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sur 243 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Je me sens coupable de mon pays riche, de ma famille unie, de mon éducation, j'ai besoin d'éteindre des feux et de sauver des enfants, j'ai besoin de faire quelque chose dans ce monde pourri, j'ai besoin de courir d'une bande de laissés-pour-compte à une autre, j'ai besoin sinon je pourrais m'asseoir et pleurer ou lancer des bombes. »


Nirliit est un cri du coeur : celui de la narratrice qui, se sentant coupable de ce qu'a fait son peuple blanc à celui des Inuits, travaille avec cette communauté. « Il faut venir par les airs ; comme les oies, nirliit, je refais inlassablement le chemin du sud au nord puis du nord au sud, chaque fois que l'été revient, chaque fois que l'été se termine. » Son cri devant la beauté du paysage et des personnes qu'elle y rencontre se mue en cri de tristesse, devant la vie d'une population dont les terres ont été spoliées par les Blancs, puis que l'on a payée à ne rien faire en dédommagement. Or, « La meilleure façon de tuer un homme est de le payer à ne rien faire ». La vie des Inuits étant désormais régie par les activités des occidentaux, ils se retrouvent dépossédés de leur utilité, de leur identité et donc de sens à leur vie. On les entasse gratuitement dans des logement trop familiaux, où la promiscuité implique de trop nombreuses errances et des dérapages incontrôlés.


« Il y a de l'amour violent entre les murs de ces maisons presque identiques, il y a de la jalousie féroce, il y a confusion entre aimer et posséder, vous qui possédez beaucoup mais si peu de choses. Votre maison ne vous appartient pas. Votre terrain non-plus. Tout ça vous est gracieusement prêté par le gouvernement. N'est-ce pas qu'on est fins ? On vous pique votre territoire, mais on vous le prête après. Est-ce pour cela que vous avez tellement besoin de posséder ? Des motoneiges, des bateaux, des quads, des camions pour faire le tour d'un village de quatre rues. Pour échapper à vos maisons surpeuplées où vous vivez les uns sur les autres. Vous manquez d'espace dans votre immensité nordique. Comment se fait-il que toute cette richesse ressemble tellement au tiers-monde ? »


A force de venir chaque année, la narratrice québecquoise a ses repères qu'elle nous égraine : temporels, géographiques, humains. Elle rencontre des têtes connues, se désole de l'évolution des enfants dont elle s'occupe d'une année sur l'autre, dans ce pays où l'alcool et la drogue réchauffent ces corps, enfermés dans l'hiver éprouvant de leurs coeurs gelés, meurtris par les moeurs des envahisseurs qui ne les voient que comme une distraction : des âmes interchangeables, des corps jetables, des femmes poupée au coeur gonflé, au corps gigogne, dont les enfants ne seront jamais reconnus.


« Parce qu'on vous abandonne tout le temps, on a fait de vous des parenthèses à l'infini, des aventures que l'on vient vivre pour un temps avant de retrouver nos vies rangées du Sud ou repartir vers de nouvelles expériences qui nous semblent maintenant plus alléchantes que votre exotisme du Nord. »


Si le ton est dépité et nostalgique, c'est qu'Eva, l'amie Inuit que la narratrice retrouvait tous les ans, est décédée de cette vie dissolue, laissant derrière elle son fils Elijah.


« Ton corps dans l'eau et ton esprit partout, sur la mer, dans la toundra, au ciel jamais noir de l'été arctique, danse, Eva, danse, je dis avec le même français cassé que le tien : « je manque de toi. » »


La première partie du récit du retour de la narratrice s'adresse à Eva. C'est un pêle-mêle d'émotions, de sensations et d'images du Nord d'aujourd'hui, qui m'ont donné les grandes lignes du paysage mais n'a pas suffit à m'immerger vraiment dans sa vie et son ambiance : En se contentant d'un panorama rapide des situations rencontrées sensées planter le décor, les gens sont à peine effleurés et l'on n'a pas l'occasion de s'attacher à eux. Or l'humain, dans un roman, c'est pour moi l'essentiel. Mais par bonheur arrive la seconde partie où la narratrice s'adresse à Elijah. Celle-ci s'attache aux personnages et est plus vivante, même si elle ne peut se dépêtrer d'une certaine tristesse, comme une fatalité face à laquelle on se sent impuissant.


