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EAN : 9782226239990
200 pages
Albin Michel (29/02/2012)
3.54/5   90 notes
Résumé :
Ineko souffre d'une étrange maladie : des moments de cécité partielle qui l'empêchent de voir tel objet, telle partie de son corps ou de celui de son amant Hisano.

Sur le chemin du retour de l'hôpital psychiatrique où ils viennent de la faire enfermer, dans un paysage étincelant de pissenlits en fleur, la mère de la jeune fille et Hisano poursuivent une conversation étrange : une ronde parolière semée de réminiscences, de questionnements saugrenus, d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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Les Pissenlits de Yasunari Kawabata est un livre exceptionnel.
Le ressenti des personnages est fort et profond. Il se communique par l'expression d'une nature et d'un naturel transcendants. Ainsi la perte de l'être cher, la séparation ou le sentiment d'éloignement transparaissent dans les éléments environnants. Un arbre dont le tronc est strié de plaies où saigne une sève qui doucement s'écoule. Un vol d'oiseaux épars et muets qui dessine une diagonale et disparaît derrière la colline. Dans une atmosphère hivernale, une cloche qui sonne pour signifier la bien aimée, laissée, délaissée quelque part, dans l'arrière village. le gris du ciel et de la mer qui se fondent en un à l'horizon pour signifier la fin du jour. Puis c'est l'absence qui crie la représentation coupable, le sentiment exacerbé qui remet en présence, l'être ou la chose dans une fulgurante réalité, plus prégnante encore que dans la vie vraie. L'étonnante confidence d'une mère à un jeune homme, à l'évocation de sa fille qui avait souvent les extrémités froides... Dépossédé de son intimité, le garçon s'interroge sur la franchise avec laquelle sa bien-aimée s'ouvrait à sa mère, pensant alors que certaines choses dussent demeurer secrètes entre un homme et une femme. Des échanges subtils et chargés de signification bien que dépourvus de franches animosités.
Une transparence enfin et une pureté de dialogues, tout cela exposé dans une extrême fluidité. Une grande richesse dans un semblant de simplicité. Des mots qui nous fondent comme récepteurs, des mots donnés, des mots qui fondent comme autant de gourmandises. C'est vrai ! Kawabata est sensible et doux.
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Déroutant et pourtant fascinant, magnifiquement imagé et écrit, je suis une nouvelle fois admirative devant la sensibilité et le talent littéraire de Yasunari Kawabata.

Entendons-nous bien : lire une oeuvre de Kawabata est une expérience littéraire en dehors des sentiers balisés, une épure des sensations et des émotions en quelque sorte - une intrigue réduite, peu de personnages, quasiment aucune action. Il est préférable d'être prévenu.
Il faut accepter de se laisser entraîner lentement dans un monde insolite, en lisière de la réalité, comme dans un rêve finalement. Hallucinations, visions, métaphores, je renonce à les lister ou même les évoquer, ce serait long, décousu et dénaturerait l'oeuvre, il faut la lire dans sa courte intégralité inachevée, car malheureusement oui, ce roman est resté inachevé, Kawabata s'étant suicidé avant de l'achever.
Mais j'y ai retrouvé ses thèmes de prédilection : la folie, l'amour, la mort, la tristesse, l'abandon, la culpabilité et puis toutes ces bribes d'ambiguïtés, ces faisceaux d'incertitudes entre la perception du réel des personnages, leurs psychologies et leur environnement ; une façon très personnelle de mettre en scène l'impuissance face à la maladie, au désir, tout en célébrant par touches la beauté de la nature et, aussi incroyable que cela puisse paraître, la beauté de la tristesse.

Inachevé certes, mais virtuosement abouti.

Un roman immobile, comme souvent dans la littérature japonaise, et chez Kawabata en particulier, centré sur les dialogues et questionnements intimes de la mère et de l'amant d'une jeune fille, récemment internée dans un hôpital psychiatrique car la belle souffre de "cécité sporadique devant le corps humain " - un mal qui se manifeste sans raison apparente, qui handicape sa vie et ses relations aux autres, avec son amant en particulier. Voilà succinctement le point de départ de cette quête de sens sans fin mais d'une lumineuse beauté intemporelle.
"Ce qui allège la pensée des parents qui ont abandonné un membre de leur famille dans cet asile d'aliénés, un lieu par ailleurs souvent lugubre et inhumain, c'est uniquement la beauté lumineuse de la nature environnante et les grâces et la chaleur que dispense la ville d'Ikuta – telle une fleur de pissenlits."

