Genre: total bad trip
Avant d'ouvrir le dernier opus d'
Hervé LE Corre, maitre incontesté en France du roman noir, il convient de prendre un certain nombre de précautions:
-Si vous n'avez pas de « panic room » ou d'abri anti-nucléaire, mettez-vous rapidement en contact avec un aménageur type Bünkl pour vous doter d'une forteresse sécurisée à domicile. Ça existe même en kit..
-Evidemment, si vous avez ce qui faut, prévoyez groupe électrogène, réserves alimentaires, eau, armes (très gros calibres si possible), médicaments etc. Pas besoin de livres, vous n'aurez de toute façon plus la tête à ça.
-Comme c'est assez onéreux et volumineux, il existe des alternatives :
ne pas lire ‘'
qui après nous vivrez'', le lire pendant une période propice à la sécrétion de sérotonine ( été austral, début de relation amoureuse, adoption d'un chien etc.), le lire sous anti-dépresseurs+anxyolytiques, le lire en lecture partagée avec de chouettes babel-potes etc.
-Vous l'avez compris, évitez absolument les périodes dépressives ou paranoïaques, cela finirait mal et je ne ne veux pas avoir cela sur la conscience.
-Adhérez à une secte post-apocalyptique, il y en a partout, c'est un peu chronophage mais parfaitement rassurant
-Décidez (oui, c'est mon cas!) de tout lire
Hervé le Corre, le meilleur (
Après la guerre) et le pire (Prendre des loups pour des chiens)
Si après les cinquante premières pages, qui décrivent une demi-douzaine de viols et de nombreux massacres, vous êtes toujours là, alors c'est bon, vous êtes prêts pour la suite.
Qui après nous vivrez est une dystopie terrible, crépusculaire, qui s'étire sur une centaine d'années entre 2050 et donc 2150.
Les épidémies, les catastrophes climatiques, les émeutes urbaines, les guerres civiles, les migrations climatiques ont ravagé le monde jusqu'au Big One : une coupure d'électricité mondiale. Fini, nada, plus rien, y'a plus qu'à se débrouiller.
Se débrouiller pour survivre, bien sûr, car 90% de la population va périr dans d'atroces souffrances.
Le début de l'action se passe dans une grande ville française, on pense à Bordeaux , et se centre sur Rebecca, Martin (son compagnon) et bébé Alice. Martin disparait vite fait, la tête arrachée par une grenade, et le récit proprement dit démarre. Rebecca et Alice doivent fuir.
Disons quelques mots du schéma narratif plutôt original (même si on déjà lu beaucoup plus tordu) :
Tout au long du livre nous suivrons une lignée matrilinéaire séquencée :
Rebecca et Alice, puis Nour et Clara, puis Alice et Nour et ça recommence, Rebecca et Alice etc. Chaque fois de courts chapitres qui comblent astucieusement les vides chronologiques . Rebecca est la mère d'Alice qui est la mère de Nour qui est la mère de Clara. Mais on ne s'y perd pas trop. D'abord parce que le lecteur n'est pas idiot et que le Corre le prend bien par la main, ensuite parce que si on rate une pendaison, une énième scène de viol ou un père qui égorge son enfant avant de se donner la mort, ce n'est pas si grave, il y en aura d'autres jusqu'au bout du bout.
On ne peut échapper à la redondance du malheur et de l'ignominie. L'humanité se déshumanise et dés qu'il y a un peu d'espoir, le lecteur peut être sûr que la violence va le rattraper au tournant de la page suivante.
Alors il faut reconnaitre des qualités à ce roman, quintessence du Sombre, du Noir, de l'Outre-noir même. Oui, c'est ça exactement ça un roman outre-noir.
Hervé le Corre est un excellent écrivain. Il trempe sa plume dans le sang et la cendre mais parfois une aurore bleuit toute cette horreur et la rend presque belle.
L'auteur a les mots pour dire l'amour et la fraternité mais il ne les distille plus qu'au compte goutte, au coin d'oxymores dont il raffole ou d'adjectifs pudiques, raffinés.
On pense beaucoup à La route, à On était des loups, à La servante écarlate, à la Constellation du chien et à Station Eleven .
Il faudra désormais penser à « qui après vous vivrez ». Car il ne nous reste qu'une vingtaine de bonnes années.