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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Février 2010. Alors qu'Émmanuel Lepage s'apprête à partir en vacances avec sa petite famille, il reçoit un appel de son frère, François, qui l'informe qu'une place à bord du Marion Dufresne, en partance pour les terres australes, vient de se libérer. Il a une demi-heure pour se décider, un quart d'heure lui suffira pour dire oui, n'osant encore y croire tant l'aventure qui se profile ressemble un peu à un rêve de gosse. À bord du navire, spécialement conçu pour ravitailler les bases scientifiques subantarctiques, 3 ou 4 fois par an, l'auteur aura pour mission de raconter l'histoire de la rotation australe. Embarqué avec son frère photographe et une amie journaliste, il va côtoyer le personnel et les logisticiens des TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises), les scientifiques de l'IPEV, des techniciens et des ouvriers qualifiés. Au fil du voyage et des pages croquées, il va raconter les lieux qu'il va découvrir, les personnes qu'il accompagne, son ressenti...


D'abord l'île de la Réunion, ensuite Tromelin, l'île de sable peuplée de tortues vertes, à nouveau l'île de la Réunion et le cirque de Mafate, et enfin l'archipel de Crozet, Kerguelen, l'île des géants couchés, Saint-Paul et Amsterdam. Comment refuser un tel périple ? Impensable, tout simplement aux yeux d'Émmanuel Lepage qui embarque, en février 2010, à bord du navire, le Marion Dufresne. C'est à ce voyage dépaysant et incroyable que nous convie l'auteur. Dans ce magnifique carnet de voyage, il dépeint et croque la vie sur le navire et sur les bases, les gens qui l'entourent, les lieux qu'il découvre mais aussi les conséquences du réchauffement climatique, les espèces curieuses qu'il rencontre. Il se dégage de cet album beaucoup d'humanité et de chaleur. Graphiquement, des planches à couper le souffle, des portraits croqués, du crayonné en noir et blanc, des aquarelles de toute beauté, Émmanuel Lepage donne vie à ce voyage à la fois magnifique et enrichissant.
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Extraordinaire voyage que nous propose Emmanuel Lepage avec cette expédition aux îles de la Désolation, les australes Kerguelen. Embarqué à bord du "Marion Dufresne", seul navire français capable d'affronter les conditions maritimes extrêmes et d'assurer le ravitaillement des bases scientifiques où une poignée d'hivernants mène ses travaux, le dessinateur ne sait pas ce qui l'attend. Et nous non plus.

Crozet, Kerguelen, Amsterdam... les différentes îles de l'archipel nous ouvrent les portes d'un monde sauvage, hostile, à l'équilibre précaire et menacé par l'homme depuis la découverte de ces îles du bout du monde.

Le dessin sobre et efficace, agrémenté d'aquarelles, s'attache autant aux paysages minéraux qu'aux femmes et aux hommes qui participent à cette aventure annuelle, qu'ils soient personnels de bord, scientifiques, touristes ou fonctionnaires auditeurs. L'ensemble est très humain.

A chaque page, j'ai eu le souffle coupé par le vent et la munificence des lieux, j'ai senti les embruns, j'ai entendu la cacophonie de la faune indigène, j'ai perçu la sauvagerie et le danger de ce voyage, de ces terres inhospitalières ; j'ai été admirative de la ténacité et de la folle témérité des acteurs de cette histoire qui se joue au nom de la science et au nom de la république française. Une aventure de vie et de mort.

Saisissant de réalisme, le dessin monochrome d'Emmanuel Lepage se fait soudain coloré pour mieux faire apprécier la beauté d'une aurore australe ou faire ressortir l'oasis d'un bouquet d'arbres, rescapé des éléments.

J'ai aussi énormément appris sur l'histoire et la géographie de ces îles, sur leur géologie, leur faune, leur flore, leurs ressources, leur potentiel. Un voyage aussi enrichissant que captivant, d'autant plus savoureux à découvrir au fond de mon canapé qu'il ne faudra pas compter sur moi pour embarquer à bord du "Marion Dufresne" !
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Mêlant avec art la BD et le carnet de voyage traditionnel, Emmanuel Lepage nous fait découvrir son périple dans des petits bouts de France perdus dans l'extrême sud de notre Terre.
Voyage, compagnons, découvertes, Histoire et histoires, ce récit très complet et captivant est magnifié par le trait si beau et maitrisé de Emmanuel Lepage. Comme souvent dans les carnets de voyages, l'artiste a agrémenté son histoire d'aquarelles magnifiques, certaines double-pages sont absolument époustouflantes.
Une bien belle lecture pour un magnifique voyage.
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Emmanuel Lepage va prendre la mer à bord du "Mario Dufresne", ce bateau qui ravitaille les terres australes, ces îles de la désolation.