Et comme le souligne lui-même Kawabata : "Si ma mémoire est bonne, les fleurs de pissenlits se referment le soir pour se rouvrir le matin."
La nature, toujours la nature, refuge ultime et sans cesse renouvelé pour l'auteur, car "Quand on la connaît, on comprend que la tristesse humaine est sans limites."
Fort heureusement, l'amour aussi !
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Je redoutais une certaine frustration à lire ce dernier roman inachevé de Kawabata. Pourtant, sa lecture est une expérience intéressante, car il détonne dans l'oeuvre du prix Nobel. Il est en effet quasi-entièrement construit sur le dialogue entre un jeune homme, Hisano, et sa belle-mère d'âge mûr (dont le prénom n'est jamais cité).

Ils occupent ainsi l'espace réel, mais deux êtres chers leur manquent et saturent le champ de leur conversation et de leurs pensées : Ineko principalement, compagne et fille des deux duettistes, et Kizaki, son père décédé accidentellement. Hisano et la belle-mère sortent de l'hôpital psychiatrique, à Ikuta, petite ville du Kyûshû, où la mère vient de faire interner Ineko, alors qu'Hisano était réticent et aimerait tant la récupérer. Ineko souffre d'une étrange maladie, une « cécité sporadique devant le corps humain ». Cela lui a pris pour la première fois lors d'une partie de ping-pong, mais il semble bien que même dans les moments intimes avec son compagnon, il y ait des noirs non dus à l'extase du moment. La belle a-t-elle été traumatisée par la mort de son père, officier militaire et blessé de guerre, qui chuta à cheval du haut d'une falaise, alors qu'elle l'accompagnait dans cette sortie équestre ? Nos deux protagonistes se chicanent sur le fait qu'elle ait vu ou non directement l'instant de cette chute mortelle, comme sur les nuances de tonalité de la cloche de l'asile, qu'ils entendent sur le chemin du retour. Est-ce Ineko qui sonne les heures ? Les pensionnaires sont en effet autorisés à le faire, ce qui fait partie intégrante de leur thérapeutique. Ce dialogue pinailleur qui pourrait devenir ennuyant si l'on n'accepte pas d'entrer dedans avec concentration est subtilement parsemé par Kawabata de symboles du temps, de la beauté, de la nature, et de visions (un vieux et imposant camphrier, un bel écolier, les fleurs de pissenlits et une souris blanche…), et aussi, parfois, assez discrètement de sa propre vision sur ce temps qui passe, emportant avec lui la jeunesse et la beauté, et sans doute aussi une grande part du Japon éternel, victime en grande partie consentante de son occidentalisation inéluctable.

Les échanges entre Hisano et Mère nous dévoilent peu à peu les arcanes de la psychologie de ces personnages, leurs blessures intimes, leurs peurs, leurs doutes, leur sentiment de culpabilité. Ineko l'absente est paradoxalement omniprésente dans les esprits, tissant un étrange lien entre les deux personnages. Face à un Hisano tout amour qui se languit de sa belle laissée là à regrets, la Mère semble probablement d'une psychologie plus complexe. Elle allie et alterne une certaine raideur, un côté cassant ou en tout cas une pudeur dans l'expression de ses sentiments, qu'elle retient toujours, et, peut-être, le doute est permis, une attirance inconsciente et maîtrisée pour son gendre ? Car c'est aussi une Femme, une digne et fidèle veuve préoccupée par le travail de sape du temps sur son corps vieillissant, et qui réprime les quelques fantasmes qui probablement survivent encore tout au fond d'elle.

