Je m'y étais pris un peu tard pour réserver ce livre à ma Médiathèque, et alors un peu surpris de découvrir que j'étais précédé d'un nombre considérable de réservations, et qu'il me faudrait bien attendre un moment, mais quand on aime, on ne compte pas.
Un peu plus de 6 mois se sont écoulés, et j'ai enfin eu dans les mains
le Grand Monde, pour le dévorer tel un loup affamé.
J'avais tellement adoré sa Trilogie du Désastre que je me demandais si j'éprouverais le même plaisir de lecture.
Mais il y avait tant de critiques superbes et enthousiastes, notamment de mes amies et amis babeliotes, et tant de « 5 étoiles » qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter.
Et en effet, j'ai une fois de plus été bluffé par ce nouveau roman «populaire », au meilleur sens du terme, de notre héritier d'
Alexandre Dumas, ou d'
Eugène Sue, ou plus près de nous, de
Robert Merle.
Vraiment, dans
le Grand Monde,
Pierre Lemaitre nous sert encore un de ces plats roboratifs, savoureux et au goût subtil dont il a le secret et dont on raffole.
Je ne détaillerai pas l'histoire qui nous fait vivre cette drôle de période de l'après-guerre dans l'année où je suis né, et si je ne peux bien entendu pas m'en souvenir, mes parents m'ont souvent évoqué ces quelques années difficiles où certes la liberté était revenue, mais où ils avaient connu les restrictions de toutes sortes, les tickets de rationnement, les logements précaires, les difficultés de déplacement, toutes choses qui allaient bientôt s'arranger dans cette phase bénie des Trente Glorieuses.
C'est donc dans ce cadre que
Pierre Lemaitre nous fait vivre l'histoire de la famille Pelletier (pas si Pelletier que ça, on le verra), parents et enfants, entre un Beyrouth où les parents ont prospéré dans leur entreprise de savonnerie, mais où les enfants ne suivent pas et se font la malle l'un après l'autre, un Saigon d'une Indochine déliquescente, violente et corrompue, où se perdra leur fils Étienne, et un Paris où se retrouvent les trois autres enfants, Jean, François et Hélène, aux destinées diverses, dont quelques meurtres pour l''ainé, l'apprentissage du métier de journaliste pour le second, et enfin celui du désoeuvrement et de la drogue pour la petite dernière.
L'auteur a ce don de nous promener dans une intrigue alerte, pleine d'émotions et de rebondissements, pétrie d'humanité et d'humour, et où le tragique se mêle au comique.
Mais surtout, il a cette capacité incroyable à décrire les ambiances de cette époque, par exemple celle de l'après-guerre à Paris, ces manifestations durement réprimées à Paris par la police (on réalise la violence mortelle de ces temps-là), l'atmosphère délétère de Saigon, et cette guerre d'Indochine perdue d'avance.
Et puis, il nous dresse un portrait psychologique si fouillé, si perspicace de tous les personnages, principaux ou secondaires, c'est un régal.
Oui, avec
Pierre Lemaitre, la fiction romanesque de qualité renaît et retrouve toutes ses lettres de noblesse.
Je trouve que l'on devrait enseigner
Pierre Lemaitre au collège ou au lycée, au même titre que les grands Classiques, (mais peut-être certaines ou certains le font), faire découvrir aux élèves cette mécanique prodigieuse de la narration, la période historique dans laquelle baigne chaque roman, et, pourquoi pas, les faire jouer à rechercher les références littéraires de l'auteur, qui, comme à son habitude, s'amuse à nous les citer dans les remerciements, comme d'ailleurs il nous éclaire de son approche en citant à nouveau ce texte formidable de
H.G. Wells:
«On prend un trait chez celui-ci, un trait chez cet autre; on l'emprunte à un ami de toujours ou à quelqu'un à peine entrevu dans une gare, en attendant un train. On emprunte même parfois une phrase, une idée à un fait divers de journal. Voilà la manière d'écrire un roman; il n'y en a pas d'autres. »
Et
Pierre Lemaitre de rajouter: «Il y a sans doute bien d'autres manières, mais il se trouve que celle de Wells est aussi la mienne. »
Gardez cette manière, Monsieur
Lemaître, pour notre plus grand plaisir, et nous attendons avec impatience la suite de ce « Grand Monde »