L'auteur nous embarque avec lui pour ce voyage au bout du monde. Dans un récit autobiographique, Emmanuel Lepage cherche à nous donner l'envie du voyage, de la découverte, à réveiller cette âme d'aventurier qui sommeille en nous.
La BD est un magnifique carnet de voyage. de ceux qu'on aimerait ramener de nos propres vacances, si seulement on avait le talent d'Emmanuel Lepage!! C'est le plus gros atout de cette oeuvre assez épaisse. Splendides croquis des marins et scientifiques, magnifiques aquarelles des paysages et de la mer, merveilleuses doubles pages qui vont rêver...
L'histoire en elle même peut paraître plus rébarbative. C'est comme écouter un récit d'un voyage qu'on a pas fait, on balance entre émerveillement et une sorte de frustration. Peut être un peu trop de texte mais ça nous permet de glaner des informations sur ces îles du bout du monde aux conditions climatiques hostiles. Ça va de l'histoire de leur découverte, à ornithologie en passant par la vie de tous les jours. Les missions scientifiques, la vie rude de ceux qui y passent plusieurs mois, les manoeuvres de ravitaillement compliquées par la météo instable... Tout ne nous intéresse pas forcement mais c'est complet et enrichissant!
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C'est tout d'abord un bel hommage aux hommes (et femmes) qui vivent sur ces territoires français si lointains, les terres australes et antarctiques françaises ( TAAF) et à ceux qui les ravitaillent et assurent la rotation des équipes.

Pour Emmanuel Lepage , la proposition de faire partie d'un de ces voyages est d'abord la réalisation d'un rêve de gosse plongé dans les bouquins d'aventure et les dessins de bateaux.

Découverte du bateau, le Marion Dufresne et de son équipage, rencontre avec les scientifiques, les représentants de l'état et les rares touristes et après quelques déboires les amarres sont larguées.

Emmanuel Lepage nous livre avant tout une jolie galerie de portraits, croquis pris souvent à l'insu du sujet , cette succession de dessins rend étonnamment vivante l'aventure.

Arrivée sur Crozet et découverte de la vie sur l'île, ses codes bien établis et la rencontre avec la faune , en particulier les manchots.

Pour Emmanuel, c'est aussi une frustration, celle d'être de passage , de ne pouvoir capter totalement l'ambiance des paysages par manque de temps , accentué par le climat rude pour un peintre de plein air.

Kerguelen comme un rêve ou un cauchemar pour de nombreux aventuriers.

Et dernière escale: Amsterdam avec pour Emmanuel et ses amis, "un instant d'harmonie et de fraternité... un fragment d'éternité "

Magnifique ouvrage , complété par les photographies du frère d'Emmanuel, François Lepage, compagnon de ce voyage et qui ajoutent une note plus réaliste .
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Mêlant de nombreuses techniques graphiques, toutes autant maîtrisées les unes que les autres, Emmanuel Lepage révèle un paysage hors du commun mais pourtant bien réel, en partageant l'expérience d'un périple unique sur un navire en direction des îles. C'est un récit exploratoire à la faveur de planches immersives et magnétiques, qui provoquent une rencontre avec une nature ineffable mais hostile et qui picotent la conscience écologique. Sublime !
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Les rêves d'enfance d'Emmanuel Lepage prenaient leurs sources dans les albums d'aventure de Tintin et dans des manuels de géographie et de cartographie où il s'inventait la représentation des terres fabuleuses que lui inspiraient les noms de Crozet, Kerguelen, Amsterdam, jadis surnommées « les îles de la Désolation »…
Des années plus tard, en mars et avril 2010, Emmanuel Lepage embarque sur le Marion Dufresne, au départ de Saint-Denis de la Réunion, en direction des Terres Australes et Antarctiques Françaises. L'occasion de confronter enfin son imaginaire à la réalité, dans une découverte qui pourra soit briser le rêve, soit le renforcer encore davantage.



