Dans le sillage de l'amour

Qu’allait-elle devenir ? Elle adorait jongler avec son téléphone, son ordinateur et son fax, convaincre des clients récalcitrants, voltiger de rendez-vous en rendez-vous… Elle se faisait l’effet d’une élève punie qu’on envoie au piquet. Dix jours. Dix interminables jours sur un paquebot. Comment avait-elle pu se condamner à un tel bagne ? La réponse tenait en un seul mot : Marvin. Les yeux de merlan frit de Marvin. Les bisous dans le cou de Marvin. Les cadeaux de Marvin. Les cravates bariolées de Marvin. Ce crampon de Marvin ! La seule perspective de le voir rappliquer en France, squatter le palier de son immeuble, la salle d’attente de son bureau, la ligne directe de son téléphone, sa messagerie vocale, son e-mail, sa rame de métro, l’aurait convaincue d’embarquer à bord d’un radeau et de pagayer comme une malade pour échapper à ses darling, it’s me.

Je suis venue ici pour me reposer. Non seulement une escouade de casse-pieds me pourrit la vie depuis le départ, mais il se trouve que j’ai rencontré quelqu’un, un homme qui me plaît, avec lequel j’aurais dû passer une soirée idyllique, magique, céleste ! Seulement maintenant, il me prend pour la fiancée de Cromagnon, une moins que rien qui saute dans les bras du premier venu, tout ça parce qu’un ahuri a voulu me faire une « surprise », avec la complicité de ma mère !

Elle vit les yeux de son compagnon s’arrêter sur ses lèvres, et retint son souffle tandis que son visage s’inclinait lentement vers le sien. Son chapeau de paille glissa sur le sol en pierre. Elle posa les mains sur ses épaules. Un petit frisson d’appréhension la parcourut. Et s’il ne se passait rien ? S’il n’y avait pas de petites étoiles magiques, de carillons mélodieux, de…

Les lèvres d’Alexandre se posèrent sur les siennes et ses pensées se dispersèrent dans une pluie d’étoiles dorées, de petites lumières tournoyantes, de bruissements d’ailes aériens.

Aurélie se concentra. Pas de panique, il y avait forcément une solution. Elle refusait l’échec. Elle l’avait toujours refusé. Elle était celle qui avait réussi à décrocher le contrat Litvak au terme de huit heures de tractations non-stop. Elle avait eu à l’usure ce vieux roublard de Grangier, pourtant réputé dur à cuire. Au bureau, on l’appelait la Guêpe. Elle était capable de zapper d’un seul doigt sur toutes les places financières du monde. Elle n’allait quand même pas baisser les bras à cause d’un ordinateur qui faisait hip hip hip ?

De temps en temps, elle se fredonnait à elle-même : Un jour, mon prince charmant de Wall Street viendra… Mais force était d’admettre que les princes charmants ne se bousculaient pas au portillon et qu’à vingt-cinq ans, l’affaire devenait sérieuse.