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Victor Klemperer (1881-1960), était un Allemand, professeur de littérature française à l'université de Dresde, Juif marié à une "aryenne". L'arrivée au pouvoir des nazis entraîne pour lui une restriction croissante des libertés. Il perd son poste à l'université et doit travailler comme ouvrier. Il n'a plus le droit de posséder ou de lire que des "livres juifs" -puis bientôt plus aucun. Lui et sa femme sont astreints à vivre dans une "maison de Juifs" -dont je découvre l'existence- sorte de ghetto miniature, comme son nom l'indique. Il n'a plus le droit de verser à la SPA locale une cotisation pour les chats car les animaux qui vivent chez des Juifs sont considérés comme "perdus pour l'espèce". Plus tard ces animaux domestiques ont été pris et tués.

Face à toutes ces humiliations et violences, Victor Klemperer montre du courage et résiste à sa façon. Pendant douze ans il a tenu un journal dans lequel il a relaté, observé, étudié comment le nazisme avait réussi à attirer à lui une majorité d'Allemands, à leur imposer sa langue et ses concepts pour les empêcher de réfléchir. S'il arrive à comprendre que des gens peu instruits se soient laissé prendre, il ne pardonne pas aux intellectuels qui ont suivi les nazis : "Comment a-t-il été possible que des hommes cultivés commettent une telle trahison envers la culture, la civilisation, toute l'humanité ?"

Après la guerre les Klemperer font le choix de rester à Dresde, en RDA. En 1949, Victor publie, à partir de ses notes, LTI, Lingua Tertii Imperii, La langue du III° Reich.

Le titre est une allusion aux nombreux sigles et acronymes dont le nazisme a été friand pour se donner de l'importance : BDM (Ligue des filles allemandes), HJ (Jeunesses hitlériennes), DAF (Front du travail allemand)... Un même but est atteint par l'emploi de mots d'origine étrangère alors que, en parallèle, les noms de lieux à consonance serbe de l'est de l'Allemagne sont germanisés.

Des mots changent de valeur, du négatif au positif ou l'inverse. Ainsi le "fanatisme" devient une vertu. Un "fanatique" est un passionné. Göring est un "ami fanatique des animaux", les troupes allemandes "combattent fanatiquement".

Autre exemple de la mutation de la langue que j'ai relevé : l'emploi du superlatif, notamment dans les communiqués de la Wehrmacht. Les prises de guerre se comptent par milliers et dizaines de milliers. Les morts du camp ennemi sont "innombrables", d'un nombre "inimaginable". Il s'agit de masquer la vérité pour empêcher les gens de réfléchir. Victor Klemperer qualifie la LTI comme une "langue qui poétise et pense à ta place".

Cette étude de l'évolution de la langue sous le III° Reich est vivante. L'auteur s'appuie sur toutes sortes de documents qu'il a collectés et sur des anecdotes qui montrent aussi des aspects de la vie quotidienne à cette époque. Ainsi, en octobre 1933, on prélève sur les salaires des Allemands, une "contribution volontaire au secours d'hiver". Il s'agit en fait d'un nouvel impôt qui ne dit pas son nom. Les étudiants désertent les cours, pris par le "sport militaire" et autres manifestations analogues. C'est cet aspect de vie quotidienne que je recherchais dans LTI, cité dans la préface de Quand les lumières s'éteignent. J'en ai apprécié la lecture qui donne aussi à réfléchir sur l'utilisation qui peut être faite de la langue aujourd'hui. Les nazis se disaient anti-système...

