Premier tome de la trilogie berlinoise, elle-même introduction à la série ayant Bernie Gunther comme personnage récurrent, L'été de cristal m'a procurée les mêmes excellentes sensations que la première fois où je l'ai lu, il y a des années. Une relecture pour une série d'articles sur le blog mais aussi pour partager avec ceux qui ne connaîtraient pas encore, le talent livresque de
Philip Kerr!
À l'aube de la quarantaine, Bernie Gunther, a déjà connu la guerre sur le front de l'est, s'est frotté aux pressions professionnelles dans la kripo (Kriminalpolizei, police criminelle, pour les non germanophones), est devenu détective privé car il faut bien gagner son croûton de pain et est spécialisé dans la recherche des personnes disparues.
Une fois n'est pas coutume, il est appelé par un riche industriel, Herr Six, pour retrouver le contenu d'un coffre fort, vidé la nuit de l'assassinat de sa fille et de son gendre et de l'incendie de leur maison.
Est-ce réellement un collier de grande valeur qui est l'objet de la sollicitation de ce client? Quel est l'identité du tueur? Quel est son mobile?
L'affaire se complique quand Gestapo ou anciens collègues de la Kripo trouvent tout intérêt à soudainement s'intéresser de très, trop près à Bernie…
Le contexte historique est passionnant! L'Allemagne de 1936 est déjà sous la coupe des nazis depuis 1933 et se prépare logiquement à une guerre. Laquelle? Nous, nous connaissons leur futur bien sûr mais nous ne le savons pas encore en 1936 et les dirigeants se doivent de garder une vitrine propre car les jeux olympiques d'été ont été confiés à Berlin en 1931 et toute la scène internationale, en ces temps de tensions européennes, aura les yeux braqués sur le pays.
Changements de décorum, façades de pacotille occupent les berlinois mais le fond ne change pas: antisémitisme, xénophobie, propagande de l'idéologie nazie, promotion de la supériorité de la race aryenne sont bien présents.
Bernie en est témoin chaque jour quand nombre de juifs, ou tout opposant au régime, disparaissent plus rapidement que n'apparaissent les bocks de bière sur un comptoir de bar.
La plume de
Philip Kerr est addictive. Outre un contexte historique riche et fortement documenté, c'est le ton ironique, un humour caustique, voire parfois cynique, qui vous attrape par la main et ne vous lâche plus!
Les descriptions précises des lieux nous immergent totalement dans le Berlin de l'époque et son atmosphère oppressante.
Et le choix d'un personnage comme Bernie est capital. C'est un homme comme les autres, coureur de jupons, appréciant un bon petit remontant de temps en temps ou même souvent, aux sarcasmes lapidaires, un détective un brin caricatural, cherchant à survivre dans une société à l'ambiance délétère et dont les valeurs évoluent dans un sens auquel il n'adhère pas, ayant conscience qu'il vaut mieux faire profil bas en certaines circonstances, juste ce qui est nécessaire pour ne pas chuter, se noyer dans le flot des purges arbitraires et s'échouer dans un camp.
Car oui, rappelons-le, les camps ne sont pas apparus avec la Seconde Guerre Mondiale mais ont commencé à fleurir et s'épanouir sous le joug de la SA, la SS, la police ou tout autre autorité civile dès 1933!
Bernie doit naviguer dans ces eaux troubles sans vexer personne quand déjà les guerres intestines agitent la SA (Sections d'assaut) et la SS (Garde d'élite du parti nazi), que les rivalités secouent les gros pontes tels Goering ou Goebbels, qu'on ignore si son interlocuteur est un adhérent fanatique de la politique d'Hitler ou une Violette de Mars (opportunistes ayant adhéré tardivement au parti) ou si ses anciens collègues de la kripo (Police Criminelle, je le rappelle) fricotent avec la Gestapo (Geheime Staatspolizei ou police politique) ou reste sous l'égide de la Sipo (Sicherheitspolizei ou police de sûreté chargée de la sécurité intérieure).
La tâche n'est point aisée, de toutes manières, quand, comme Bernie, l'homme a du mal à garder sa langue dans sa poche!
L'intrigue est riche, captivante, rebondit au fil des fausses pistes et avancées de Bernie qui se retrouve parfois, souvent, dans des situations rocambolesques et dangereuses. Aux prises avec une enquête à suspens et délicate, Bernie n'en passera pas moins du bon temps avec certaines rencontres affriolantes…
Cette saga repose donc sur un personnage haut en couleurs, témoin de son temps, un brin charmeur, narquois à l'humour mordant et corrosif… et si vous tombez sous son charme, de très nombreuses heures d'angoisse livresque vous attendent avec cette série.
L'été de cristal est une mise en bouche fine et délicate dans l'horreur de l'Histoire. Incontournable pour tous les passionnés de cette époque… dont je suis!
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