« Vous êtes là avec vos vies de tragédies grecques, vous feriez baver Shakespeare avec vos douleurs lancinantes et votre désespoir, et je ne sais pas comment vous faites pour endurer ça, moi qui en arrache déjà avec ma petite misère ordinaire ».


Les deux parties se complètent opportunément, s'imbriquant comme que le yin et le yang pour former un tout convainquant. Au total, ce roman est une dénonciation sensible des conséquences de la colonisation, des ravages dont se sont, une fois de plus, rendus coupables les occidentaux en s'appropriant des terres, puis en voulant compenser leurs actes par de l'argent aux populations, ce qui ne leur a appris qu'à délaisser le travail pour noyer dans l'alcool et les drogues la misère due à leur dépossession originelle.


« Ça leur fait du bien, tsé, aux Inuits, plus ils ont du sang Blanc, plus ils s'améliorent. Ça paraît déjà je trouve. » (!)


Un texte d'une belle sensibilité, tissé de douceur, de chaleur humaine et de mélancolie.
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Salluit, « un nid de misère parfait pour nourrir une criminalité florissante et rafler année après année le titre de communauté la plus violente du Nunavik. »
La narratrice vit à Montréal.
Chaque été, elle rejoint le grand Nord pour s'occuper d'enfants à Salluit, un village canadien inuit, pourri depuis plusieurs décennies par la colonisation économique occidentale, à l'instar des communautés indiennes aux Etats-Unis.

Les populations locales ont été dépossédées de leur mode de vie ; le supermarché de la malbouffe a remplacé la chasse et la pêche traditionnelles ; le chômage, l'alcool, les armes et la promiscuité dans des logements exigus font des ravages.
Bagarres, accidents mortels, viols, suicides...

L'auteur rend bien compte de la misère, de la violence, du n'importe-quoi : les enfants qui traînent dehors, qui sont à tout le monde donc mal pris en charge, qui décrochent de l'école dès dix-onze ans ; les filles dont le destin bascule à l'aube de l'adolescence, au gré d'une grossesse (avec un local ou un 'blanc' venu travailler pour la saison), qui sombrent dans l'alcool, la drogue...

Mais l'ouvrage, bien que court, devient vite redondant, et l'on se perd parmi tous les personnages.
S'il s'agit de montrer que tout le monde est voué au même sort sinistre, c'est réussi.
C'est quand même dommage pour le lecteur. Je n'ai pas compris qui était Eva, ce qui lui était arrivé, et je me suis souvent égarée dans les tourments d'Elijah, de la femme qu'il aime, de l'homme du sud que celle-ci aime mais qui en aime finalement une autre, partie avec un autre homme...

Moins immersif, le témoignage de Julien Blanc-Gras sur son séjour en Arctique ('Briser la glace') me semble tout aussi instructif, montrant bien également la misère et la violence induits par "l'homme blanc" pour son profit, quand il détruit tout mais prétend réparer avec du fric ou des gadgets.

« [Elle] prie pour opposer la force de Dieu à celle puissante et autodestructrice des hommes de son pays, au suicide collectif à petites doses, à l'autogénocide programmé. »

« La meilleure façon de tuer un homme, c’est de le payer à ne rien faire. »
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Je l'ai vu passer beaucoup, ce bouquin, dans les différents magazines culturels, et j'avais très envie de le lire depuis un moment. Et c'est maintenant chose faite ! Et je ne suis pas du tout déçue du voyage !! Dépaysant à souhait !! Et ça fait du bien un peu de froid, en cette période de chaleur accablante !!! (oui, oui, il n'y a pas qu'en France où il y a eu la canicule).