J'en termine avec un hommage à Eva Klemperer, épouse de Victor, à qui est dédié cet ouvrage et c'est bien mérité. Cette femme courageuse a soutenu son mari dans l'épreuve, elle a pris des risques pour lui fournir livres et documents et pour cacher ses notes.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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Une vision passionnante sur la manière dont ce juif, protégé au moins du pire par son mariage avec une "arienne", a vécu la période de discrimination, d'expulsion de son logement, de restrictions particulières aux juifs, de l'époque nazie, mais aussi, et c'est son sujet principal, qui donne son titre au livre, sur la façon dont les autorités utilisent le langage pour porter leur idéologie : et cela fonctionne au point que ceux qui ne partagent pas du tout le moindre enthousiasme pour le régime (et notamment ses victimes) en arrivent à parler comme les autres en utilisant les mêmes formules nouvelles ou anciennes, mais avec le sens nouveau que leur imposent les manipulateurs totalitaires du langage.
Quelle leçon pour notre temps, même si nous sommes à des années lumières de cette époque horriblement tragique!
Cela dit, l'auteur ne se rend pas toujours compte de ce que les mécanismes qu'il démonte sont à l'oeuvre tout à fait naturellement même quand ils ne sont pas consciemment utilisés par tel ou tel groupe. Et, pris par son analyse, il généralise à des exemples peu probants.
L'exclusion des juifs mariés à des ariens des mesures de déportation et d'extermination qui avait permis jusque là à Klemperer de survivre, devait prendre quand, la veille du jour prévu pour l'application de cette mesure, un terrible bombardement a détruit une grande partie de la ville de Dresde ; cela lui a permis, profitant de l'extrême désordre dans les administrations publiques et leurs archives induites par les destructions, de prendre une autre identité, et de fuir comme "arien", échappant ainsi au sort funeste qui lui était réservé.
Certains passages laissent filtrer une sorte d'indulgence vis à vis de l'autre régime totalitaire, celui des soviétiques, indulgence qui, malheureusement, le conduira ensuite à s'accommoder parfaitement des conditions de vie (privilégiées pour ce qui le concerne) qui lui seront offertes comme dignitaire de la RDA.
Comment comprendre que des gens comme lui, (et comme Anna Seghers, pour prendre un autre exemple) aient pu ainsi prêter le poids de leur notoriété à un tel régime après avoir tant souffert sous le totalitarisme criminel qu'ils ont si bien décrit ?
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Victor Klemperer naît un peu avant la fin du XIXe siècle dans cette Pologne qui fait partie de l'Empire Allemand. Philologue, il participe à la Grande Guerre, enseigne, écrit des ouvrages sur la littérature française, se convertit au protestantisme avant d'opter pour l'athéisme. C'est un Allemand, bourgeois, marié à Eva, qui mène une vie confortable et épanouie jusqu'au mois de janvier 1933 et l'arrivée d'Hitler et des nazis au pouvoir. Lui qui a toujours été Allemand et peu soucieux des affaires de la religion, se retrouve soudain aux prises avec sa judaïté d'origine, qui fait une quasi- irruption dans sa vie et la fait basculer. Il perd d'abord sa chaire à l'université, ne peut plus enseigner, n'a plus accès aux livres, subit toutes les lois de Nuremberg liées aux Juifs, mais marié à une Aryenne, n'est pas déporté mais relégué dans une Judenhaus, une maison pour Juifs, doit travailler 10 heures par jour dans une usine, subir les brimades, le harcèlement, les menaces et les humiliations de