Laborde Jean (pseud.
Raf Vallet) – "
Mort d'un pourri" – Gallimard /Série noire, réed. 2021 (ISBN 978-2-07-294443-7) – format 21cmx14cm, 298p.
– avec une préface (pp. 7-13) de Nicolas le Flahec
– réédition de l'original publié en 1972 – photo de couverture : affiche du film éponyme tiré de ce roman, réalisé par
Georges Lautner et sorti en 1977, avec
Alain Delon.
Il y a peu, j'avais relu "
Adieu poulet !" (cf recension), roman du même auteur qui connut un grand succès à l'époque de sa sortie (1974), réédité par Gallimard quasiment en même temps que celui-ci : les problématiques abordées sont toujours d'actualité, le monde dit "des affaires" ne change guère.
Je puis commencer cette recension par le même constat que les précédent : il s'agit tout d'abord d'un roman policier de grande qualité au style sec et dépouillé, doté d'une intrigue rondement menée, de personnages bien campés, bref, un de ces récits de type "machine à lire" que le lecteur lit jusqu'au bout pratiquement d'une seule traite.
La quatrième de couverture résume parfaitement l'intrigue :
"l'assassinat d'un promoteur immobilier et la disparition d'un précieux caher dans lequel il notait tout un tas de petits secrets mettent le gotha politico-financier sur les dents [...] Puis un député véreux et suspect numéro un est liquidé à son tour. La fille du promoteur et le bras droit du politicard feraient de parfaits coupables, mais ni l'un ni l'autre n'ont l'intention de servir de boucs émissaires."
Des décennies plus tard, ça se relit sans peine, le récit n'a pas pris une ride, bien au contraire : les affairistes prospèrent plus que jamais, ils ont même réussi à faire élire à la présidence de la République un Macron à leur mesure et dévotion.
Les lectrices et lecteurs ayant vécu ces années-là – celles de l'après-mai 1968, de l'enterrement définitif du Général de Gaulle, de l'arrivée au pouvoir des technocrates à la Giscard (ancêtre politique direct du Macron), du grenouillage des élus de tout bord –, ces lecteurs reliront ce classique du polar-politique français en y retrouvant toute une ambiance.
Les "cercles informés" auxquels appartenait
Jean Laborde (pseud.
Raf Vallet) étaient alors convaincus que toute la corruption tournait autour des clans issus des "intrigues de 1958 et la guerre civile ratée de 1962", réunissant d'un côté les "barbouzes" du SAC (pp. 66, 94, 118, 193), opposés aux ex-militants de l'OAS (p. 118, 144, 201), finissant par passer alliance pour mieux piller les caisses de l'Etat lors de juteux et gigantesques marchés immobiliers (p. 93, 118, 161) après avoir fait fortune – déjà – dans la drogue (p. 92, 182). Les "évènements de mai-68" avaient vu naître un folklore gauchiste évoqué ici avec humour (p. 118), au fil des allusions aux maos de la "Cause du peuple" (p. 100), sans oublier les vestiges du mouvement hippy avec ses illuminés (jolies descriptions pp. 77-80, 200, 207-209).
C'est là le point faible de ce roman : l'auteur ne voit pas poindre la nouvelle corruption, celle qui va s'épanouir sous l'égide et la protection d'un Mitterrand, roi de la combine, liquidant le Parti Communiste tout en assurant la promotion des Tapie, Strauss-Kahn, et autres magnats "de gauche", magnifiquement incarnés par l'émission "Vive la crise" (22 février 1984) pilotée par un
Yves Montand prônant un "remplissez-vous les poches" avec un cynisme encore jamais vu.
Les "barons" de la droite de cette époque se cachaient honteusement mais construisaient de grands outils industriels, la gauche caviar-bobo s'affichera sans vergogne aucune (affaire Urba, pillage de la MNEF etc) tout en détruisant avec acharnement le tissu industriel, social et mental.
Autre point un peu vieilli : dans années-là, l'auteur croit encore qu'il va suffire de "balancer" certains documents compromettant aux deux journaux faisant trembler les caciques – "Minute" et "Le Canard enchaîné" pour "faire sauter" tout ce petit monde des pourri(e)s (p. 194), en reconnaissant toutefois à plusieurs reprises que le filon semble – déjà à cette époque – fort émoussé : le populo est d'ores et déjà blasé (p. 191).
Quelques décennies plus tard, le monde journalistique est quasi totalement absorbé dans cette mouvance affairiste (qui possède les grands médias), capable de manipuler complètement une élection présidentielle, celle de 2017 aboutissant à un véritable coup-d'état juridico-médiatico-politique de haut vol (qui dévoilera un jour le financement miraculeux de la campagne du candidat sans fortune et sans parti ?).
Rien ne change au royaume du fric et du pognon...
Un roman à lire et à relire – à offrir sans hésitation à tous les "anciens" qui auraient raté cette réédition : souvenirs, souvenirs...