Kawabata explore donc ici une nouvelle fois ses thèmes favoris du vieillissement, de la perte, de la folie…Ce dernier thème est évidemment présent avec l'état d'Ineko, mais il rattrape aussi les deux personnages, qui au détour des dialogues se demandent si l'autre n'a pas un grain. Les dernières pages sont à ce titre encore plus déroutantes…

Alors c'est vrai, il y a de la frustration pour le lecteur. On se demande où aurait pu nous emmener la suite. L'écrivain le savait-il vraiment, lui qui a mis plusieurs années à écrire ce qui reste ici inachevé ? Est-ce qu'il n'y aurait pas eu à la longue un essoufflement, une lassitude pour le lecteur, une agaçante impression de tourner en rond ?

Je préfère pour ma part retenir une maîtrise extraordinaire des dialogues, parfois ambigus, et d'une finesse rare qui explore un champ de réflexion de niveau philosophique, et une élégance de style toujours aussi admirable, chez ce petit bonhomme qui reste un géant de la littérature japonaise et mondiale. du grand art !
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Ces dernières années, j'ai lu plusieurs romans de Yasunari Kawabata que j'avais tous aimés ou, à tout le moins, appréciés. le style de narration typique des Japonais, tout en retenue, en subtilité, voire en extase devant la nature ou les minuties du quotidien, ça me va… jusqu'à un certain point. Et ce point vient de rencontrer une limite. Je n'ai pas accroché du tout à un des derniers romans de Kawabata, resté inachevé : Les pissenlits.

Le début est assez conventionnel, je m'y attendais. La jeune Ineko est laissée aux bons soins du personnel d'un hôpital psychiâtrique de région. Son fiancé et sa mère hésitent, tour à tour remettent en question leur décision, se rappellent divers souvenirs, etc. Pendant un moment, ça va, mais on se demande où cela va-t-il mener.

Eh bien, nulle part. La quatrième de couverture mentionne « une ronde parolière semée de réminiscence, de questionnements saugrenus, de réflexions surréalistes ». Et c'est vrai. le problème, c'est que le roman n'est composé que de ça. Pendant 245 pages ! Que du bavardage, bien souvent inutile parce qu'il repose sur des suppositions impossibles à vérifier, des élucubrations qui s'étirent et qui s'étirent et qui s'étirent...

Évidemment, comme je l'ai écrit plus haut, le roman est resté inachevé. À quoi aurait-il ressemblé une fois terminé ? Difficile à dire. le style de Kawabata transpire à chacune des pages, remplies d'éléments à la fois naturels et symboliques, comme l'arbre dont le tronc porte de nombreuses coupures (comme des plaies) ou encore le son de la cloche qu'il s'imaginent tirée par Ineko et à partir duquel ils essaient d'induire son état. Puis il y a ce calme sur la route de l'hôpital à l'auberge, sur l'horizon rempli de pissenlits. (Parenthèse : je dois admettre que, quand je pense à des fleurs japonaises, les pissenlits ne sont pas celles qui me viennent d'abord en tête.) N'empêche, tout cela, je l'ai trouvé fort joli et approprié, surtout quand je pense aux blessures et à l'isolement que vont subir autant Ineko que son fiancé Hisano ou sa mère. Mais, étant trop rationnel, je suis resté avec l'impression que l'histoire n'arrivait pas à décoller.