A la beauté de l'album qui résulte de cette expédition, il ne fait aucun doute que ce voyage a réussi à renforcer le charme qu'exerçaient ces terres lointaines sur Emmanuel Lepage. Sur plus de 150 pages, l'auteur déploie tous ses talents de dessinateur et d'aquarelliste et les met au service de la représentation des autres voyageurs du Marion Dufresne –scientifiques venus en mission, militaires, contractuels chargés du fonctionnement du navire, artistes et touristes- mais aussi, et surtout, des paysages magnifiques qui seront son quotidien pendant plusieurs semaines.



Esthétiquement, les planches d'Emmanuel Lepage sont un ravissement. le grand format de l'album permet de déployer au mieux ses aquarelles pour en révéler toute la majesté et la grandeur. Paysages maritimes ou terrestres, souvent désolés et sauvages, paysages diurnes ou nocturnes, sous le soleil ou les bourrasques de vent, toutes les conditions les plus variées semblent avoir été offertes à Emmanuel Lepage pour lui donner la possibilité d'exercer son talent.
Mais ce document n'est pas qu'un recueil de dessins et d'aquarelles, et le tout est lié par le récit au jour le jour du voyage à bord du Marion Dufresnes. A travers les relations liées par Emmanuel Lepage, on découvre les autres participants au voyage et la diversité des motivations qui les a réunis à bord du navire. On s'infiltre également dans les pensées de l'auteur et, sans virer pour autant à l'indiscrétion, on découvre, brossés de manière discrète, les principaux traits de son caractère, entre amour de la nature sauvage, curiosité, bravoure et rêverie. le tout est ponctué de quelques petites anecdotes historiques et scientifiques qui ne cesseront pas d'étonner le lecteur.



Le pari des artistes regroupés à bord du Marion Dufresnes –faire découvrir ces expéditions scientifiques au grand public- est réussi pour Emmanuel Lepage. le voyage qu'il décrit dans les pages de cet album pourrait bien donner envie aux plus courageux de s'embarquer pour une expédition du même type. Mais si le devoir d'affronter la solitude, le dépaysement et le froid sont des limites que peu de gens sont près à franchir, la lecture de cet album procurera déjà une grande ivresse et un plaisir esthétique non négligeable.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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Un carnet de voyage, un documentaire, de croquis, d'aquarelles, de tableaux pleine pages, de couleurs et crayons noirs. Et des mots qui donnent autant que les images.

" Ker-gue-len. Un mot qui racle la gorge puis se couche sur le palais. Ker-gue-len. Un nom breton égaré en Antarctique. Je n'imaginais pas terres plus perdues, plus lointaines. C'était le monde du bout du monde...Et voilà qu'on me proposait de m'y rendre...J'allais affronter une mer que les marins qualifient de rugissante, de hurlante même. La mer que je ne connais que de la côte, la mer que je contemple chaque matin, sans jamais l'avoir prise pourtant. [...] ...peut-être, enfin, la comprendre...et savoir la dessiner à mon tour. "

Un récit autobiographique qui mêle toute la dimension humaine de l'expédition à la magie de la découverte nature, nourrie par les grands romans. Plus de 150 pages foisonnantes d'une chronique au jour le jour, trente jours de navigation, qui racontent avec réalisme et précision la marine contemporaine, les bases scientifiques - leurs fonctions, les missions, l'organisation pour y vivre - , la logistique, les îles - ces réserves naturelles, leur écosystème fragile, son évolution et ses impératifs -; des pages qui reviennent aussi sur les faits historiques superbement mis en couleurs dans des tons sépias. le crayon s'attarde sur les portraits, la profession de chacun sur ce navire, marins et chercheurs, les attentes des passagers " invités ", la diversité des personnalités et des motivations de ces voyageurs réunis ( cinéaste et photographe, membres de ministères, " touristes ", un ingénieur spatial... ), sur les " hivernants " ( ceux qui restent à terre plus d'un an parfois ), leur isolement, leur passion, sur la rigueur et les difficultés liées aux conditions météorologiques.
Je suis sur la lune. Un univers minéral battu par les vents. Je sens cette force tellurique sous mes pieds. Une mousse spongieuse tente de s'accrocher à une roche noire, tranchante. Glissante. le froid, la pluie horizontale. J'essaie de croquer le glacier, tache turquoise enchâssée dans des camaïeux d'ocres, de bruns et de noirs. le papier est détrempé, se gondole, se plie, sous les bourrasques. le crayon accroche à peine..."

Emmanuel Lepage, à travers cette expérience unique, évoque son art, son rôle du dessinateur, l'accueil qui lui est réservé, les réactions, la curiosité.

" - Vous allez nous dessiner ?

