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Critique de Michel69004


Et donc voilà. Il n'y a plus qu'à attendre la sixième extinction de masse.
Ou l'avénement d'une astrophysique nous permettant de passer par des trous de vers astraux pour aller s'hybrider avec d'autres espèces, dans les multivers.
Ou attendre une sorte de catharsis générale qui passerait par une psychanalyse obligatoire, la création d'artefacts libérateurs de la procréation, de l'accouchement et de tout ce qui s'en suit.
Ou refondre les structures de la division du travail et mettre toutes les familles sous tutelle. Pratiquer une lutte politique sans pitié contre l'ethno-centrisme et faire de la poésie une priorité mondiale.
Et éradiquer l'altricialité secondaire.

Les structures fondamentales des sociétés humaines est un ouvrage majeur. On parlera du « Lahire » pendant des décennies universitaires, on le rangera au coté de Darwin, Durkheim, Marx, Freud, Levi-Strauss, Testart, Elias, Bourdieu. On le sortira de temps en temps pour lui faire prendre l'air.
À moins, à moins, chers lecteurs que vous ne le lisiez en nombre, qu'il soit l'occasion de débats féconds et multiples, qu'il devienne l'ouvrage anthropologique, ethnologique, éthologique, social et politique de référence et qu'il contribue, car c'est la seule issue, à faire bouger massivement les lignes de forces structurelles qu'il explicite. Il deviendrait alors l'équivalent de l'Ethique sur le plan philosophique : comprendre comment les choses fonctionnent est la seule solution pour recouvrer un chouia de liberté !

Je l'ai lu en plusieurs fois : une centaine de pages avant fin 2023. Je l'ai repris par la fin (Conclusion générale et Post-scriptum) il y a trois semaines. Puis j'ai lu le billet génial d' Hélène @4bis. Je l'ai repris dimanche matin et puis voilà.
950 pages fluides et passionnantes, ça peut se lire assez vite ( compter entre 20 et 30 heures de lecture quand-même).
Il est hors de question que je plagie ou que je résume le résumé d'Hélène. Je vais donc prendre l'ouvrage latéralement et succinctement. Il y a donc une introduction générale, 22 chapitres, une conclusion etc.

« La réalité, c'est ce qui refuse de disparaître quand on cesse d'y croire. »
Nous dit en exergue Philip K. Dick et il faudra toujours garder cette phrase à l'esprit.
Bernard Lahire se refuse à écrire une tautologie …Mais c'est pourtant ce qu'il fait.
Je pense que l'on peut lire très rapidement, voir sauter à pied joint la première partie qui fait s'entrecroiser méthodologie, définition , légitimation , mises en perspectives, méta-lois, lois, principes et invariants. Elle est surtout destinée aux universitaires et aux chercheurs. Lahire explique longuement comment il a procédé, ce que sont les faits sociaux, son champs d'étude, l'irréductibilité de la pluralité théorique ( ce qui ne l'empêche pas de dezinguer Deleuze et Guattari, entre autres), sa lutte contre le relativisme etc.
Il désigne aussi dans quel lignage sociologique il se situe : Radcliffe-Brown, Lévi-Stauss, Héritier, Godelier et surtout Alain Testart.

Les choses sérieuses commencent à la page 247 qui ouvre la deuxième partie : « Ce que les sociétés humaines doivent à la longue histoire du vivant »
Il met en évidence le « Fait de l'altrialité secondaire » qui désigne un fait biologique qui conditionne nombre de contraintes sociales de l'espèce humaine : le petit humain est très longuement dépendant de sa mère/ de son père puis de son entourage. C'est ce qu'il appelle un « Fait anthropologique ».
Puis il va distinguer dix « lignes de force » ( exemple 8: Ligne de force des rapports de domination) avec leurs variations historiques et des lois générales (Loi de la conservation-reproduction-extension par exemple).
La loi de l'attraction des semblables est assez rigolotes:
« En France, ce sont les travaux du démographe Alain Girard qui ont, les premiers, commencé, à la fin des années 1950, à dégager la loi de l'attraction semblables concernant le mariage :
Dans le cadre de l'Institut national des études démographiques, Alain Girard, à la fin des années 1950 - époque où le travail empirique était mal reconnu dans le champ sociologique -, a voulu connaître les principes de la sélection matrimoniale. Aussi, grâce à une enquête portant sur les premiers mariages, estime-t-il les différences et les ressemblances entre les partenaires. « Cherchant des éléments de réponse à la question "qui épouse qui?"», il observe que les « contraintes sociales, l'influence du milieu jouent partout pour limiter très fortement la liberté de choix d'un conjoint par les individus » de telle sorte qu'entre « deux lois opposées, l'attraction des semblables ou l'affinité des contraires, c'est la première qui l'emporte très nettement dans la France contemporaine du point de vue des caractères sociaux des conjoints » [...] Pour Alain Girard, l'homo-gamie reflète le poids des contraintes spatiales et sociales : « La liberté de l'individu... reste enserrée de toute part, aujourd'hui comme hier, dans un réseau étroit de probabilités et de déterminismes qui poussent moins encore à choisir qu'à trouver un conjoint qui lui soit aussi proche que possible »
C'est cette loi fondamentale de l'attraction sociale des proches que théorisait Pierre Bourdieu avec ses concepts d'habitus et d'espace social »