Ainsi, tout est très beau, mais il manque un petit quelque chose sur lequel je n'arrive pas à mettre le doigt. Pas une tension dramatique, non, ce serait jurer. Trop de douceur et de pudeur (je ne savais pas que c'était possible !) mélangées à de la mélancolie et de la tristesse pour un drame que je n'arrivais pas à comprendre. Après tout, c'est pour qu'Ineka guérisse que son fiancé et sa mère l'ont fait interner. Elle ne va pas au gibet. Ou peut-être que je cherche trop un sens, une histoire au sens occidental plutôt que me laisser emporter par le flot des mots.
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YASUNARI KAWABATA - LES PISSENLITS 1964-68
Prix Nobel de littérature 19 octobre 1968
Je commence par la fin, je découvre l'écriture du grand Yasunari Kawabata par son dernier roman, inachevé, sans point final pour marquer ce qui peut-être n'existe pas, la fin.
Transformation perpétuelle, nous-mêmes, nos vies, nos questions, nos doutes et nos certitudes.
Après la lecture, je ressens fortement le combat entre le pour et le contre, et l'accepte, comme un gentlemen agreement, reposant sur l'honneur des deux parties et l'avantage qu'elles s'accordent réciproquement et que je vais essayer de justifier.
Étrange maladie dont souffre la jeune femme Ineko : une cécité "sporadique devant le corps humain", qui l'empêche de voir des parties du corps de son amant Hisano. Serait-ce une folie ? Serait-ce un traumatisme ? Sa mère et Hisano l'ont enfermée dans l'asile psychiatrique d'Ikuta. Sur le chemin de retour, la mère et le jeune homme discutent, s'interrogent sur les causes de cette affection, questionnent un passé dans l'attente d'un futur, éveillent des souvenirs, invoquent les morts, se révèlent l'un à l'autre et à eux-mêmes, reviennent sur leurs affirmations, hésitent entre points d'interrogation et d'exclamation, culpabilité naissante et pesante, justifiée ou pas, réflexions sur le temps qui emprunte tantôt des chemins de traverse tantôt des détours... Et le temps présent s'arrête et le passé revient pour dérouler son fil sans Ariane, sans guide, et ça tourne autour et ça tournoie en va-et-vient incessants, carrousels grisants. Allers et retours incessants où les questions sont sans fin et les réponses se font rares et timides, mais gardent un petit sourire de la nostalgie ou d'un regret, ou celui d'un espoir. Et ça mène nulle part.
Mais, pourquoi chercher une destination, une fin, un but ? La vie n'a pas de fin définitive, les questions qu'elle nous présente à chaque tournant, à chaque carrefour, s'épuisent-elles jamais ?
Je parcours les pages, je me laisse entraîner par leur dialogue, je crée le mien avec moi-même, je reviens vers eux, nos souvenirs se croisent avec des points de suspension, des ellipses, des regards sans paroles.
Les pissenlits, un roman esthétique, les sens s'expriment, les discours questionnent sans fermes arguments, le secret est roi et l'hésitation est reine, l'épure fait sa loi. Sur son chemin la quête rencontre la mélancolie, la crainte, la perte, la folie, le vieillissement et la solitude, l'amour, la renaissance, la joie et la douleur, jusqu'à la mort, tout ce qui fait la beauté de la vie.
L'écriture est riche, sensible, les touches sont légères, les sens sont profonds, les images fluides, transparentes, la lecture une expérience. Et les pissenlits, présents et discrets envoient leur lumière et tentent d'éclairer l'ambiguïté.
La construction du roman est faite sur le dialogue et là, le paradoxe lève sa tête et nous dit : le texte a le rythme et la lenteur et les deux se cherchent, se trouvent et vivent bien ensemble.
La plume de Yasunari Kawabata, sensible et pudique, entre sur la pointe des pieds dans les plis les plus profonds des sentiments humains, à la recherche d'une étoile, d'une chandelle, d'un éclair. Voir et ne pas voir, est-ce pouvoir ou vouloir ?
A la deuxième lecture du roman j'ai écouté autrement la cloche de l'asile et sa puissance évocatrice et suggestive, serait-ce Ineko ? le timbre transperce l'espace, le temps se laisse toucher, et la solitude, et les pissenlits ferment les yeux pour la nuit.
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critiques presse (7)
