Sans que l'attente accule, ce recueil qu'est "
Juste avant le crépuscule", demeure un excellent opuscule. le genre de nouvelles oscille entre le fantastique et le thriller, tout en passant par le nostalgique dont seul le Maître accumule et manipule. Comme à l'accoutumée, il alterne chez nous lecteur, lectrice, l'angoisse authentique et notamment la franche rigolade.
Treize nouvelles captivantes, émouvantes, drôles et horrifiques qui composent une oeuvre majeure, figurant en bonne place dans la bibliographie Kingienne de l'auteur. Pour de courtes histoires de cet acabit, que ne ferait-on pas pour avoir le privilège de les déguster aux maux à mot, malgré le truchement de la traduction, mh ? A présent, passons aux
nouvelles . Prêt ? Alors allons-y :
- Willa : Une bonne histoire de fantôme nostalgico-romantique, sur fond de musique country. Au début, j'ai été un peu décontenancé par la
"révélation" de la condition des personnages qui arrive un peu trop tôt. Mais avec le recul, je me suis dit que le Maître cherchait plutôt à
poser une atmosphère et au final, c'est plutôt bien fait. Une nouvelle poétique et réussie dans le genre.
- La fille pain d'épice : Bien vu dans le genre course-poursuite survival, menée tambour battant. Pas de fantastique et rien de réellement
très original, mais c'est bien fait et on retrouve le décor des Keys de Floride avec grand plaisir. Quel suspense insoutenable avec une fin
jouissive.Efficace.
- le rêve d'Harvey : Je me suis bien ennuyé sur ce coup-là. Encore une fois, on sent que l'auteur a voulu jouer plus sur une ambiance (assez
réussie d'ailleurs) que sur les évènements eux-mêmes, mais au final j'ai trouvé cette courte nouvelle un peu vaine. Bof.
- Aire de repos : Aussi vite lue, aussi vite oubliée. Une histoire traitée sur le mode "
La part des Ténèbres" mais qui n'apporte franchement
rien, en ce qui me concerne. Même avis que la précédente...
- Vélo d'appart : Mon ressenti sur cette nouvelle rejoint ce que je disais un peu plus haut : super concept, mais que je n'ai pas trouvé très
bien traité. Disons que l'histoire en soi est très bonne, mais j'ai un peu décroché avec le dénouement. Venant du Maître de il y a 15 ou 20
ans, on aurait pu avoir droit à un final complètement déjanté et tordu, au vu des possibilités qu'offrait cette histoire - j'aurais bien vu le
personnage se faire pourchasser ad vitam sur cette route pour ses ouvriers, ça aurait été paradoxalement jouissif. Mais non, le King
"pantouflard" de 2010, termine ça par un tête-à-tête et une poignée de main. Mouais. Quand on y réfléchit, c'était peut-être la manière la
plus logique de conclure cette nouvelle, mais je sais pas, j'ai trouvé ça un peu trop "facile". Bref, excellent concept, mais la conclusion
m'a laissé sur ma faim.
- Laissés-pour-compte : Très jolie histoire sur le 11 septembre et ce qu'il peut rester des êtres chers perdus. le surnaturel n'est peut-être
ici qu'un prétexte pour aborder ces thèmes-là - sans parler de "l'hommage" que
Stephen King voulait rendre aux disparus de cette tragédie - mais c'est
fait avec coeur et sensibilité. Je n'ai pas adoré cette histoire, mais elle est tout à fait justifiée de la part de l'auteur, qui nous rappelle
qu'il y a un homme (un citoyen américain concerné par son pays) derrière le romancier de l'horreur.
- Fête de diplôme : King-le-citoyen de retour, avec un bref récit parlant de façon pas si détournée que cela des attentats du 11 septembre.
J'ai bien aimé les images et l'impression de catastrophe imminente qui se dégage des derniers paragraphes, mais "l'enrobage" est tellement
fade (désolé mais c'est mon opinion) que j'ai trouvé l'ensemble plus anecdotique qu'autre chose. Bref, je n'ai pas été conquis du tout.
