Dans le quarto Gallimard consacré à
Kessel, et dont le titre est Reportages, Romans, il y a ce récit remarquable , où l'auteur, nous relate, avec son incomparable talent de conteur, de façon romancée, une histoire stupéfiante et fort méconnue de la seconde guerre mondiale, en tout cas inconnue de moi.
J'ai découvert, après la lecture, que l'action de Kersten avait fait l'objet de plusieurs documentaires, dont un sur Arte, ainsi que d'un livre d'un de ses fils, mais aussi qu'elle avait l'objet de controverses entre historiens, une de plus, pourrait on dire, sur le rôle de Kersten dans certains des faits rapportés par
Kessel, notamment sur le fait que la déportation de trois millions de hollandais n'avait jamais été envisagée. Et aussi qu'il n'avait jamais été reconnu comme Juste entre les Nations, bien que son rôle dans le " sauvetage de 100000 personnes dont 60000 juifs...au péril de sa propre vie" , ait été reconnu par le Congrès Juif Mondial en 1947. Donc, un vrai homme de bien, qui fit ce qu'il put pour sauver des vies.
Et donc, qu'à cela ne tienne, le roman de
Kessel est extraordinaire, vraiment.
Non seulement parce qu'il nous fait ressentir, de façon brutale, dans les propos de Himmler, l'inhumanité absolue et absurde, la mégalomanie, le fanatisme, les délires historiques des responsables du 3ème Reich, fondés sur des croyances insensées, et aggravés, dans le cas de Hitler par un état pathologique de syphilis tertiaire, qui les mèneront à accomplir cette oeuvre de mort sans précédent, que Camus a qualifié de Terreur Irrationnelle.
Mais plus encore,
Kessel nous plonge dans la psychologie si particulière de ce petit homme qu'était Himmler, de sa dévotion à Hitler, de sa misérable condition physique, de sa férocité sans doute liée à son sentiment d'infériorité et sa timidité. Et il nous fait saisir que ce terreau était fertile pour qu'il entretienne une relation de dépendance quasi infantile et tyrannique à l'égard de son thérapeute, dépendance qu'avec sa finesse psychologique Kersten saura exploiter pour sortir de la détention ou sauver la vie d'abord de quelques personnes, puis de plusieurs milliers.
Et à la fin de la guerre, sous l'influence de Kersten, deux évènements incroyables mais vrais, vont se produire: Himmler rédigera un "Contrat pour l'Humanité" qui évitera le dynamitage des camps de concentration; il rencontrera dans la propriété de Kersten un membre du Congrès Juif Mondial pour régler le peu qui restait à sauver du sort des juifs.
Kessel n'a pas son pareil pour raconter, avec son rythme enlevé, son lyrisme, une histoire qui aurait bien mérité le même sort que celui de la Liste de Schindler. À quand un film?
Ce livre nous rappelle aussi, ce que les êtres emplis de fanatisme, de croyances erronées, et souvent marqués par la médiocrité, peuvent accomplir, quand le pouvoir leur est donné. Et aussi n'oublions pas qu'il y a eu, depuis, les génocides du Cambodge, du Rwanda, les massacres en ex-Yougoslavie, des Rohingas, de l'État islamique, et l'humiliation des Palestiniens, des Afro-américains, des Amérindiens, des Ouighours...Mais aussi, il y a eu
l'Armée des Ombres, des Kersten, des Justes et aussi des phares pour notre conscience,
Primo Levi,
Simone Veil, .....