Liberation
26 mars 2012
Avec la légèreté atteignant immédiatement la profondeur propre à l’auteur des Belles endormies,les Pissenlits débute quand son amant et la mère d’Inéko viennent de laisser la jeune fille dans un asile de fous et redoutent que ce n’ait pas été une si heureuse initiative.
Lire la critique sur le site : Liberation
Lhumanite
19 mars 2012
Tout l’art de Kawabata a consisté une fois encore à laisser le lecteur frayer sa propre route de compréhension dans un récit énigmatique dont l’écriture dense, à la fois réaliste et poétique, n’hésite pas à jouer d’accents philosophiques.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
LeSoir
19 mars 2012
Tout à la fin du livre, deux mots déçoivent : « texte inachevé ». Dommage. Car Kawabata nous avait une fois encore promenés, comme il l'a fait dans toute son œuvre, sur la ligne ténue qui sépare le réel de sa perception, mobilisant les sens autant que l'intelligence.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LeMonde
16 mars 2012
Ultime roman de Kawabata, Les Pissenlits donne l'impression d'une oeuvre de la sédimentation plutôt que de la maturité.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Lexpress
15 mars 2012
La folie, le mal, la culpabilité mais aussi la mort, la tristesse et la solitude : on retrouve ces thèmes caractéristiques de l'oeuvre de Kawabata, qui les renouvelle avec son goût de l'ellipse et de l'ambiguïté, cultivant un flou proprement artistique.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LesEchos
14 mars 2012
Sous la plume de Kawabata, les pissenlits sont symbole de vie : ils s'ouvrent au matin et se referment le soir.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Telerama
07 mars 2012
Ce roman inachevé de Kawabata, publié en 1980, huit ans après son suicide, a cette retenue qui permet d'atteindre les sentiments secrets, les vérités simples, et de construire un drame sans drame, à la manière japonaise.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (43) Voir plus Ajouter une citation
Elle ôta sa ceinture, plia sa veste et son kimono. Malgré la discrétion avec laquelle elle s'efforçait de ranger ses vêtements, elle songea que Hisano devait l'entendre. Cette pensée la rendit un peu maladroite.
Elle hésita. Ôterait-elle le jupon qu'elle portait sous sa robe de dessous, ou le garderait-elle pour enfiler par-dessus le yukata en coton de l'auberge ? Quand elle était chez elle, elle l'enlevait. C'était son habitude. Par ailleurs, il lui arrivait rarement de dormir dans une auberge.
Peu importe. Ce n'est pas le moment de me soucier de ces choses, songea-t-elle en murmurant indistinctement : " A mon âge."
Même si, de l'autre côté du fusuma, il y a un jeune homme, c'est l'amant de ma fille. D'ailleurs, Ineko seule emplit son coeur et l'enfièvre. Moi, il ne me considère même pas comme une femme. Il ne me considère pas comme une femme ? Comment est-ce que j'ose me parler ainsi ? Je ne serais pas un peu dérangée ? pensa-t-elle.
Elle n'aurait dû avoir aucune raison de prendre en considération la présence de Hisano pour décider si elle enlèverait ou non son jupon. Ikuta avait beau être une ville au climat doux où les pissenlits fleurissaient en plein hiver, si elle voulait se prémunir de la fraîcheur de la nuit sur ces bords de mer, il lui fallait garder son jupon. Le yukata de l'auberge lui parut vieux, quoique propre et empesé, et elle ne voulut pas en éprouver le contact direct sur son ventre et ses cuisses. C'est ce qu'elle ressentit soudain. A imaginer cette sensation, elle eut envie de contempler la soie blanche qui la couvrait des hanches aux genoux. Comme la blancheur de l'étoffe avait tendance à se salir facilement, surtout en bas, elle veillait toujours à en changer très souvent. Elle estimait que c'était là l'un de ses rares luxes dans sa vie frugale. En de rares occasions, il lui arrivait pourtant de se demander si cette couleur blanche n'était pas justement la couleur qui lui était propre ─ celle d'une veuve, bien éloignée d'aguicher un homme.
