Batman, tome 6 : Bride or Burglar

Ce tome fait suite à Batman Vol. 5: Rules of Engagement (Rebirth) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 38 à 44, initialement parus en 2018, tous écrits par Tom King. Il contient les couvertures originales de Tim Sale (épisode 38), Mikel Janín (é39, é41 à é44) et Joëlle Jones (é40, é44), ainsi que les 6 couvertures alternatives réalisées par Olivier Coipel.

Épisode 38 (dessins et encrage de Travis Moore, couleurs de Gila Brusco) - Bruce Wayne rentre chez lui et retrouve avec plaisir Selina Kyle qui l'attend sur le canapé. Matthew Warner rentre chez lui et voit ses parents morts, assassinés dans la cuisine, baignant dans leur sang. Quelques temps plus tard, il est assis dans un fauteuil, discutant avec Bruce Wayne qui essaye de voir comment lui trouver un tuteur. Victor Zsasz se mutile pour ajouter deux bâtons sur son corps, prenant à son compte ce double meurtre. James Gordon et Batman s'interrogent sur la réelle culpabilité de Zsasz.

Épisodes 39 & 40 (dessins et encrage de Joëlle Jones, couleurs de Jordie Bellaire) - Quelqu'un a allumé le Batsignal sur le toit de l'immeuble du commissariat principal. Énervé, James Gordon monte sur le toit pour savoir qui a osé s'en servir sans son autorisation : il découvre Wonder Woman en train d'attendre Batman. Elle est revenue le chercher pour qu'ils prennent la place du Gentle Man (Julian) dans le combat sans fin contre les Hordes de la Géhenne. Ils se rendent dans la dimension, et Gentle Man peut enfin passer quelques heures à Gotham pour aller voir son épouse.

Épisodes 41 à 43 (dessins et encrage de Mikel Janín, couleurs de June Chung) - Poison Ivy s'est rendue maîtresse du monde, en infectant toute la population humaine avec un pollen de plante qui lui donne la maîtrise sur tous les esprits, sauf ceux de Batman et Catwoman, Batman ayant réussi à leur injecter un antidote à temps. Comment vont-ils pouvoir lutter contre une personne qui commande le monde entier y compris les superhéros comme Superman, et qui peut projeter son esprit dans chaque individu ?

Épisode 44 (dessins et encrage de Mikel Janín pour les pages consacrées à Batman, de Joëlle Jones pour les pages de Catwoman, couleurs de June Chung & Jordie Bellaire) - Catwoman est à la recherche de la robe parfaite pour son mariage, pendant que Batman repense à tous ses costumes au fil de leurs affrontements.

Plus les épisodes passent, plus cette série adopte une forme surprenante. L'épisode 38 contient une histoire complète : une enquête sur le meurtre de deux parents, laissant un jeune garçon orphelin, un écho évident de la mort de Martha & Thomas Wayne, et de la situation dans laquelle Bruce Wayne s'est retrouvé quand il était lui-même encore enfant. Il ne manque que la référence au film le signe de Zorro (1940) de Darryl F. Zanuck avec Tyrone Power. Les dessins de Travis Moore sont descriptifs et réalistes, très soignés pour les décors, un peu moins photoréalistes pour les personnages, avec une narration visuelle très rigoureuse dans le découpage des pages en cases bien rectangulaires. La deuxième histoire se déroule sur deux épisodes, envoyant Batman et Wonder Woman dans une autre dimension où ils doivent se battre contre des hordes de créatures agressives sans cesse renouvelées pendant des dizaines d'années. Tom King s'amuse bien avec cet écoulement du temps différencié entre la Terre et cette dimension, tout en mettant en parallèle la volonté de Julian de retrouver pour quelques heures son épouse Julia, et le fait que Bruce Wayne soit soumis à la tentation de tromper Selina avec Diana, ne sachant pas s'ils pourront un jour regagner la Terre. Les dessins de Joëlle Jones sont toujours aussi élégants, combinant âpreté et fluidité, avec des décors consistant pour les séquences à Gotham. Nouvelle histoire avec les 3 épisodes suivants : Poison Ivy est maîtresse du monde, Catwoman & Batman n'ont objectivement aucune chance de gagner. Mikel Janín réalise des pages somptueuses et exquises : des traits d'une grande finesse, des personnages élégants, des décors montrés avec un haut degré de précision, Poison Ivy magnifique. Pour finir, un épisode étrange : page de gauche Batman se bat contre Catwoman à chaque fois à une époque différente, avec un costume différent pour Catwoman, page de droite, Selina Kyle ne sait quelle robe choisir. Page de gauche, les dessins somptueux de Mikel Janín, page de droite les dessins plus sensuels de Joëlle Jones. Et c'est fini, après 7 épisodes qui se lisent très rapidement, avec un vrai plaisir de lecture et une facilité incroyable. le lecteur hésite entre scénariste qui mise tout sur les dessins de ses collaborateurs, et décompression narrative fainéante.

