Je ne sais pas par où commencer.
Peut-être par le début ? Une masse critique littérature... je jette un oeil... pfiouuu que c'est fade... oh, là, là, ça n'en finit pas de récits de littérature blanche tous plus anxiogènes les uns que les autres... OH ! Mais que vient faire ici ce recueil de contes et légendes d'un pays d'Oc ? OH ! Mais c'est qu'il est en version bilingue en plus ? Allez, je ne coche que lui. Puis vient l'email de la bonne surprise : vous allez recevoir Contes et Racontes du Pays de Rocamadour ! le temps pour le colis de faire son chemin, et hop, le voilà, bien épais et agrémenté d'un CD audio !
L'abbé Jean Laffon ? édité en 2015 ? Recueille les traditions orales de son pays depuis plus de 60 ans ? Mon coeur de crypto-dialectologue s'emballe, la dernière enquête dialectale à laquelle j'ai participé remonte à... pfiouu, trop loin. Mais faut dire que les patoisants passent l'arme à gauche plus vite que ce que les enregistrements sont transcrits... D'ailleurs, mauvaise nouvelle, internet m'apprend immédiatement que Jean Laffon est décédé en 2015, justement. Certainement après la parution de son livre. J'espère qu'il aura pu le tenir entre les mains, et je regrette l'absence d'une nouvelle édition ou d'un addenda à ce sujet dans le livre. Mais passons, et voyons ce que cet abbé féru de contes et de langue occitane a bien pu récolter...
Non, avant il faudra en passer par les préfaces. Bon, allez, je leur donne leur chance.
J'en retiens simplement deux choses : tout d'abord, mon côté puriste va être déçu car
L Abbé a retouché les récits pour les rendre plus "beaux", pour magnifier la langue. Ok ce n'est pas à reprocher à ce monsieur qui n'agissait pas en scientifique, mais je garde ça en tête. Enfin, Jean Laffon devait être bien sympathique. C'est bête à dire mais toute sa vie semble avoir été vouée à un double sacerdoce, le premier lui ayant certainement permis d'entretenir le second, celui qui a permis de forger le présent ouvrage, sa passion pour la langue régionale, les langues régionales, patois, dialectes ou autres étiquettes qu'on voudra leur donner. Ces langues vernaculaires que l'on utilisait entre soi, en famille, entre voisins, lors des veillées (ah, ces veillées,
L Abbé les compare à des séances de thérapie de groupe, nul doute que si de nos jours on passait davantage de temps à discuter au coin du feu qu'à regarder les Anges de la téléralité on serait entourés de moins de cons...).
Bref... une fois ces préfaces très intéressantes terminées, passons aux contes.
Ah, non, j'oubliais, vous savez certainement, si le sujet vous intéresse, que les contes et autres légendes populaires se retrouvent, mutatis mutandis, à des endroits divers et variés, que ce soit dans toute la Romania, pour ce qui nous concerne, voire plus loin, pour ce qui nous relie. Et bien j'ai découvert qu'il existait une classification de ces contes permettant des les relier sur le fond, plus que sur la forme. Ceux présents dans cet ouvrage ont été classés de la sorte, avec parfois de grosses surprises quant à leur résonance.
Passons au coeur du recueil. Les Contes du pays de Rocamadour. Finalement, des contes populaires de langue d'oc recueillis par un habitant de la région.
La structure de l'ouvrage nous permet de mieux appréhender son aspect volumineux car les versions occitanes et françaises se font face, chaque récit prenant donc le double de place dans l'ouvrage. Nul doute que ce sera vite lu (et petit pincement au coeur en imaginant tous les contes qui n'ont pas dû être publiés).
En bon provençal biberonné au patois et entouré de nissart, je tente la version occitane sans m'intéresser au français. Et je comprends enfin l'intérêt de tous ceux qui se battent sous la bannière de l'orthographe unique : c'est clair comme de l'eau de roche pour qui sait lire cette langue (quelques lacunes en vocabulaire pour ma part ^^). Alors certes toutes les variantes dialectales non lexicales (je l'espère) sont lissées et c'est pour cela que l'écoute du CD ne pourra pas se faire en suivant le texte, mais c'est un outil littéraire (politique ?) et non scientifique.
Mais alors, de quoi on parle dans ces Contes ?
J'ai envie de vous dire, de la même chose que dans les autres (cf. la classification mentionnée plus haut), avant tout, et grosso modo, du bien et du mal. le fantastique et le mystérieux servent à effrayer ou enseigner les bonnes pratiques. La vie y est dépeinte comme rurale, pieuse, simple. Les animaux, le travail de la terre. Et malgré une religiosité très poussée, les croyances populaires pré-chrétiennes restent bien présentes.
L'Abbé fait la distinction entre Contes et Racontes, il sépare finalement le merveilleux du fantastique. D'un côté les histoire pour faire peur aux petits, remplies de monstres légendaires ou de créatures fabuleuses, de l'autre celles pour effrayer les grands (les "choses bizarres" vécues par untel ou untel, les "mystères" inexpliqués).
Ce que je retiens de frappant, car je ne vais pas tout décrire, c'est cette mémoire collective qui se transmet par la langue régionale. J'en veux pour preuve la découverte de ce qui deviendra plus tard le site archéologie de Pech-Merle : si l'on en croit l'histoire de l'Abbé Laffon, un petit trou dans la roche était, de manière générale mais discrète, traité avec respect, de génération en génération, sans que personne ne sache expliquer pourquoi ; en allant aux champs, on y jetait une petite offrande. Fort de l'idée que ce type de croyance doit receler un fond de vérité, une expédition se monte pour explorer l'intérieur de la cavité... dans laquelle on retrouvera des peinture pariétales magnifiques (allez voir sur le net). Et ça, rien que par la force de cette mémoire collective entretenue par la langue commune (dans le même ordre d'idée, certains trouvent des trésors vieux de plusieurs centaines d'années sur simples déclarations de vieillards du cru).
Bilan, un livre très intéressant, à de nombreux points de vue. On regrettera seulement certaines coquilles.