YASUNARI KAWABATA -
LES PISSENLITS 1964-68
Prix Nobel de littérature 19 octobre 1968
Je commence par la fin, je découvre l'écriture du grand
Yasunari Kawabata par son dernier roman, inachevé, sans point final pour marquer ce qui peut-être n'existe pas, la fin.
Transformation perpétuelle, nous-mêmes, nos vies, nos questions, nos doutes et nos certitudes.
Après la lecture, je ressens fortement le combat entre le pour et le contre, et l'accepte, comme un gentlemen agreement, reposant sur l'honneur des deux parties et l'avantage qu'elles s'accordent réciproquement et que je vais essayer de justifier.
Étrange maladie dont souffre la jeune femme Ineko : une cécité "sporadique devant le corps humain", qui l'empêche de voir des parties du corps de son amant Hisano. Serait-ce une folie ? Serait-ce un traumatisme ? Sa mère et Hisano l'ont enfermée dans l'asile psychiatrique d'Ikuta. Sur le chemin de retour, la mère et le jeune homme discutent, s'interrogent sur les causes de cette affection, questionnent un passé dans l'attente d'un futur, éveillent des souvenirs, invoquent les morts, se révèlent l'un à l'autre et à eux-mêmes, reviennent sur leurs affirmations, hésitent entre points d'interrogation et d'exclamation, culpabilité naissante et pesante, justifiée ou pas, réflexions sur le temps qui emprunte tantôt des chemins de traverse tantôt des détours... Et le temps présent s'arrête et le passé revient pour dérouler son fil sans Ariane, sans guide, et ça tourne autour et ça tournoie en va-et-vient incessants, carrousels grisants. Allers et retours incessants où les questions sont sans fin et les réponses se font rares et timides, mais gardent un petit sourire de la nostalgie ou d'un regret, ou celui d'un espoir. Et ça mène nulle part.
Mais, pourquoi chercher une destination, une fin, un but ? La vie n'a pas de fin définitive, les questions qu'elle nous présente à chaque tournant, à chaque carrefour, s'épuisent-elles jamais ?
Je parcours les pages, je me laisse entraîner par leur dialogue, je crée le mien avec moi-même, je reviens vers eux, nos souvenirs se croisent avec des points de suspension, des ellipses, des regards sans paroles.
Les pissenlits, un roman esthétique, les sens s'expriment, les discours questionnent sans fermes arguments, le secret est roi et l'hésitation est reine, l'épure fait sa loi. Sur son chemin la quête rencontre la mélancolie, la crainte, la perte, la folie, le vieillissement et la solitude, l'amour, la renaissance, la joie et la douleur, jusqu'à la mort, tout ce qui fait la beauté de la vie.
L'écriture est riche, sensible, les touches sont légères, les sens sont profonds, les images fluides, transparentes, la lecture une expérience. Et
les pissenlits, présents et discrets envoient leur lumière et tentent d'éclairer l'ambiguïté.
La construction du roman est faite sur le dialogue et là, le paradoxe lève sa tête et nous dit : le texte a le rythme et la lenteur et les deux se cherchent, se trouvent et vivent bien ensemble.
La plume de
Yasunari Kawabata, sensible et pudique, entre sur la pointe des pieds dans les plis les plus profonds des sentiments humains, à la recherche d'une étoile, d'une chandelle, d'un éclair. Voir et ne pas voir, est-ce pouvoir ou vouloir ?
A la deuxième lecture du roman j'ai écouté autrement la cloche de l'asile et sa puissance évocatrice et suggestive, serait-ce Ineko ? le timbre transperce l'espace, le temps se laisse toucher, et la solitude, et
les pissenlits ferment les yeux pour la nuit.