- N. : Là par contre, chapeau bas : on a droit à du Steevie en grande forme, s'inspirant allègrement du Grand
Lovecraft - même si l'auteur s'en défend en citant
Arthur Machen ; l'un n'empêche pas l'autre ceci dit. En plus de ses inspirations, le récit nous happe dans une spirale de paranoïa, à travers le personnage de N. souffrant de TOC aussi obsessionnels que flippants. Tout cela donne une ambiance assez oppressante au récit et légèrement schizo qui colle parfaitement au sujet et aux angoisses de N. - qu'il refile peu à peu à son psy. D'ailleurs, cette transmission du "mal" d'un personnage à l'autre me rappelle un peu "
Le Horla"
De Maupassant et d'autres histoires du genre où la folie mais aussi les dangers les accompagnant (qu'on ne sait pas trop s'ils sont réels ou non) contaminent les gens les uns après les autres. En outre, c'est aussi une des nouvelles les plus longues et travaillées du recueil. Au final, j'ai vraiment été pris par cette histoire et j'ai passé un très bon moment. La nouvelle a même été adaptée en BD, ce qui est un bon indicateur de la qualité de celle-ci. L'une des meilleures nouvelles de ce recueil et incontestablement la plus Kingienne du lot. Une très grande réussite.
- Un chat d'enfer : Après avoir terminé cette histoire (sur un petit sourire vicieux), je me suis fait la réflexion qu'elle aurait facilement pu figurer sur "
Brume" ou d'autres de ses anciens recueils. Quelque chose d'assez violent et dérangeant à la fois, tenant de la mise-en-bouche sanglante, comme l'auteur savait si bien le faire, il y a quelques décennies. Je n'ai pas du tout été surpris en lisant les notes à la fin, disant que cette histoire avait été écrite il y a longtemps et qu'elle attendait sagement son heure depuis. Amusant et vicelard, ça nous rappelle le bon vieux King d'antan.
- le
New-York Times à un prix spécial : Mouais... Belle intention derrière, mais sans intérêt pour ma part, au suivant.
- Muet : Un peu pareil, celle-ci ne figure pas parmi les anecdotiques, elle est un minimum travaillée mais elle ne m'a pas vraiment transporté et la chute ne m'a du tout convaincu. Quelques bonnes idées, mais un fil conducteur plutôt plat et un personnage que j'ai trouvé aussi transparent qu'inintéressant.
- Ayana : Jolie histoire, mais qui encore une fois, a un peu peiné à vraiment m'accrocher, malgré des idées sympathiques. Là encore, je trouve que le Maître n'a pas très bien su traiter ses idées, malgré une plume de qualité, dans un ton mélancolique et un peu nostalgique qui m'a rappelé "Willa". Mais dans le fond, je n'ai pas trop accroché et je n'ai pas pu m'empêcher de penser "tout ça pour ça ?" Comme si le King d'aujourd'hui n'écrivait plus maintenant que pour le plaisir d'écrire, sans chercher à aller plus loin. Mais encore une fois, ce n'est que mon opinion personnelle, chacun le ressent à sa façon.
- Un très petit coin : Et on finit par un long récit scabreux qui clôt admirablement bien ce recueil. En lisant cette histoire, on a l'impression que
Stephen King écrit avec un plaisir enfantin et du coup, c'est communicatif et même si c'est pas très ragoutant, on suit avec attention en s'accrochant au destin du personnage. Et toujours chez les personnages de l'auteur, cet instinct de survie qui dépasse tout (comme dans "Le goût de vivre", par exemple) et nous laisse admiratif devant tant de courage et de détermination. Et puis de toute façon, même si le sujet est limite-limite, l'écrivain du Maine en est arrivé à un stade de sa
carrière où il peut tout se permettre, que l'on adhère ou non. C'est aussi ça qui fait son charme - ce côté "suivez-moi si vous voulez, de toute façon c'est moi qui conduit" - et quand il tape dans le mille, c'est tellement bon et jouissif qu'on lui pardonne tout... ou presque. Donc voilà, j'ai trouvé cette nouvelle très sympa et parfaite pour terminer ce recueil.
Pour conclure, ce conteur hors normes nous transporte, en quelques lignes, dans un univers familier et inquiétant, que l'on glisse de l'étrange au fantastique sans s'en apercevoir. du pur
Stephen King sang pour sang garanti et frissonnant. Un recueil succulent que je vous recommande vivement.