Ce tome fait suite à
Sweet Tooth, tome 2 : in captivity (épisodes 6 à 11) qu'il faut avoir lu avant. Il regroupe les épisodes 12 à 17, initialement parus en 2010/2011, écrits, dessinés et encré par
Jeff Lemire, avec une mise en couleurs réalisée par
José Villarrubia.
Gus est détenu dans la Réserve, vraisemblablement pour subir une batterie de tests, à court terme. Dans le même temps, le docteur Singh est en train d'enregistrer sur bande magnétique des souvenirs sur la survenance de la pandémie et sa propagation : malgré tous les préparatifs réalisés en tirant les leçons de pandémies comme le H1N1 et la SRAS, l'humanité a été très vite dépassée, que ce soit en termes de procédures ou de provisions de nourriture. Un grand costaud vient chercher Gus pour l'emmener dans un autre bâtiment. le nouveau virus a été appelé H5-G9 et il s'est montré d'une efficacité redoutable, les individus qui n'étaient pas contaminés, mourraient pendant les émeutes et le chaos qui s'en suivaient. Même les fosses communes ne suffisaient pas à évacuer les corps : ils ont dû être incinérés au lance-flamme. Gus est emmené dans un ascenseur qui s'enfonce sous terre dans un laboratoire souterrain où travaillent des scientifiques. En quelques mois tout s'est effondré : plus d'internet, plus de réseau, tout le monde coupé du reste. Les forces de l'ordre en place ont fini par fondre, les rescapés devenant un nouveau pouvoir qui a arrêté de servir et de protéger, pour plutôt consolider sa position. Cette milice a écumé les villes pour faire main basse sur tous les produits, les médicaments, les armes, la nourriture. Gus se retrouve face à Johnny en tenue orange. Un garde pointe une arme à feu sur Gus et lui demande de se déshabiller.
Un peu plus tard, Tommy Jepperd a convaincu Becky et Lucy de l'accompagner pour aller rencontrer une personne qui pourrait les aider : ils se dirigent en voiture vers le centre de Rockbridge, une grande métropole. Gus est en train de rêver : il se trouve sur une grande étendue déserte avec des montagnes au loin, sous la lumière d'un soleil couchant. Il se retrouve face à un homme adulte au torse nu, avec des bois sur le crâne, comme les siens, et avec un enfant à ses côtés semblable à Gus. Il reprend conscience dans la grande cage qu'il partage avec Wendy et Bobby. Il assure Wendy qu'ils vont réussir à sortir d'ici et qu'il a l'intention de les emmener dans la cabane dans les bois où il vivait avec son père. Johnny arrive pour leur parler, accompagné d'un autre enfant. À Rockbridge, Becky estime que le plan de Jepperd est idiot et qu'il n'aurait jamais dû pénétrer dans la ville car tout le monde sait qu'il ne faut pas le faire. Tommy Jepperd avance avec son fusil bien calé dans ses mains. Il indique à Becky et Lucy qu'ils sont observés. À la réserve, un hélicoptère arrive avec à son bord le docteur Singh : il vient pour étudier les hybrides, les enfants humains avec des caractéristiques animales. Il est accueilli par Abbott. Dans la pièce souterraine où se trouve la cage pour les prisonniers, Johnny leur a ouvert la porte et est en train de discuter avec eux : il présente Buddy à Gus, Bobby et Wendy.
Ce troisième tome commence par un épisode à la forme un peu particulière : chaque page se décompose en 2 parties. Les quatre cinquièmes supérieurs de la page sont consacrés à Gus, dans une narration sans texte, le cinquième inférieur est consacré au docteur Singh dictant le déroulement de l'épidémie. le lecteur retrouve avec émotion Gus, toujours prisonnier et à la merci d'une organisation qui ne fait pas grand cas de la vie des hybrides qui sont tous des enfants et de jeunes adolescents. Avec des dessins à l'allure toujours aussi fruste, l'auteur met en oeuvre une narration visuelle fluide et immédiatement compréhensible, même en l'absence de tout mot. le lecteur découvre avec Gus ce qui arrive aux hybrides lorsqu'ils sont emmenés par des gardes peu commodes et qu'on ne les revoit plus. Il retrouve Johnny, individu au comportement étrange, pas un garde, visiblement pas un responsable, mais jouissant d'une latitude de mouvement pour une raison ignorée. En bas de page, le lecteur suit donc un autre personnage, ou plutôt ses souvenirs et ses réflexions. Si cette construction de page semble un peu artificielle, Lemire sait la rendre plus organique, avec un point de jonction quand Gus passe devant le bureau de Singh. Une fois cette jonction effectuée, le docteur passe des souvenirs de sa vie pendant la propagation de l'épidémie, à son étude du sujet qu'est Gus : ses réflexions constituent alors un prolongement de ce qui est en train d'arriver à Gus, de manière très habile.