Elle se contenta de relâcher un peu le cordon du jupon pour se mettre à l'aise. C'était sans doute à cause de la présence d'un jeune homme de l'autre côté du fusuma et de la vétusté du yukata de l'auberge qu'elle avait hésité à enlever son sous-vêtement. Mais quand elle abaissa les yeux sur la rondeur de ses genoux moulés dans la soie blanche, elle se rappela son défunt époux, Kizaki. Son image lui revint à l'esprit à la manière d'une flamme vacillante.
"La femme de quarante ans fera tout pour toi. Mais la femme de vingt ans ne fera rien."
Elle entendit clairement la voix de Kizaki qui énonçait ces phrases. Elle avait oublié le titre de l'oeuvre traduite que Kizaki lisait alors. Quand il était tombé sur ce passage, il l'avait appelée. "Viens, écoute ! " et il le lui avait lu.
"C'est de Balzac. Balzac", avait répété Kizaki.
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Alors que la mère s'apprêtait à traverser le petit pont recouvert de terre battue qui menait vers le bourg, elle poussa un "Oh !" d'étonnement. Elle avait croisé un jeune garçon qui lui évoquait un pissenlit d'un jaune vif et intense. Elle se retourna. Hisano en fit autant. "Ce garçon est-il vraiment un humain ? murmura-t-elle.
- Qu'est-ce que vous dites ? répliqua Hisano, surpris.
- Dans une ville comme Ikuta, n'y aurait-il pas des elfes ? Avez-vous pu voir les traits de son visage ?
- Vous plaisantez ! Il portait un habit d'écolier normal et il était très correctement chaussé.
- Je voudrais le subtiliser et le ramener à la maison", dit la mère en suivant du regard le garçon vers l'amont. "Ce qui pourrait être qualifié d'enlèvement.
- Evidemment. Et puis, un garçon de son âge, qui a l'air intelligent par ailleurs, comment se laisserait-il enlever ?
- Et si je l'adoptais ?
- L'adoption, c'est tout à fait autre chose.
L'affaire pourrait se conclure, d'une manière ou d'une autre", répondit Hisano d'un air soupçonneux en la regardant. "Mais qu'est-ce qui vous prend soudainement ? Vous avez Ineko...Quant à moi, cela ne me dérangera pas de vivre en votre compagnie lorsque je serai marié avec Ineko.
- Brusquement, je me sens seule. Ce garçon est sûrement un génie du ruisseau ou de la mer qui m'a inoculé la solitude."
Hisano ne comprenait pas ce qu'éprouvait la mère. Mais il n'avait pas l'intention de l'affronter. Il se dit qu'une nuit de sommeil à l'auberge l'apaiserait. Sous des sourcils bien dessinés, cet adolescent avait des prunelles si diaphanes qu'elles absorbaient toute chose. Des lèvres si pures, qu'à peine effleurées, elles semblaient pouvoir essuyer les souffrances et les maux de la vie. Quant à sa voix, probablement possédait-elle une beauté émouvante à la manière d'un chant sacré.
Pourtant Hisano se rendit compte que si la mère d'Ineko était tant attirée par un jeune garçon qu'elle avait tout juste croisé sur la rive, c'est parce qu'elle éprouvait une solitude, une tristesse indicibles qui le touchèrent profondément. Il comprit pour la première fois qu'il pensait tellement à Ineko et seulement à elle qu'il ne prenait pas beaucoup sa mère en considération. Il s'interrogea. Ne songeait-il à la mère qu'au travers d'Ineko ?
"Cela me serait égal que ce garçon soit un elfe. Depuis les temps les plus anciens, il y a eu de très nombreuses histoires d'amour avec des esprits. Mais de nos jours, il n'est pas fréquent simplement d'en rencontrer un. Avez-vous vraiment pu le voir, monsieur Hisano ? interrogea la mère.
- Bien sûr que oui. C'était un écolier ou un jeune collégien", répondit-il.
Il se demanda si la mère ─ à l'instar de sa fille ─ n'avait pas le cerveau un peu détraqué.
"Aviez-vous du goût pour les jolis garçons ? la taquina-t-il.
- Mais non, voyons ! Je déteste les enfants, filles ou garçons, depuis toujours", répliqua-t-elle en grimaçant.
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Mais les mots ne sont que des mots, après tout. Même s'ils ont rendu l'amour plus riche et plus complexe, en l'ornant d'une apparence éphémère et en l'enivrant d'une exaltation artificielle, ils sont aussi bien souvent à l'origine de sa disparition. En même temps que l'évolution de la langue devenait l'alliée de l'amour entre hommes et femmes, elle se transformait en son ennemie. L'amour ne demeure-t-il pas à une profondeur mystérieuse, hors d'atteinte des mots, aujourd'hui encore ?