la Gestapo. Car sa vie ne tient qu'à un fil. Un petit faux pas, une humeur amère d'un nazillon, et c'est le camp et la mort. Dans ce contexte, l'homme "asservi" reste libre dans sa tête. L'esclave à la chaîne, obligé de porter à partir du 19 septembre 1941, l'étoile jaune ( " le jour le plus sombre de sa vie" ), tient depuis l'arrivée au pouvoir d'Hitler et de son "clan", un journal, des carnets en fait, où tous les jours ce philosophe philologue, observe, réfléchit, analyse chaque mot, chaque expression de la novlangue au pouvoir. Il se lève à trois heures et demie chaque matin pour accomplir (au péril de sa vie... Eva est chargée de mettre les carnets en lieu sûr)ce travail de témoignage et de résistance avant de se rendre à l'usine. Tous les matériaux dont il peut disposer : ses oreilles à l'usine, dans le tram, la rue, la radio ( peu ), ses yeux et quelques articles de journaux dissimulés, des affiches, des livres clandestins sont la précieuse substance, la matière qui constitue cette extraordinaire somme de résistance, de ténacité, de courage et de volonté que sont ces carnets qui témoignent à travers le temps et pour l'histoire du comment et du pourquoi de ce que fut la LTI ( la Lingua Tertii Imperii ), la langue du troisième Reich... un nouveau langage totalitaire.
"Mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde", disait Camus. C'est ce à quoi se sont employés les nazis durant 12 longues années , avec la volonté de décerveler un peuple et de l'asservir.
Nous avons tous des exemples de cette LTI qui nous viennent à l'esprit en pensant à cette période. "La solution finale" est l'un d'eux... une expression à première vue assez "banale" qui servit à cacher le plus monstrueux des crimes commis par l'humain. le "Stuck"... ce "morceau", qui servait à désigner en les réifiant les déportés. le " fanatisme" devenu dans la langue totalitaire synonyme d'héroïque et de vertueux. le peuple "Volk" inlassablement martelé : la fête du peuple, le camarade du peuple, la communauté du peuple, proche du peuple, étranger au peuple, issu du peuple, la voiture du peuple ( la célèbre Volkswagen), et le fameux slogan une nation un empire un chef " ein Volk ein Reich, ein Führer... Et puis il y a aussi et en plus l'usage des superlatifs, des mots étrangers, des prénoms "germaniques ou germanisés" donnés aux nouveau-nés, le langage sportif et plus particulièrement celui de la boxe, le vocabulaire "heureux, héroïque, mythifié" des annonces mortuaires pour les soldats tombés au front, le "Juif" untel qui précède le nom de celle ou de celui qu'on appelle et qui doit répondre par "le juif untel est présent"... vous imaginez les conséquences à terme et pour les malheureux Juifs et pour les Allemands-nazis d'une telle pratique...
On pourrait multiplier les exemples, mais votre lecture s'en chargera.
Ce qu'il est bon d'ajouter, c'est que ce journal n'est pas un répertoire, mais un travail philologique vécu dans un contexte décrit, expliqué, ressenti.
Les mots seuls n'auraient pas suffi sans les grandes messes hitlériennes, sans le rituel, les uniformes, les chants, l'annonce des victoires et celles des défaites et de la capitulation...
Victor Klemperer résistant de l'ombre, fait partie intégrante de la grande Histoire et son travail unique et irremplaçable durera plus de mille ans... Oups, voilà que je tombe dans le piège de la LTI. Méfions-nous des mots... ils savent de nous des choses que nous ignorons d'eux, a écrit le Capitaine Alexandre.
Un bouquin qu'il est bon d'avoir lu.
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Décrypter le mensonge de la langue moderne

