Dans les bouquins, les histoires d’émigrés, surtout irlandais ou italiens, c’est toujours la même chose : les gens débarquent aux États-Unis, ils font leur beurre et retournent en vacances au pays montrer aux parents qu’ils ont réussi. Si un écrivain veut rompre avec ce cliché, il n’a qu’à s’inspirer de l’exemple de mon père : après avoir débarqué, il a quitté un taudis du Lower East Side pour un autre taudis de Philadelphie puis un troisième dans le Bronx, sans jamais avoir un rond de côté, à part le fric que je lui ai donné. Son rêve n’était pas de finir ses jours en Amérique, dans sa maison, entouré de sa femme et de ses enfants. Pas du tout. Il ne pensait qu’à retourner dans sa ville natale pour y jouer les gros bonnets et aller chaque jour à la trattoria se payer son litron de vin.
J’avais seize ans, j’étais un petit dur, ce qu’on appelle aujourd’hui un jeune délinquant. À l’époque, on disait « un bon à rien », « une graine de voyou ». Si je m’étais fait descendre par un flic en train de piquer la robinetterie dans un appartement vide, on m’aurait enterré en un quart d’heure, point final. J’étais un bon à rien, je vivais comme un bon à rien dans un quartier de bons à rien…
Ce que les gens savent de la taule – je parle pour ceux qui n’y sont pas passés –, ils l’ont appris par des écrivains qui eux non plus n’y sont jamais allés. Autrement dit, ça n’a qu’un vague rapport avec la réalité. D’abord, 99 % des taulards sont à leur place en prison et il faut faire un effort pour les considérer comme des êtres humains. Ce sont des bêtes qui agissent comme des bêtes.
Quand on est môme, on ne passe pas son temps à s’apitoyer sur son sort. Bien sûr, on rêve de mener la grande vie, d’avoir du fric plein les poches, une Cadillac et des tripotées de filles accrochées à ses basques. Mais on ne pleurniche pas sur ce qu’on n’a pas ; on sait déjà que le seul moyen d’avoir quelque chose c’est de le voler.
Ce qui me revient d’abord en mémoire, c’est l’odeur. Impossible de décrire l’odeur de ces vieux immeubles à qui n’y a jamais vécu. Il ne suffit pas de passer la tête dans l’entrée pour renifler, il faut y vivre jour après jour, été comme hiver, et alors elle finit par s’incruster dans votre âme.