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"Mère, s'écria Hisano, j'ai envie de retourner à l'hôpital pour voir cet arbre. Si je rentre sans l'avoir vu, j'en resterai préoccupé. Cela m'angoisse, ce souci de quelque chose que je n'ai pas vu. Je fais un saut et je serai à l'heure pour le train.
- Cet arbre demeurera tel qu'il est jusqu'à votre prochaine visite, répondit la mère. Il sera toujours là. A jamais. Même après qu'Ineko aura guéri et qu'elle aura quitté l'hôpital.
- Si j'avais votre autorisation et celle de l'hôpital, je voudrais me marier avec Ineko, même à l'asile des fous. Oh, pardon, je voulais dire, je voudrais la soigner, être à ses côtés.
- C'est hors de question, monsieur Hisano.
- Je me suis laissé amadouer, je n'ai pas réussi à vous tenir tête et finalement j'ai accepté de confier Ineko à la garde de l'hôpital psychiatrique. Vous allez penser que je rabâche...je peux comprendre pourtant que vous ayez reporté notre mariage. Même si ce n'est, en réalité, qu'une crainte imaginaire de la part d'une mère. Tout de même, c'est incroyable que vous ayez pu vous en séparer ! La laisser toute seule dans un hôpital psychiatrique ! Un asile de fous, c'est le fond d'un abîme où se déposent les substances toxiques du coeur humain et où elles entrent en effervescence. Tous ces poisons vont corroder Ineko. Mère, et si les fous se montraient violents et en venaient à blesser Ineko, notre bijou ?
- Qu'est-ce que vous racontez ? coupa la mère. Il y a de la discipline. Et aussi des grillages à l'hôpital.
- Mais c'est vous qui m'avez affirmé que le grand arbre était en pleurs, blessé par les fous. C'est vous qui m'avez dit qu'ils pourraient l'abattre et se transformer en émeutiers...". Hisano fixait le visage de la mère. "Décidément, cet arbre est Ineko, n'est-ce pas ? L'arbre qui vous a paru verser des larmes...
- Les larmes de l'arbre sont les larmes de l'arbre. Ineko n'a pas pleuré.
- Non, elle a simplement dit qu'elle guérirait et rentrerait rapidement...Les larmes de ses yeux se déversaient dans son coeur." Hisano se retourna de nouveau. "Je peux voir la colline de l'hôpital mais pas Ineko. Se trouve-t-elle vraiment au sein de ces bosquets, parmi les fous ? Je veux retourner à l'hôpital pour m'en assurer.
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-Ne pensez-vous pas que l'échange de toutes sortes de confidences est l'une des joies de l'amour ?
- Elle n'est pas à l'âge où l'on évoque ses souvenirs.
- Il n'y a pas d'âge pour cela. Tout le monde se souvient. Tout le temps. Les souvenirs de l'enfance, de l'adolescence, des souvenirs heureux ou tristes, drôles ou fâcheux...Il n'y a pas de limites. Si c'était moi qui écoutais Ineko parler de ses souvenirs, aussi insignifiants ou minimes soient-ils, je ne les entendrais pas comme les autres le feraient. Ses histoires me pénétreraient à la manière de l'amour. Et s'il se faisait qu'elle me raconte un épisode innocent de son enfance, je l'entendrais à la manière d'une berceuse. Elle n'aurait pas forcément besoin de s'épancher sur le passé. Se confier sans y penser des souvenirs qui n'ont rien de particulier, n'est-ce pas l'habitude des amants ?
- J'imagine ", murmura la mère.
Ce n'était pas une véritable réponse.
"Et puis, reprit Hisano en la regardant, j'aimerais savoir toutes sortes de choses sur Ineko, même les plus petites, des histoires d'avant que je la rencontre. Comme il se trouve que je suis avec vous ce soir dans cette auberge...
- En effet, c'est inattendu.
- De toute façon, nous ne pourrons pas dormir, puisque nous avons laissé Ineko dans cet hôpital...Et comme nous ne dormirons pas, je voudrais vous entendre me raconter, au besoin toute la nuit, des anecdotes que j'ignore sur Ineko.
- C'est gentil à vous."
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Vidéo de Yasunari Kawabata
Extrait du livre audio "Les Belles Endormies" de Yasunari Kawabata lu par Dominique Sanda. Parution CD et numérique le 10 août 2022.
https://www.audiolib.fr/livre/les-belles-endormies-9791035404031/
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