Avec l'épisode 13, l'intrigue revient à l'action, avec Tommy Jepperd qui va chercher de l'aide, Gus qui retrouve ses compagnons hybrides, et le risque de la dissection qui se rapproche de lui à grands pas. le lecteur n'entretient pas beaucoup de doute sur le fait que le scénariste destine Jepperd à prendre en charge Gus, mais il ne sait pas comment cela va advenir. En attendant, il profite de scènes toujours aussi spectaculaires, alors que les dessins semblent toujours aussi esquissés, un peu inconsistants, un peu de guingois. Quand Jepperd et les deux femmes ne peuvent pas aller plus loin en voiture, les modèles de voiture qui bloquent la route ne sont pas identifiables, et les immeubles sont tracés à la va-vite, mais pas moins convaincants pour autant. Lorsque les trois mêmes se retrouvent au milieu d'une rue, entourés par des agresseurs potentiels, les immeubles sont toujours autant peu consistants, et la silhouette des agresseurs est plus proche du sketch que du dessin consolidé. La page d'après est encore plus minimaliste avec 6 cases de la largeur de la page : trois fois la même case vide, avec en alternance trois fois la même case d'une lame perçant le côté gauche de la case : heureusement que
José Villarrubia réalise 6 camaïeux différents de gris pour apporter un peu de diversité visuelle. La dernière page de l'épisode 13 montre un individu peu amène assis sur une chaise, entouré de 5 adolescents mi-homme, mi-chien. le lecteur a l'impression de voir des Will E. Coyote pas très bien dessinés, entre caricature risible, et créatures faméliques particulièrement monstrueuses.
Tout du long de ces 5 épisodes,
Jeff Lemire donne même l'impression de bien s'amuser à mettre en oeuvre des clichés du genre aventure et action : Jepperd, Becky et Lucy attendant au milieu d'un point d'être rejoint par un groupe de véhicules, une cohorte de cavaliers torse nu et masque couvrant le visage, une évasion par les égouts, la profanation d'une tombe en pleine nuit, l'attaque d'une place forte et sa mise à sac. À chaque fois, le lecteur reconnaît aisément la situation classique ainsi que le visuel déjà vu, mais représenté sans beaucoup de détails, comme s'il n'était pas la peine de s'attarder dessus, avec malgré tout une mise en scène claire et parlante. Ce mode narratif fonctionne bien en termes de divertissement et de tension narrative, sans dramatiser les personnages, sans leur donner une dimension héroïque. Au contraire, de voir ainsi des individus fourbus, ne valant pas la peine que l'artiste s'attarde sur leur apparence, cela les rend plus misérables. L'auteur réussit ainsi à faire de Tommy Jepperd un individu costaud et très résistant, mais encaissant les coups, sans vraiment savoir pourquoi, sans réussir à touver une raison pour se battre. de tous les enfants, seul Gus semble conserver un peu de volonté de se battre et à espérer des jours meilleurs, les autres s'étant soit résignés, soit étant incapable d'imaginer une autre forme de vie qui les feraient espérer. Même le terrible Abbot qui mène tout le monde à la baguette et qui se montre impitoyable ne fait que régner sur une équipe d'individus tellement insignifiants qu'ils sont à peine méprisables, pour régner sur une réserve à la taille ridicule, et à la fragilité évidente.
Ces caractéristiques (aventures trop classiques, personnages pathétiques) n'empêchent pas l'auteur de surprendre le lecteur régulièrement. Pour commencer, il y a le retour des rêves : tout d'abord celui où Gus se voit aux côtés d'un adulte avec des bois de cerf, peut-être une vision prophétique, ou un signe annonciateur, à voir par la suite. Ensuite se déroule ce rêve partagé entre Gus et Tommy, où Bambi et Panpan trouvent la mort : Lemire est vraiment trop cruel. Il enfonce le clou pour montrer que le destin des personnages est lié, et le coloriste s'amuse avec des teintes plus vives pour souligner qu'il s'agit d'une séquence onirique. Par la suite, le scénariste fait preuve d'une belle maîtrise de l'entrelacement de ses fils narratifs pour qu'ils convergent fort opportunément au même moment, mais sans donner l'impression d'un artifice trop forcé. le lecteur a fini par se rendre compte que Gus ne risque pas grand-chose, malgré des coups réguliers accompagnés de diverses maltraitances. Il est donc fortement déstabilisé quand un autre personnage se retrouve à prendre une décision impliquant la mort de quelqu'un et que dès la page suivante il doit en payer le prix fort, dans une révélation aussi soudaine que déchirante.
D'un côté, le lecteur se dit que
Jeff Lemire ne se foule pas trop avec ses dessins vite faits, et ses épisodes qui se lisent deux fois plus vite qu'un épisode de superhéros traditionnel. D'un autre côté, les personnages sont très attachants dans leur normalité et leurs faiblesses. La narration visuelle est suffisante pour raconter l'histoire, et pour faire ressentir les émotions des personnages. L'intrigue s'appuie sur des figures de style usées jusqu'à la corde mais parvient à leur donner un second souffle, tenant le lecteur en haleine.