J'ai pratiquement tout lu de
Pierre Lemaître que ce soit dans sa veine polar/roman noir ou comme auteur de fresque sociale et familiale; c'est dire que j'étais impatiente de lire ce premier tome d'une nouvelle trilogie après celle des "Enfants du désastre" qui se situait dans l'entre-deux guerres; bien sûr, j'avais des attentes et je n'ai pas été déçue, tout au contraire.
Cette fois,
Pierre Lemaître nous immerge dans la famille Pelletier, de mars à novembre 1948. L'histoire commence à Beyrouth, là où elle réside et dont les parents sont propriétaires d'une prospère savonnerie. Mais les enfants quittent ou ont quitté le giron familial :
* Jean, l'aîné, 27 ans, marié à Geneviève, qu'il n'aime pas, s'est installé à
Paris; il rate tout ce qu'il entreprend et fait face au mépris de son épouse
* François, le second fils, 25 ans, est déjà à
Paris, pour soit-disant faire l'École Normale Supérieure mais, en fait pour devenir journaliste, métier détesté par ses parents
*Étienne, 24 ans, part en Indochine, au Vietnam pour retrouver l'homme qu'il aime, un légionnaire belge dont il n'a plus de
nouvelles
* Hélène, la benjamine, 18 ans, qui ne supporte plus d'être seule avec ses parents, débarque à
Paris soit-disant pour faire les Beaux-Arts mais va se retrouver entraînée dans une vie dissolue.
J'arrête le résumé ici car ce roman foisonne d'évènements, de personnages, d'anecdotes, de surprises, qui ne peuvent se condenser en quelques mots.
Pierre Lemaître nous livre une synthèse très réussie de ses deux amours : le roman noir et la fresque familiale. Il nous offre une galerie de personnages haut en couleurs, assez antipathiques pour la plupart mais auxquels on finit par s'attacher grâce à l'art de conteur de
Pierre Lemaître et à son ironie grinçante qui n'épargne personne (les expatriés, l'administration coloniale corrompue, la secte de l'Âme Suprême sur laquelle il s'est particulièrement lâché...). Il nous réserve, en outre, une surprise de taille et très astucieusement amenée, en reliant cette trilogie à la précédente, en en faisant une suite.
Comme dans la trilogie précédente,
L Histoire française sert de décor à la saga familiale. Remarquablement documenté, le propos n'est cependant pas pesant; les évènements historiques servent de décor et sont également prétexte à dénonciation sociale mais ce sont les personnages et la fiction pure qui occupent le devant de la scène. Nous sommes dans la France d'après-guerre qui panse ses plaies, se remet difficilement de la guerre et commence à s'engluer dans les guerres coloniales. On découvre le monde de la presse en pleine ébullition et "Le Journal du Soir" où travaille François évoque immanquablement l'aventure de"
France-Soir"à l'époque du grand Lazareff.
Ce roman, qui rappelle par certains côtés les fresques sociales du XIXème siècle (je pense à "La Comédie Humaine"
De Balzac ou "
Les Rougon-Macquart" de
Zola), nous embarque jusqu'à la dernière ligne grâce à son souffle épique et romanesque; on croirait ressentir la moiteur de Saïgon, on croirait être bousculé dans une salle de presse...
Il faut maintenant prendre son mal en patience avant de pouvoir retrouver la famille Pelletier. Vite Mr Lemaître!!!