À l'heure où certains se bouchaient les oreilles, Victor Klemperer, philologue juif allemand marié à une “aryenne”, a décidé de les ouvrir bien grandes. Il a noté, jour après jour, tous les mensonges distillés dans la langue allemande par le régime Nazi ; tous les mots inventés, greffés comme des tumeurs pour mieux empoisonner et tuer la conscience. Il a scruté l'ombre qui prenait de l'ampleur en écrivant, en analysant le virus injecté dans la langue. Son diagnostic : “LTI, la langue du IIIème Reich”.

Sa survie en Allemagne fut possible uniquement grâce son mariage avec une femme allemande. Et cette survie fut rude. Son livre est une sorte de journal testamentaire, qui nous exhorte à ne pas sombrer dans la paralysie de l'esprit, à ne pas abandonner l'esprit critique qui fait les consciences libres et lucides. La pensée doit être vive pour contrer le désastre.
La langue est changée, la langue change encore. du poison est insufflé en elle. le mensonge court, il grandit de jour en jour.

La langue que nous servent nos “flics” de la crasse médiatique, est une langue qui ment, une langue taillée pour les morts.
À nous de savoir la décrypter, à nous de veiller dans la grisaille du siècle, l'esprit alerte et en mouvement - afin de dérégler la fréquence du mensonge.

Le sens a pris du plomb dans l'aile. Les chasseurs sont puissants. Mais le gibier du langage ne mourra pas s'il scintille dans nos veines, s'il diffuse du sens, s'il est porteur de chair vivante et non de morte carne.

Les loups ont pris possession du bois. Et la forêt moderne en est venue à cacher l'arbre du sens.
Le sens des mots est une sève vitale. “La parole est un morceau de chair” ainsi que le disait Rûmî, ce grand savant, poète et mystique persan, fondateur de l'ordre des derviches tourneurs au XIIIe siècle.

La langue qu'on nous propose est un fruit vide, une flamme éteinte, une chose désincarnée.
Plus que jamais, nous avons besoin d'êtres de feu pour brûler la paille du mensonge.

© Thibault Marconnet
30/01/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Je parle, tu parles, nous parlons....On communique, on s'exprime. Nous aime l'argot ou au contraire la belle langue élégante. On a son propre langage issu de son milieu, son quartier, son travail. On argumente car on a le vocabulaire. On imagine car on créée de nouveaux mots ou on introduit des mots étrangers. La langue c'est tout cela et bien au-delà encore. C'est ce que nous montre de façon glaçante V. Klemperer dans LTI. Pourquoi glaçante ? Car les régimes totalitaires et le régime nazi en l'occurence ont compris l'importance de la langue, du langage, de la communication etc...dans l'asservissement des masses, dans leur réduction à rien leur permettant du coup d'organiser le pire. En réduisant la langue, le langage, la communication, ils ôtent toute possibilité de réflexion, de prise de conscience de l'Homme et de la Femme sur ce qui se passe autour d'eux. V. Klemperer en étudiant ces aspects extrêmement négatifs, violents et anéantissant montre combien savoir parler sa langue, maîtriser le langage, savoir communiquer sont vitaux pour chacun d'entre nous, pour notre réalisation, pour notre avancement dans notre condition socio-économique, culturelle, sociale, philosophique etc...etc... D'autres après sont venus et ont confirmé ce que V. Klemperer a réussi à expliquer simplement dans LTI. Je pense notamment à George Orwell dans 1984. Comment ne pas penser à LTI et V. Klemperer quand on lit la douloureuse histoire de Winston ? Je pense aussi à orange mécanique d'Anthony Burgess et son travail sur la langue qu'il fait. Alex choisit librement l'ultra-violence notamment par le vecteur de la langue qu'il parle, qu'il maîtrise et qu'il pratique avec ses comparses. Cela ne l'empêche pas de réfléchir, d'assumer son choix et de se projeter mais cela révèle aussi ses limites.
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Dès 1933, le philologue allemand Victor Klemperer s'est employé à décortiqué la langue utilisée par les Nazis, langue qu'il nommera LTI, la Lingua Tertti Imperii. Car s'il s'agit toujours de l'allemand, son vocabulaire, sa syntaxe, ses expressions et son intention se modifient peu à peu pour former un véritable langage totalitaire, appareil d'une propagande globale qui, peu à peu, s'insinue dans les esprits et le quotidien, modifiant peu à peu et discrètement, toute une manière de considérer le monde et les hommes.

Ce texte est écrit à partir des journaux de Klemperer et s'appuie sur nombre de sources (discours officiels d'Hitler, Goebbels et autres dignitaires nazis, faire-part de naissance et de décès, journaux, livres, brochures, conversation…). À première vue, il est assez compréhensible, écrit de manière accessible. Mais il est intimement lié à l'histoire d'un pays que je ne connais que partiellement, et toujours d'un point de vue extérieur et français – orienté en définitive. J'ai donc parfois manqué de références, mais cela ne m'a pas empêchée d'appréhender globalement le propos de l'auteur. de même, la non-maîtrise de la langue allemande a parfois entravé ma compréhension : mes huit ans de cours paraissent bien loin et ne m'aident pas beaucoup pour saisir les nuances entre les termes. Nuances qui pourtant sont essentielles, car ce sont elles qui sont constitutives de l'évolution profonde et insidieuse de la langue du Troisième Reich.

