Un vieux, un peu grincheux, un peu solitaire, assis sur sa chaise rouillée sur sa terrasse. Il regarde la rue, n'en a rien à foutre, observe en silence, une ‘tite bière frette à la main. Il n'a jamais regardé un épisode de Lady Oscar. Tout ce qui l'intéresse, lui, c'est sa bière, et la bonne température de sa bière. Il attend juste que la mort vienne le chercher, avec sa bière frette. Et il espère qu'elle viendra rapidement.
- Dis, c'est quoi un sandwich à la crème glacée ?
Et pis, y'a Hélène qui veut qu'on l'appelle Joe. Un prénom masculin pour faire comme Lady Oscar du temps de la splendeur de Versailles. Elle ne rate pas un épisode de ce manga japonais et se rejoue dans sa tête et dans sa vie les scenarii, les dangers et les actes de courage de cette lady élevée comme un garçon. Lady Oscar, c'est son initiation à la vie.
Entre ces deux-là, une certaine connivence va s'installer. Ils vont s'apprivoiser. Ils vont apprendre à se connaître. Il faudra quelques temps pour qu'ils s'apprécient vraiment, mais une fois l'amitié scellée, cela sera un bonheur de les voir converser. Elle n'a que huit ans, même si elle déclare en avoir dix. Elle rêve d'exploits assez dignes pour sauver
Marie-Antoinette des malversations de son entourage. Sauf qu'elle doit se contenter de livrer des journaux ou de servir des bières frettes dans une salle de bingo. Il n'attend plus rien de la vie, si ce n'est qu'elle lui foutte la paix (la vie) en s'évadant rapidement de son corps déjà froid (tiens, une douleur dans le bras gauche, sueurs et palpitations, serait-ce le bon moment).
La mère de Joe est très occupée de par ses activités, elle ne plaisante pas à la maison, discipline discipline, un point c'é toute. Son père, finalement peu présent, est occupé à être triste et malheureux. Joe se retrouve donc souvent livrée à elle-même, avec petits boulots contraignants et éreintants, juste pour gagner quelques piastres et aider sa famille à vivre mieux dans ce quartier populaire et ouvrier.
Le vieux Roger se dit vieux, se dit prêt à mourir, mais en attendant est toujours présent pour aider Joe ou sa famille, toujours là pour un bon conseil, un coup de main, ou une épaule sur laquelle Joe pourra épancher ses rêves ou son spleen. Je l'aime bien ce Roger, je sens qu'il me ressemble, en plus il est fort en sacrement, il me fait sourire, cet ours mal léché qui au fond a bon fond.
Connivence, j'ai déjà dit. Amitié solide, épaules partagées. Quelle tendresse à les voir se quereller gentiment ou rire gaiement, ou regarder les étoiles et la lune en dégustant un sandwich à la crème glacée (alors oui, si tu es comme moi, tu te demandes ce qu'est un sandwich à la crème glacée ; parce que non avant ce roman je ne savais pas ce qu'était un sandwich à la crème glacée, pourquoi pas deux tranches de pain avec une glace à l'intérieur…les québécois ont parfois de drôles d'idées)
Hélène est un tout petit bout de femme pas encore femme mais qui grandit trop vite pour pouvoir aider toute sa famille. Roger est cet homme qui aurait pu devenir aigri et acariâtre en attendant la mort si son chemin n'avait pas croisé celui de Joe. Et entre les deux et une plume tout en douceur, en gentils jurons et en franc parler du Québec, ce petit roman est une petite douceur d'émotion et de bons sentiments.
- Putain que ça a l'air bon un sandwich à la crème glacée…
Et je crois qu'à la fin de ma bière frette, je me souviendrais longtemps de leur histoire et de ce maudit Saint-Cibolaque d'ostie de christie de Viarge de Saint-Sacrament. Toute la poésie du monde québécois en un juron, comme des marshmallows au sirop d'érable crépitant sur un pic autour d'un feu de camp, une mélodie de
Roch Voisine crépitant du poste de radio.
Ce roman, 50 % sirop d'érable, 50 % joual !
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