Il n'en reste pas moins que la lecture de ces 4 aventures est très agréable et très divertissante, et que c'est un vrai plaisir que de voir évoluer (lentement) la relation entre Batman et Catwoman. Elle est absolument magnifique en femme au caractère bien trempé dessinée par Joëlle Jones. Elle conserve la même grâce et la même agilité dans les pages de Mikel Janín, toujours aussi svelte et souple. Dans la deuxième histoire, elle se rend petit à petit compte que Julian ne lui a pas tout dit, tout en n'arrivant pas à lui en vouloir parce qu'il a menti par omission pour pouvoir passer du temps avec sa conjointe, envie que Selina Kyle comprend parfaitement au vu de sa relation avec Bruce Wayne. Dans l'histoire suivante, Catwoman & Batman travaillent ensemble pour déstabiliser Poison Ivy, se basant sur la confiance mutuelle établie dans le tome précédent, avec un degré de coordination très élevé. Enfin, Tom King se livre à une rétrospective de 7 moments différents dans la relation entre Batman et Catwoman, correspondant à autant de décennies différentes, avec des costumes d'époque, une très belle comédie romantique légère, en peu de mots et peu de pages.

Outre le plaisir des yeux et le plaisir d'histoires rapides et pleines de verve, le lecteur voit bien que le fil conducteur reste la relation entre Batman et Catwoman, thème principal de la série depuis le tome 2. La deuxième histoire est une évidence : Batman est soumis à la tentation, coincé dans un endroit dont il ne sait s'il repartira un jour, luttant pour sa vie tous les jours, aux côtés d'une femme extraordinaire, beaucoup plus belle et plus guerrière que Selina Kyle ne le sera jamais, beaucoup plus honnête également. Joëlle Jones sait montrer en quoi cette relation devient sensuelle, sans être une simple copie de celle entre Bruce et Selina. le lecteur n'a pas de doute qu'ils reviendront sur terre, mais l'épreuve n'est pas simplement de tuer des ennemis génériques, plutôt de tester un sentiment amoureux à l'épreuve de la camaraderie qui se développe entre deux collègues travaillant ensemble pendant des années. de ce point de vue, l'histoire suivante est beaucoup plus simple : elle montre le chemin parcouru ensemble par Selina et Bruce : la coordination qui vient avec le temps passé ensemble. Mais il reste ce premier épisode très surprenant qui ne s'intègre pas de prime abord dans le thème de l'évolution de la relation entre les deux tourtereaux.

Dans un premier temps, Tom King semble juste raconter une histoire de Batman détective face à un garçon dont la vie prend une tournure qui aurait pu être la sienne. le lecteur comprend mieux le lien entre cette histoire et le thème de la relation avec le début de la suivante. Wonder Woman vient chercher Batman pour une mission relevant du monde de Batman, pas de celui de Catwoman. de la même manière, la première histoire implique Batman dans son monde. Même, Bruce Wayne se lève en pleine nuit, laissant Selina dormir, sans la réveiller. Elle ne participe d'ailleurs pas du tout à l'enquête, attendant juste le retour de Bruce, assise sur le canapé. À nouveau dans la troisième histoire, Catwoman est entraînée dans une aventure de Batman : elle joue le rôle (actif) de coéquipière, tout aussi compétente que lui. À ce stade du récit, le lecteur ne sait toujours pas si Tom King va oser (ou avoir la latitude éditoriale) de pouvoir aller jusqu'au mariage. Il observe donc la malléabilité de la relation entre Selina et Bruce. Il essaye de deviner ce qu'il va advenir en regardant comment l'un et l'autre s'investisse dans cette relation, à quel point Batman reste Batman, à quel point Catwoman conserve son caractère félin, son plaisir de jouer. Qu'il soit cynique ou non (impossible de changer durablement les choses pour un héros récurrent de fiction), le lecteur se prête au jeu de regarder ces flux relationnels, de concessions implicites, plus ou moins librement consenties.

Tom King bénéficie une fois encore d'artistes talentueux, que ce soient les dessins soignés de Mikel Janín, ou les cases plus souples de Joëlle Jones. Il raconte des histoires courtes faciles à lire et peu denses, divertissantes et vite expédiées. Dans le même temps, la trame de fond de la relation amoureuse entre Selina Kyle et Bruce Wayne continue d'évoluer avec sensibilité, élégance et délicatesse, grâce à une belle intelligence émotionnelle. Sous réserve d'y être sensible, le lecteur se rend compte que derrière les histoires faciles et divertissantes, se trouve une comédie dramatique sophistiquée et adulte d'une grande justesse.