Le dessin inspire la bienveillance. C'est un sésame incroyable qui déverrouille les hiérarchies, les classes et les âges...Dessiner, c'est ma façon d'être au monde. [...] Personne n'a peur du dessin. On aime le voir en train de se faire. On s'en approche spontanément. Il renvoie à l'enfance. Et puis, c'est un moyen de rencontres et de complicités qui se passent de mots. [...] Dessiner oblige à se poser. le temps est suspendu. [...] Cormorans, otaries, phoques, éléphants de mer, manchots royaux, manchots papous font danser mon crayon. Ils m'observent autant que je les observe..."

Des dessins sur le vif, pourtant fouillé, le trait intuitif, sensible, à l'essentiel, à l'expression, à l'émotion de ce qui est vu et ressenti. Un récit d'aventures modernes, une intensité du regard par les plans resserrés qui disent toute l'activité et les échanges, avec les peintures en camaïeux qui dévoilent la beauté des sites, du voyage, des heures partagées.

" J'envie ces hivernants qui sillonnent cette île pas après pas, jour après jour. Qu'apprennent-ils de l'île, qu'apprennent-ils des autres, qu'apprennent-ils d'eux-mêmes ? "

Un album hommage et témoignage offert autant aux compagnons qu'aux paysages, un album généreux.



Lien : http://www.lire-et-merveille..
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Voyages aux îles de la Désolation d'Emmanuel Lepage.

Roman graphique retraçant le voyage dans les TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises) de l'auteur en 2010 à bord du Marion Dufresne.
Une expédition dans le but de ravitailler ses terres isolées que sont les îles de la Désolation (Crozet, Amsterdam, St Paul, Kerguelen) pour permettre à des hommes et des femmes toute l'année de mener des recherches scientifiques.
L'auteur retranscrit bien la complexité des manoeuvres sur fond de grève et de restriction budgétaire. Il apporte une touche d'histoire en relatant quelques expéditions passées à la découverte de ses terres.

J'ai apprécié de découvrir ses îles inconnues pour moi et leur Histoire.
Le dessin d'Emmanuel Lepage est toujours très agréable, il nous fait voyager à lui seul.

Je vous conseille de lire cet album avant La Lune est blanche
qu'il a réalisé ensuite sur son expédition en Antarctique, qui reste pour moi le meilleur.
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A l'automne 2010, l'auteur Emmanuel Lepage, ainsi que son frère photographe François, ont l'opportunité de vivre un rêve d'enfant : découvrir les terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Pour cela, une place leur est attribuée sur le Marion-Dufresne, un navire effectuant une mission de ravitaillement et de transport des personnels scientifiques vers ces îles perdues dans l'océan Indien : Crozet, Kerguelen, Amsterdam et Saint-Paul. C'est le récit de cette aventure humaine et intellectuelle que propose Emmanuel Lepage dans Voyage aux îles de la Désolation. Sous la forme d'une bande-dessinée agrémentée de superbes doubles pages muettes, le documentaire révèle autant des TAAF que de l'auteur lui-même, tout en proposant des pistes de réflexion sur l'emprise de l'homme sur son monde et sur l'éthique scientifique.

Si le choc est si grand, pour Emmanuel Lepage, d'apprendre qu'une place se libère pour lui sur le Marion-Dufresne, c'est que les îles australes françaises ont façonné son imaginaire dès l'enfance. Ce n'est donc pas avec un regard tout à fait neutre que l'auteur entreprend son voyage : c'est dans de vieux souvenirs qu'il se replonge, ce sont les cartes de son enfance, placardées sur les murs de sa maison, qu'il s'apprête à appréhender en échelle réelle. C'est aussi tout un imaginaire, littéraire notamment avec la figure totémique de Tintin, qu'il convoque et emmène avec lui ; en bref, c'est autant un homme qu'un petit garçon rêveur qui s'en va à l'aventure. La mission du Marduf, cependant, est bien capitale pour les hommes qui vivent sur ces bouts du monde. le bateau apporte des vivres et de l'énergie pour les bases scientifiques, dépose et rapatrie des hommes et femmes qui ont passé ou passeront, isolés du reste du monde, des mois entiers à exercer leurs passions : ornithologie, algologie, astronomie, météorologie, éthologie, entomologie et d'autres encore. L'intérêt, évidemment, est de voir le monde tel qu'il pourrait être sans l'homme. Tout semble ici revêtir un caractère essentiel. Cette impression est renforcée par l'isolement total des îles : isolement humain, bien-sûr, car l'île de la Réunion, premier îlot de civilisation, est à 3 000 kilomètres environ ; isolement technologique aussi, loin d'internet et des réseaux invisibles qui cimentent si fortement l'humanité ; isolement d'une certaine humanité, aussi, car les hommes et les femmes sur place ne se consacrent qu'à l'étude, et non à la production, aussi essentielle soit-elle parfois (ainsi la production maraîchère).