Le roman se déroule dans le Grand Nord canadien, plus précisément à Salluit, un village d'à peine 1500 âmes... La narratrice y fait des allers-retours fréquents, à la rencontre de ce peuple qu'elle aime, des grands espaces qu'elle apprécie... C'est le prétexte pour Léveillée-Trudel pour parler aux lecteurs de ce peuple déchiré, laissé à lui-même, malmenés par les ''Blancs''... Un peuple où la misère humaine est bien trop présente : alcoolisme, accidents, viols, toxicomanie, maladie mortel, suicides... et j'en passe... Elle fait le constat d'un peuple à la dérive, où même les travailleurs sociaux envoyés là-bas n'arrivent pas à les aider... Avec une langue crue, dure, incisive et sans détour, c'est dur à lire, mais en même temps, nécessaire, je pense.. Un récit qui marque, qui martèle, qui fait mal... mais qui influe aux lectures l'envie d'aller à la rencontre de ce peuple... Une très bonne lecture.
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Juliana Léveillé-Trudel... Rien que son nom est poétique.
Un roman presque documentaire où l'histoire importe moins que son contexte politique et économique et ce qu'il a provoqué. Des hommes et des femmes décalés, perdus, sombrant dans la drogue et l'alcool.
Comme les indiens d'Amérique, comme les aborigènes, comme... tout ce que l'homme blanc a approché sans le comprendre, juste pour prendre.
L'heure n'est pas à culpabiliser, mais les faits sont là : des civilisations détruites et dérangeantes.
C'est donc dans ce contexte que Juliana Léveillé-Trudel met en scène son personnage qui vient tous les étés dans le village de Salluit, s'occuper des enfants très nombreux, errants parmi des adultes paumés.
Dit comme ça, cela semble glauque et sombre, mais cette écrivain(e) a une écriture tellement poétique et parfois si drôle que la douceur et la bienveillance prennent le pas sur la violence et la sinistrose.
Un très très beau roman.
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Je ne sais plus qui m'a donné envie de lire ce (premier) roman, en tout cas je peux le rapprocher de Kuessipan de Naomi Fontaine, de Rivière Mékiskan de Lucie Lachapelle ou encore du dernier lu en date, Matisiwin de Marie-Christine Bernard. Nous sommes dans le grand Nord canadien, chez les Inuits, dont les terres ont jadis été volées, les enfants acculturés de force dans les pensionnats, les habitants privés de leurs ressources traditionnelles, de leur lien à la mère nature et parqués dans des villages où l'alcool, le désoeuvrement, le suicide font des ravages. Vous me direz que j'ai compris le sujet mais non, chaque roman a sa manière d'aborder les choses et de vous cueillir par les émotions et je continuerai à en lire d'autres.

Ici, c'est par le regard d'une femme du Sud, qui monte, comme beaucoup d'autres « Blancs » – et comme les oies sauvages (c'est la signification de Nirliit en inuttitut) – , travailler pendant les mois d'été à Salluit et qui s'adresse d'abord à son amie Eva, victime de la violence d'un homme qui l'a jetée dans le fjord, ensuite au fils d'Eva, Elijah, amoureux de Maata, qui en aime aussi un autre… L'ennui, le sentiment de déchéance, et sans doute aussi la lumière permanente des mois d'été attisent les sentiments amoureux et les pulsions sexuelles. Bien difficile de démêler les deux, bien difficile aussi de rester fidèle ou au contraire de ne pas avoir le coeur déchiré quand l'été s'achève et que les avions ramènent les Blancs dans le Sud…

Il y a de la crudité, de l'urgence et de la colère dans l'écriture de Juliana Léveillé-Trudel. Il y a aussi une infinie tristesse et un certain fatalisme aussi. Sa langue est belle par son empathie. Tout cela rend son roman très touchant.

J'ai deux petits bémols : ça manque peut-être un peu de construction, on se demande où va la première partie et heureusement arrive la seconde, avec un fil narratif plus évident. Et il me faut avouer que j'ai trouvé la fin un peu plate, j'ai cru que cela allait très mal finir aussi pour Elijah et Maata (je sentais ma gorge se nouer au fil de la seconde partie) mais non, cela se termine sur une forme d'apaisement, qui se rattache certes au fatalisme dont je parlais plus haut, mais un poil décevant.

