Hymne à la création, lutte avec l'ange, confrontation de l'eau et du feu, ce roman est celui d'Alexeï, né en 1960, année où le gouvernement russe décidait de détourner l'eau des fleuves Syr-Daria et Amou-Daria qui alimentent la mer d'
Aral pour intensifier l'irrigation des champs de coton. «C'est à cette date précisément que la mer a commencé à se vider comme une baignoire.», avec toute la tragédie que cela va entraîner.
Le 3 mars 1971 Alexeï a onze ans. Il se rend alors compte qu'il devient sourd.
Au début il se sent prisonnier enfermé dans sa surdité comme dans une cellule qui le coupe du monde, il est déchiré par une lutte intérieure qui lui fera perdre Zena celle qu'il aime depuis l'enfance, celle qui le relie au monde extérieur. Il frôlera, par moment, la folie.
"Parce que la mer a commencé à s'effacer quand je suis devenu sourd, tout mon rapport au monde et à l'effroi a changé le jour où j'ai dû me dire que si je ne voulais pas mourir de peur, il fallait que je brave l'absence et que je la remplace par quelque chose d'autre. Depuis, ce quelque chose (la musique ? l'amour ? la folie ?) marche à mes côtés."
Le monde aquatique auquel appartient Zena est dévoré par le monde minéral où le sel et le soleil brûle.
p119 "Le jaune soufré du désert qui a remplacé la mer a redoublé d'intensité depuis quelques jours. Seul le vide laisse une trace. Il n'y a rien de pire que l'absence sans limite. A cause d'elle, on s'approche trop près du feu, on se grille la rétine et après on n'a plus que des souvenirs de soleil. Avec Zena, le désert était moins vide. Quand j'y marchais avec elle, je parvenais même à confondre l'ombre des dunes avec celle des vagues."
Alexeï tente de combler, d'apprivoiser l'Absence, absence de l'ouïe qui l'isole, de Zena son amour, de la mer disparue avalée par les sables, en composant un opéra où jaillira la huitième note, cette note née du fond de son silence, du manque. Comment faire entendre cette huitième note, celle de sa musique intérieure qui est aussi celle de Zena enfuie, celle de la mer d'
Aral asséchée à ceux dont l'audition est polluée par la multitude de sons qui viennent les heurter, qui les environnent ?
Cécile Ladjali nous fait partager par la poésie, la force et la sensualité de son écriture, le bouleversement intérieur, la souffrance de la création qui isole, qui peut rendre monstrueux celui qu'elle saisit tout en le menant vers une plus grande liberté et une transfiguration. Au même titre qu'elle sait nous faire sentir et goûter la brûlure du sel, du soleil et assister à la décomposition ambiante.
p21 (L'île de Vozrozhdeniya = Résurrection en russe) "un point mauve sur l'eau morte, Kantubek capitale de l'île bouton de chair malin abandonné au corps chancreux de la région. La mer n'est parvenue qu'à produire cette tumeur qui déjà menace de métastaser et la géopolitique régionale ne joue pas en faveur d'une rémission."
Son roman tout en partant d'une réalité tragique, ressemble souvent à un conte oriental qui, comme la mer d'
Aral, prend "la couleur du bronze flammé".
Désespérant et douloureux, par moments oui, mais pas totalement ni définitivement.
Une note d'espoir parvient à se faire entendre. le lieu où habite Alexeï ne s'appelle-t-il pas Nadezhda qui signifie espérance en Russe ?