En dépit des difficultés que j'ai pu rencontrer, cette lecture a été riche et, plus de quatre-vingts ans après, elle ne peut qu'appeler à la vigilance face à la manipulation des mots – par les médias, les grands groupes et les politiques notamment – car le monde contemporain n'est certainement pas à l'abri.
Lien : https://auxlivresdemesruches..
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'il faut lire ce livre car il nous en apprend tant sur une période qu'on voudrait à jamais voir bannie et fait réfléchir sur la langue du monde politique qui veut manipuler plus que convaincre. Rosa Montero dans « la folle du logis« en parlait et elle m'a rappelé que je voulais le lire depuis longtemps. À mon tour de venir conseiller cette lecture à toutes celles et tous ceux qui se posent des questions sur le nazisme en particulier sur l'antisémitisme des Allemands. Ce pays hautement civilisé qui en 1933 permit que l'on inscrive à l'entrée de l'université de Dresde où Victor Klemperer enseignait la philologie :

« Quand le Juif écrit en allemand, il ment. »
Comment cet homme qui se sent tellement plus allemand que juif peut-il comprendre alors, qu'aucun de ses chers confrères n'enlèvent immédiatement cette pancarte ? Cet homme qui a failli laisser sa vie pour sa patrie durant la guerre 14-18 ne peut accepter le terrible malheur qui s'abat sur lui. Pour ne pas devenir fou, il essaie d'analyser en bon philologue la langue de ses bourreaux. Il cachera le mieux qu'il peut ses écrits et leur donnera une forme définitive en 1947. Comment a-t-il survécu ? contrairement à son cousin Otto le chef d'orchestre, il est resté en Allemagne, marié à une non-juive ; il a survécu tout en subissant les lois concernant les Juifs alors qu'il était baptisé depuis de longues années. La veille des bombardements de Dresde, il devait être déporté avec sa femme, les conséquences tragiques du déluge de feu qui s'est abattu sur sa ville lui ont permis de fuir en dissimulant son identité.

Son essai montre de façon très précise comment on peut déformer l'esprit d'un peuple en jouant avec la langue et en créant une pseudo-science . Il semble parfois ergoter sur certains mots qui ne nous parlent plus guère, mais ce ne sont que des détails par rapport à la portée de ce livre. Il est évident que Victor Klemperer réussit à survivre grâce à l'amour de sa femme et le dévouement d'amis dont ils parlent peu. Il est tellement choqué par la trahison des intellectuels de son pays qu'il a tendance à ne rien leur pardonner et être plus attentif aux gens simples, qu'ils jugent plus victimes du régime que bourreaux . Pour ceux qui avaient la possibilité de réfléchir, il démontre avec exactitude qu'ils ont failli à leur mission d'intellectuels. Malheureusement dans un passage dont je cite un court extrait, on voit que sa clairvoyance s'est arrêtée au nazisme et qu'il est lui-même aveuglé par l'idéologie communiste. le livre se fait poignant lorsque Victor Klemperer se laisse aller à quelques plaintes des traitements qu'il subit quotidiennement. Que ce soit » le bon » qu'il reçoit pour aller chercher un pantalon usagé réservé aux juifs, puisqu'il ne peut plus acheter ni porter des vêtements neufs, ou le geste de violence qui le fait tomber de la plate-forme du bus, seul endroit que des juifs peuvent utiliser dans les transports en commun. Avec, au quotidien, la peur d'enfreindre une des multiples règles concernant les juifs et l'assurance, alors, d'être déporté : avoir un animal domestique, avoir des livres non réservés aux juifs, dire Mendelssohn au lieu du « juif Mendelssohn », sortir à des heures où les juifs n'ont pas le droit d'être dehors, ne pas laisser la place assez rapidement à des aryens, ne pas claironner assez fort « le juif Klemperer » en arrivant à la Gestapo où de toutes façon il sera battu plus ou moins fortement … un véritable casse-tête qui fait de vous un sous-homme que vous le vouliez ou non.