Cela n'enlève rien aux qualités documentaires et émotionnelles de ce premier roman et je relirai la plume de Juliana Léveillé-Trudel avec plaisir.
Lien : https://desmotsetdesnotes.wo..
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« Nous vivons dispersés sur cet énorme continent, dans des villes et des villages qui portent de jolis noms à faire rêver les Européens, de jolis noms qu'on s'empresse de traduire parce que nous sommes si fiers de savoir que « Québec » veut dire là où le fleuve se rétrécit en algonquin, que « Canada » signifie village en iroquois ou que « Tadoussac » vient de l'innu et se traduit en français par mamelles. Nous avons de jolis mots comme toboggan, kayak et caribou (…) ».

Ces peuples dont j'ignorais l'existence il y a quelques mois lorsque je suis arrivée au Québec. C'est vrai qu'elles m'intriguent ces terres du grand Nord et ses habitants. 6 mois que je vis à Montréal, quelques récits de « Blancs » qui y ont vécu un temps et quelques lectures plus tard, me voilà à lire Nirliit.
Nirliit nous envoie au coeur des maisons surpeuplées du village de Salluit. Les Sallumiut, un peuple à qui on a arraché sa culture et ses traditions, à qui on donne des sommes d'argent colossales chaque mois de juillet pour compenser la destruction de leur habitat (la mine de Raglan et le « Raglan Money Day »), un peuple dont le sort est bien trop peu considéré, s'auto-détruit par l'alcool, la drogue et la violence venus du Sud. Nirliit est un roman, mais tout cela est bien réel !

« Il fut un temps où nous étions intimement liés, mais nous avons la mémoire courte, hélas. Nous ne nous souvenons plus de rien, et dans les villes où le béton cache le ciel, des gens occupés marchent sans se regarder sur les routes qui ont fendu la forêt, et parfois leurs yeux se posent sur eux. Eux, les épaves imbibées d'alcool qui ne sont plus l'ombre des fiers chasseurs qu'ils ont été, eux dont les formidables talents ne trouvent plus leur utilité dans notre assourdissante modernité, eux massacrés jusqu'à la moelle par l'une ou l'autre des merdes qui, paraît-il, viennent inévitablement avec la civilisation. »

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Ce livre est un cri : cri d'amour pour le peuple Inuit, mais aussi cri de colère pour ce que les "Blancs" soit-disant civilisés leur ont fait, et enfin cri d'alarme pour cette jeunesse amérindienne qui n'a pas toujours envie de vivre... en tout cas la vie qui leur est proposée.

Et c'est un cri magnifique ! La narratrice travaille à Montréal et "monte" passer dans le Grand Nord les mois de juillet et août ; de la vie d'Éva, son amie, à laquelle elle s'adresse pendant la première partie du livre, de la vie de la petite ville de Salluit, elle ne connaît que l'été, l'été Arctique, sans nuit et sans sommeil. Et quand elle arrive, elle ne sait pas qui elle va retrouver de l'année précedente, ils n'arrêtent pas de mourir les Inuits...

" Votre maison ne vous appartient pas. Votre terrain non plus. Tout ça vous est gracieusement prêté par le gouvernement. N'est-ce pas qu'on est fins ? (En québecois, fin veut dire gentil) On vous pique votre territoire, mais on vous le prête après..." (p 27)

Les difficultés à se comprendre - la langue d'Agaguk pleine de q, de k et de j - est si difficile ! Mais il y a aussi les vous autres les Inuit ou les vous autres les Blancs qui peuvent faire mal, une humanité différente parce que les conditions de vie sont différentes depuis si longtemps ! Et pourtant, elle vient chaque année celle qui raconte, elle vient parce qu'elle aime "les enfants, les gens, la langue, les chiens, le paysage, le soleil de minuit..."

Pourquoi tant de violence, d'alcool, de malbouffe, de bébés concus par des parents trop jeunes ? Ce sont les questions que ce livre nous pose et les réponses proposées ne font pas honneur aux occupants plus récents de ce très grand pays.
Et pourtant la beauté de cette immensité, des animaux, des êtres humains de ces régions, du ciel et du soleil, des aurores boréales : " Une beauté en forme de coup de poing dans le ventre, il y a juste la toundra qui fait ça, paysage complètement démesuré et bouleversant tout seul au bout du monde avec si peu de gens pour l'admirer." (p 43)

Un livre très fort, riche, remuant et émouvant qui nous fait comprendre la complexité de la vie actuelle des peuples autochtones du Grand Nord canadien.

