Il soutenait par la parole et parfois l’action les mouvements d’émancipation. Ce n’était pas calcul, mais le fruit d’une réflexion à propos d’un progrès qui pour le médecin s’accomplissait par des bonds imprévisibles, aucune règle générale ne fixant à l’avance la succession des âges de l’humanité. Il ne s’indignait pas non plus de la vitesse avec laquelle s’accomplissaient les mutations. Elles étaient la rançon de la rapidité de l’information. Lorsque Voltaire vivait voici deux cents ans à peine, il fallait une bonne année pour que sa pensée la plus récente fît le tour de l’Europe. Aujourd’hui huit jours suffiraient pour que grâce à la radio et à la télé elle parvînt chez les Esquimaux, les Tchèques ou les Japonais. C’était une explication simpliste aux yeux de ceux qui vivent de la philosophie.
Il ne participait plus à la vie du monde. Il s’y intéressait encore, davantage par un souci scientifique de vérifier l’opinion qu’il s’en était faite, à savoir que les hommes peuvent s’agiter, faire des révolutions, massacrer ou embrasser, ils ne sont que les instruments d’une loi de balance universelle contre laquelle ils ne peuvent rien. C’était au fond le sentiment de cette impuissance qui l’avait fait se retirer de la vie active.
La vérité dans mon métier ne se décline pas au singulier. Il y en a toujours plusieurs. Le but à atteindre est de faire triompher celle qui nous est utile. Je ne vous pose donc pas la question stupide : avez-vous fait cela ou non ? D’ailleurs les avocats qui s’imaginent que leurs clients ne leur mentent pas feraient mieux de changer de métier. En outre, cela ne m’intéresse absolument pas de savoir si vous êtes coupable ou innocent, si vous avez ou non violé et étranglé cette fille, si vous êtes un monstre ou non, suivant le mot qui servira le plus souvent à vous définir désormais. J’ai un but et un seul : prouver aux jurés que vous ne pouvez pas être condamné.
Un inculpé, c’est un homme qui attend. Parmi les libertés qui lui sont enlevées, le choix de l’heure est peut-être celle qui lui manque le plus. Il est désormais à la disposition des autres. Il devient un objet que l’on prend en main puis que l’on lâche sans qu’il puisse discuter une minute cet emploi du temps. Les heures de sa vie ne lui appartiennent plus. On a le droit de les utiliser, de les gaspiller, d’imposer d’interminables attentes durant lesquelles l’homme ne sert à rien, n’a aucune raison d’exister.
Souvent, pour ne pas dire toujours, nos clients trébuchent sur les savantes précautions qu’ils ont prises. Nous avons intérêt à les laisser monter quelques machinations. Elles retombent souvent avec un bruit mat.
Le Pacha est un film franco-italien réalisé par Georges Lautner, sorti en 1968, d'après le roman "Pouce" de Jean Delion (Jean Laborde)