Lors de la réflexion sur le poids des mots et des slogans en politique, j'ai pensé que nous avions fait confiance à un parti qui s'appelle « En marche », et que ces mots creux ne dévoilaient pas assez, à travers cette appellation, les intentions de ceux qui allaient nous gouverner. En période troublée, les mots comme « République » ou « Démocratie » sont sans doute plus clairs mais engagent-ils davantage ceux qui s'y réfèrent ?
Lien : http://luocine.fr/?p=8478
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Roland Barthes écrivait toute langue était fasciste. Exagérait-il? Ce livre montre comment une langue, l'allemand, s'est transformée et a transformé le monde qui l'entourait au point de pousser des millions d'êtres humains au crime et à l'humiliation. Victor Klemperer, philologue juif allemand, montre comment la langue de tous les jours, celle des journaux, celle des conversations, celle de la rue, contraint ceux qui n'y résistent pas - et peu résistent - à penser comme les nazis, à donner un sens positif à des mots péjoratifs comme "fanatisme", à cacher les défaites de la Wehrmacht, à cristalliser un juif essentiel sur le lequel on se déchaînera lors de la Nuit de Cristal et de mille autres nuits d'horreurs, à travestir la réalité, à l'aryaniser (le terme lui-même est en LTI), à rendre acceptable l'inacceptable. Ce livre d'un savant qui fait son métier est un acte de résistance extraordinaire. A l'heure où il était interdit de penser par soi-même, surtout quand on était juif, Victor Klemperer s'acharne à noter tout ce qui rend la langue nazie criminelle, il prend le risque de se faire arrêter et déporter, mais il laisse un témoignage primordial : si on ne se méfie pas de la manière dont la langue est utilisée, elle peut devenir une arme d'une puissance immense parce que sa cible est le cerveau humain. le travail de Klemperer est à poursuivre, car la LTI est sans doute morte, mais d'autres pouvoirs s'emparent tous les jours de la langue pour lui faire dire ce qui est dans leur intérêt et non dans celui de ceux à qui elle s'adresse. La langue est bel et bien fasciste, sauf si ceux qui la parlent sont vigilants.
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"La langue est plus que le sang. " Franz Rosenzweig (cité en exergue)

"Le nazisme s'insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s'imposaient à des millions d'exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente. [...]
[... la langue...] dirige aussi mes sentiments, elle régit tout mon être moral d'autant plus naturellement que je m'en remets inconsciemment à elle. Et qu'arrive-t-il si cette langue cultivée est constituée d'éléments toxiques ou si l'on en fait le vecteur de substances toxiques ? Les mots peuvent être comme de minuscules doses d'arsenic : on les avale sans y prendre garde, elles semblent ne faire aucun effet, et voilà qu'après quelque temps l'effet toxique se fait sentir. Si quelqu'un, au lieu d' 'héroïque et vertueux', dit pendant assez longtemps 'fanatique', il finira par croire vraiment qu'un fanatique est un héros vertueux et que, sans fanatisme, on ne peut être un héros." (p. 38)

Tout était dit en 1945-47 : bien avant Chomsky et "nos" travaux actuels (cf. Les mots sont importants, etc.) d'étude critique visant à démasquer le discours politique par la philologie. Voici aussi une pierre pour l'édifice arendtien ou pour tous ceux qui, incrédules, ne cessent de se demander comment la barbarie nazie a pu avoir raison d'un peuple entier ou pire comment elle peut encore, sous des formes adroitement dissimulées, être bien présente parmi nous contemporains (en France et ailleurs). Mais tout cela serait peu, si l'on n'ajoutait pas les circonstances qui ont vu la naissance de cet ouvrage, acte de résistance et de survie qui a su opposer la raison et l'intellect à des humiliations indicibles et à une progression monstrueuse de dégradations matérielles et humaines ; l'auteur compare ses "notes d'un philologue" au balancier tenu par le funambule, et le tenant. L'analyse du matériau autant que la démarche sont donc - comme l'indique Alain Brossat (postfacier) - un manuel de survie intellectuelle d'une extrême actualité.