Avec beaucoup de pudeur dans les mots, Emmanuel Lepage nous conte ce mois en mer. Il nous révèle sa pratique du dessin, les difficultés techniques qu'il rencontre (avec la pluie, le vent), ce que son statut de dessinateur lui permet de faire, ou non, au sein du microcosme des taafiens : le dessin attire naturellement, casse les barrières sociales, mais le dessinateur, en tant que contemplatif, est ici presque une incongruité. Il en va de même pour les médias, les politiques ou les touristes, dont la présence peut être remise en cause par les scientifiques en cas de difficulté. D'où une réflexion sur le travail scientifique, et sur sa médiatisation aussi nécessaire que potentiellement gênante, si elle n'est pas dangereuse. La pudeur du récit s'explique aussi par la puissance du paysage en action autour des taafiens. La mer houleuse, les îles sortant d'icelle en falaises hautes et abruptes, le barouf des manchots qui sont les rois sur ces îles, les corps monstrueusement puissants des éléphants de mer, la pluie et le vent glaciaux invitent, ou plutôt, ordonnent le respect des êtres humains pour la nature. A cela le dessin d'Emmanuel Lepage rend merveilleusement hommage. Les lavis en noir et blanc, les aquarelles et les gouaches disent beaucoup de ce monde totalement différent du nôtre, tout en le poétisant, en l'humanisant. Certaines cases et toutes les doubles pages sont remarquables de beauté. En dessinant cela, Emmanuel Lepage se fait médiateur entre les TAAF et le lecteur.

Il ne faudrait pas s'y tromper, toutefois. Aussi puissante soit-elle, la nature n'est pas laissée à elle-même. L'empreinte de l'homme est même partout. Par l'histoire, tout d'abord, puisque ces îles ont été révélées au monde par un navigateur breton, Kerguelen de Trémarec, qui paya de sa carrière le fait que ces îles n'aient été que cela, et non pas un continent florissant : Lepage nous dit qu'il porta sur ses épaules le poids du rêve brisé. Les Français ont tenté d'exploiter ces îles, de les intégrer parfaitement à l'oekoumène : par la pêche baleinière notamment, avant que celle-ci ne soit rendue obsolète par les progrès technologiques (on cherchait alors la graisse de baleine pour l'éclairage public), par l'introduction d'espèces animales cosmopolites : le chat, le lapin, la vache ... La présence de bases scientifiques est aussi la preuve de la présence humaine, alors même que les scientifiques cherchent à diminuer au maximum celle-ci, à la nier presque (en témoigne l'histoire de la culture des légumes sous serres, interdite récemment, et celle de l'abattage des vaches de Kerguelen, espèce animale devenue pourtant endémique car n'ayant connu aucune mutation génétique en plus de cent ans). La présence de l'homme se fait parfois idéologique, définissant une bonne biodiversité et une mauvaise, une bonne et une mauvaise présence.

Emmanuel Lepage s'intéresse aussi aux hommes et aux femmes qui font les TAAF, dans toute leur diversité. Au-delà des spécialisations scientifiques des uns et des autres, ce sont des parcours qui se croisent, des rêves qui trouvent là leur réalisation, une communauté qui se crée à travers un langage propre (le taafien) et un rythme sans doute unique au monde, soumis avec joie aux caprices de la nature. L'aventure humaine de ce Voyage aux îles de la Désolation n'a rien d'une narration enlevée, d'un système littéraire où les rebondissements succèdent aux énigmes et aux révélations. L'aventure, ici, c'est le ravitaillement impossible en carburant de l'une des îles de l'archipel Crozet ; ce sont des légumes congelés par erreur et immangeables ; c'est une soirée d'adieu qui ne se tiendra pas car le vent en décide autrement. Cette aventure parle au lecteur car elle parle de passions humaines, et parce qu'elle parle d'humanité. Car l'homme, espèce destructrice par excellence de son écosystème, est aussi une espèce qui cherche à comprendre. Emmanuel Lepage ne donne pas ici de clés : il invite à réfléchir.
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