A l'attraction des semblables s'ajoute l'implacable Loi de la domination masculine !!!
Comme je ne veux pas vous perdre, je vais aller à l'essentiel:
« Ne vous intéressez pas sexuellement à ceux que vous avez intimement connus dans vos premières années de vie » etc.

Dans la deuxième partie de cette deuxième partie, Lahire va démonter que l'espèce humaine ne diffère pas structurellement des autres espèces (par exemple de l'hippopotame page556) mais, mais, mais…il y a des différences notables:
Langage verbale, capacité d'abstraction, accumulation culturelle, création d'artefacts ( fusil à pompe, iPhone, raquette de squash etc.) et création d'institutions. Je cite:

« Ce n'est sans doute pas un hasard si les espèces animales jugées particulièrement intelligente (d'un point de vue anthropocentrique) par les éthologues, parce que capables de résoudre des problèmes divers et variés, de garder en mémoire de très nombreuses informations, de manipuler et parfois même de fabriquer des outils ou autres artefacts, etc., sont des espèces qui conjuguent altricialité (longue période de développement, dépendance à l'égard des adultes, soins parentaux et même allo-parentaux), vie relativement longue et cerveaux relativement gros comparativement à des espèces proches. C'est le cas des corvidés (corbeau, geai, corneille, etc.) par exemple ou de nombreux mammifères tels que les éléphants, les dauphins ou les primates non humains?. Mais ces propriétés, portées à un plus haut degré, sont caractéristiques aussi de l'espèce humaine : altricialité secondaire avec ralentissement du développement, très longue période de dépendance, et donc de subordination, à l'égard des parents et très gros cerveau.
Tant qu'on ne saisit pas le lien intime entre ces différentes propriétés de l'espèce humaine, on ne peut véritablement comprendre que l'altruisme, l'empathie et la forte capacité d'apprentissage, autant de traits qu'à peu près tout le monde s' accorde à trouver « positifs », et la dépendance ou la domination, qu'on perçoit souvent comme des traits négatifs, ne sont que les deux faces d'une seule et même pièce. Aucun mammifère altriciel, et les humains pas plus que les autres, n'échappe à cette équation, même si l'espèce humaine est la seule à pouvoir la juger et la critiquer »

La troisième partie de l'ouvrage enfonce définitivement le clou de la Domination:
Lahire nous parle des animaux et je retrouve avec plaisir les travaux de Stépanoff et Morizot. Pour faire très court : chez les bestioles, la domination est partout: « Qui mange qui? » mais pas seulement.
Par exemple les poules (travaux célèbres de la hiérarchisation par coups de bec, Schjelderup-Ebbe page 673)
Chez les humains c'est évidemment bien pire:
Haut/bas, Dessus/dessous, Sec/humide, Actif/passif, Mobile/immobile etc.
Et puis surtout:
Parent/enfant,
Homme/femme :
«  Ces faits que j'ai rapportés, à propos des écrevisses, des chimpanzés et des loups, et qui sont à peu près totalement ignorés par les chercheurs en sciences sociales, montrent que la domination des mâles sur les femelles n'est pas qu'une affaire culturelle et historique, bien que la culture et l'histoire ajoutent leur propre force et leur propre inertie au rapport social de domination. Ces faits de domination sont - comment le dire autrement? - indissociablement biologiques et sociaux, mais pas strictement culturels ou historiques.
Pierre Bourdieu se trompait donc en faisant de la domination masculine un produit purement arbitraire, culturel et historique. L'observation des rapports de domination entre mâles et femelles dans de nombreuses espèces prouve que de tels rapports précèdent de loin l'avènement des capacités de symbolisation, de la culture et donc de l'histoire. »(Page 811)
Vieux/jeunes (domination par l'antériorité),
Détenteurs des pouvoirs magico-religieux, politiques, ethnocentrisme , division du travail etc
La domination est partout, de toutes époques et dans tous les lieux.
Depuis le Paléolithique et même avant.

Alors, très chers lecteurs, que fait-on à présent qu'on a compris le truc ?
Je sollicite votre imagination (comme le suggère Bernard Lahire) pour trouver des contre-poids, des contre-feux…
Mais c'est un peu foutu non?
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