Mais venons-en par contre à l'historicité des contenus. Deux aspects sont assez déroutants : l'assimilation allemande de l'intellectuel juif baptisé Victor Klemperer, bien au-delà de son mariage avec celle qu'il qualifie parfois, sans guillemets, d'une Aryenne, était typique d'une certaine classe sociale et culturelle à son époque. Klemperer résiste à être repoussé parmi les Juifs à être privé de sa germanité (souvent par les Juifs aussi), il se sent sans doute plus à l'aise dans l'euphémisation nazie de "chrétien non-aryen", et c'est peut-être aussi l'une des raisons, outre la pudeur, qui le poussent à si peu parler de ses propres conditions - les quelques notes marginales en résultent cependant d'autant plus touchantes et émouvantes d'humanité - ou en général à ne pas faire de son étude un réquisitoire contre les violences (linguistiques) infligées tout particulièrement aux Juifs. Par conséquent, il est aussi très vigilant à l'égard de la contamination des Juifs par la LTI ; en particulier, il dénonce les influences mutuelles (néfastes) entre discours nazi et discours sioniste.
Deuxièmement. Klemperer, après la guerre, a vécu en Allemagne de l'est, largement par choix, et il a été (logiquement) regardé avec une méfiance certaine par les apparatchiks communistes, bien que la dénazification ait été initialement beaucoup plus importante en RDA qu'en RFA. Logiquement, il a dû très vite se rendre compte que ce qu'il dénonçait de la Lingua Tertii Imperii était à l'oeuvre également dans le nouveau régime ; mais considérant son vécu et son âge, il est compréhensible qu'il se soit abstenu de le dénoncer. Peut-être était-il aussi sincèrement communiste, au moins un certain temps. A moins que... Il y a quand même un point très intéressant dans le livre (que les commentateurs que j'ai lus, à ma seule connaissance très limitée, n'ont pas relevé) : il s'agit du très court ch. 23, intitulé "Quand deux êtres font la même chose..." (p. 197-208). le titre est une citation de Térence qui semble bien énigmatique ; l'argumentaire est inhabituellement tortueux, sur un thème tout à fait crucial, à savoir l'expression "matériel humain", comme s'il essayait de brouiller les pistes. Parmi de très précis exemples de détournements verbaux de Goebbels, à un moment il est question indirectement du machinisme en Amérique, puis dans le dernier paragraphe, entre en scène le "bolchévisme" et voilà, par enchantement l'intitulé du chapitre s'éclaircit ! Voici comment :
"La profusion nouvelle de tournures techniques dans la langue du bolchevisme témoigne donc exactement du contraire de ce dont elle témoigne dans l'Allemagne hitlérienne : elle indique les moyens mis en oeuvre dans la lutte pour la libération de l'esprit, alors qu'en allemand les empiétements du technique sur les autres domaines m'obligeant à conclure à l'asservissement de l'esprit." (p. 208) Et, toute dernière phrase : "La métaphore allemande désigne l'esclavage et la métaphore russe, la liberté."
A noter que dans aucune autre ligne du livre il n'est question du bolchevisme, du communisme, ni des convictions politiques de l'auteur.
Je pense que l'antiphrase du développement est ici révélatrice décisive de toute une posture, de toute une vie.
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Certainement le meilleur livre que je n'ai jamais lu. Il est didactique, implacable. C'est vraiment un livre essentiel pour qui veut comprendre le pourquoi de l'aveuglement des allemands sous le IIIème Reich.
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