en effervescence. Tous ces poisons vont corroder Ineko. Mère, et si les fous se montraient violents et en venaient à blesser Ineko, notre bijou ?
- Qu'est-ce que vous racontez ? coupa la mère. Il y a de la discipline. Et aussi des grillages à l'hôpital.
- Mais c'est vous qui m'avez affirmé que le grand arbre était en pleurs, blessé par les fous. C'est vous qui m'avez dit qu'ils pourraient l'abattre et se transformer en émeutiers...". Hisano fixait le visage de la mère. "Décidément, cet arbre est Ineko, n'est-ce pas ? L'arbre qui vous a paru verser des larmes...
- Les larmes de l'arbre sont les larmes de l'arbre. Ineko n'a pas pleuré.
- Non, elle a simplement dit qu'elle guérirait et rentrerait rapidement...Les larmes de ses yeux se déversaient dans son coeur." Hisano se retourna de nouveau. "Je peux voir la colline de l'hôpital mais pas Ineko. Se trouve-t-elle vraiment au sein de ces bosquets, parmi les fous ? Je veux retourner à l'hôpital pour m'en assurer.
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Alors que la mère s'apprêtait à traverser le petit pont recouvert de terre battue qui menait vers le bourg, elle poussa un "Oh !" d'étonnement. Elle avait croisé un jeune garçon qui lui évoquait un pissenlit d'un jaune vif et intense. Elle se retourna. Hisano en fit autant. "Ce garçon est-il vraiment un humain ? murmura-t-elle.
- Qu'est-ce que vous dites ? répliqua Hisano, surpris.
- Dans une ville comme Ikuta, n'y aurait-il pas des elfes ? Avez-vous pu voir les traits de son visage ?
- Vous plaisantez ! Il portait un habit d'écolier normal et il était très correctement chaussé.
- Je voudrais le subtiliser et le ramener à la maison", dit la mère en suivant du regard le garçon vers l'amont. "Ce qui pourrait être qualifié d'enlèvement.
- Evidemment. Et puis, un garçon de son âge, qui a l'air intelligent par ailleurs, comment se laisserait-il enlever ?
- Et si je l'adoptais ?
- L'adoption, c'est tout à fait autre chose.
L'affaire pourrait se conclure, d'une manière ou d'une autre", répondit Hisano d'un air soupçonneux en la regardant. "Mais qu'est-ce qui vous prend soudainement ? Vous avez Ineko...Quant à moi, cela ne me dérangera pas de vivre en votre compagnie lorsque je serai marié avec Ineko.
- Brusquement, je me sens seule. Ce garçon est sûrement un génie du ruisseau ou de la mer qui m'a inoculé la solitude."
Hisano ne comprenait pas ce qu'éprouvait la mère. Mais il n'avait pas l'intention de l'affronter. Il se dit qu'une nuit de sommeil à l'auberge l'apaiserait. Sous des sourcils bien dessinés, cet adolescent avait des prunelles si diaphanes qu'elles absorbaient toute chose. Des lèvres si pures, qu'à peine effleurées, elles semblaient pouvoir essuyer les souffrances et les maux de la vie. Quant à sa voix, probablement possédait-elle une beauté émouvante à la manière d'un chant sacré.
Pourtant Hisano se rendit compte que si la mère d'Ineko était tant attirée par un jeune garçon qu'elle avait tout juste croisé sur la rive, c'est parce qu'elle éprouvait une solitude, une tristesse indicibles qui le touchèrent profondément. Il comprit pour la première fois qu'il pensait tellement à Ineko et seulement à elle qu'il ne prenait pas beaucoup sa mère en considération. Il s'interrogea. Ne songeait-il à la mère qu'au travers d'Ineko ?
"Cela me serait égal que ce garçon soit un elfe. Depuis les temps les plus anciens, il y a eu de très nombreuses histoires d'amour avec des esprits. Mais de nos jours, il n'est pas fréquent simplement d'en rencontrer un. Avez-vous vraiment pu le voir, monsieur Hisano ? interrogea la mère.
- Bien sûr que oui. C'était un écolier ou un jeune collégien", répondit-il.
Il se demanda si la mère ─ à l'instar de sa fille ─ n'avait pas le cerveau un peu détraqué.
"Aviez-vous du goût pour les jolis garçons ? la taquina-t-il.
- Mais non, voyons ! Je déteste les enfants, filles ou garçons, depuis toujours", répliqua-t-elle en grimaçant.
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J'ai l'impression que lorsqu'un être humain est terrassé par un évènement affreux, il n'a d'autre choix que de marcher sur son chemin tout droit, avec ardeur, les cheveux en désordre.
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Cette cécité devant le corps humain, n'est-ce pas une maladie qui fait qu'on refuse de voir une partie de soi-même, une partie de celui ou de celle qu'on aime, une partie de sa vie ?
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Tout comme les vibrations de la cloche du Jôkô-ji qui coulent dans le vide.
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Le sable à l’embouchure de la rivière reflétait déjà les lueurs du couchant hivernal. La volée d’oiseaux muets avait disparu. Sur l’horizon aux teintes gris clair, était-ce le ciel qui tombait ou l’eau paisible qui gonflait et remontait ? La frontière entre ciel et mer se confondait dans une brume garance.
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Les relations que les hommes et les femmes ont nouées datent d'avant la naissance du langage. Ensuite, une fois que les langues eurent fait leur apparition, le vocabulaire en rapport avec ce lien homme-femme évolua et se perfectionna. Sans doute se fit-il de plus en plus subtil et précis. Mais les mots ne sont que des mots, après tout. Même s'ils ont rendu l'amour plus riche et plus complexe, en l'ornant d'une apparence éphémère et en l'enivrant d'une exaltation artificielle, ils sont aussi bien souvent à l'origine de sa disparition. En même temps que l'évolution de la langue devenait l'alliée de l'amour entre hommes et femmes, elle se transformait en son ennemie. L'amour ne demeure-t-il pas à une profondeur mystérieuse, hors d'atteinte des mots, aujourd'hui encore ? Prétendre que les mots d'amour sont des stimulants ou des drogues serait trop dire. Comme ce n'est pas l'amour, dans son principe vital, qui a fait que les hommes ont créé les mots d'amour, ceux-ci ne sont pas non plus à même d'en faire surgir la vie dans son principe fondamental.
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Ah, c’était tellement amusant, ce débit précipité dès ton retour de l’école ! C’était un tel plaisir pour moi de t’écouter ! Comme si des clochettes de vie sonnaient dans la maison où j’étais restée toute seule.
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Les relations que les hommes et les femmes ont nouées datent d'avant la naissance du langage. Ensuite, une fois que les langues eurent fait leur apparition, le vocabulaire en rapport avec ce lien homme-femme évolua et se perfectionna. Sans doute se fit-il de plus en plus subtil et précis. Mais les mots ne sont que des mots après tout. Même s'ils ont rendu l'amour plus riche et plus complexe, en l'ornant d'une apparition éphémère et en l'enivrant d'une exaltation artificielle, ils sont aussi bien souvent à l'origine de sa disparition.

Page 101, éd. Albin Michel
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