Premières phrases : " La route est longue jusqu'à chez toi, Eva. Salluit, 62e parallèle, bien au-delà de la limite des arbres, Salluit roulé en boule au pied des montagnes, Salluit le fjord au creux des reins, et, seize kilomètres plus loin seulement, le grand détroit d'Hudson qui te conduira peut-être jusqu'à l'océan Arctique, qui sait. Il faut venir par les airs, comme les oies, nirliit, je refais inlassablement le chemin du sud au nord puis du nord au sud, chaque fois que l'été revient, chaque fois que l'été se termine."
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Un livre en deux parties
Dans la première une femme, canadienne, raconte un été dans le grand nord. Tous les ans, elle vient passer deux mois, juillet et août, dans cette contrée où l'hier dure dix mois et l'été seulement deux. Elle est éducatrice et s'occupe d'adolescents inuits.
Elle s'est fait des amis dans ce petit village du bout du monde. En particulier Eva. On sait dès le début qu'Eva est morte, juste avant son arrivée (noyée, le corps n'a pas été retrouvé).
Dans cette partie on apprend ce qui est arrivé à Eva : le sujet est donc triste, et le regard extérieur de cette narratrice nous fait comprendre tout l'isolement de ce village : alcool, suicide, mal traitance, racisme des « blancs » envers les inuits…. Peu d'espoir donc dans cette partie (livre que je conseille cependant tant l'écriture sait amener à changer de point de vue sur le mode de vie des inuits)

Dans la deuxième partie, la narratrice est repartie au Canada et le lecteur suit la vie d'Elijah, le fils d'Eva. Il a une vingtaine d'années et est déjà père d'une petite fille de deux ans, Cecilia. Mataa, la mère de l'enfant, l'a eu à 16 ans. Dans cette contrée, tout semble difficile tant le climat est oppressant et le village isolé : les habitants semblent être pris d'une frénésie en été et hiberner l'hiver.
Cette partie m'a beaucoup plus émue que la première : la petit fille de Mataa et d'Elijah y est pour beaucoup….

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Nirliit,de Juliana Léveillé-Trudel – La Peuplade
Une jeune femme de Montréal fait tous les étés le voyage jusqu'à Salluit, comme les oies ; elle s'occupe des enfants Inuit, désoeuvrés pendant les vacances scolaires. Elle parle à Eva, son amie du Nord, dont le corps est dans l'eau du fjord. Elle raconte à Eva, toujours présente dans son coeur, la vie dans le village : l'entraide, le désoeuvrement des jeunes qui se réfugient dans l'alcool et les drogues, la présence des ouvriers du sud en quête de chair féminine parfois très fraîche… Elle lui parle aussi d'Elijah, son fils, car après elle, la vie continue…
Juliana Léveillé-Trudel raconte dans un style à la fois cru et poétique la vie actuelle des Inuits, dépossédés de leurs terres et de leurs modes de vie ancestraux. Souvent la narratrice crie sa colère, notamment lorsqu'il s'agit des jeunes filles à qui l'on vole leur corps dès leur plus jeune âge. Beaucoup de jeunes filles qui tombent enceintes n'élèvent pas leurs enfants, préférant les confier à d'autres villageois : « C'est si simple, pour vous, l'adoption (…) et je vous aime tellement d'aimer les enfants des autres comme les vôtres, si simplement. de toute façon, ils appartiennent à tout le village, les enfants ». La jeune femme oscille entre colère et tendresse, et sait très bien décrire l'amour qu'elle a pour les habitants du village.
Car ce roman est un véritable cri d'amour pour les Inuits, et le cri désespéré d'une femme blanche hantée par la culpabilité des actes commis par les blancs envers ce peuple Premier. Eva l'amie disparue est le symbole d'un peuple qui se meurt, sans bruit.

« Je me sens coupable de mon pays riche, de ma famille unie, de mon éducation, j'ai besoin d'éteindre des feux et de sauver des enfants, j'ai besoin de courir d'une bande de laissés-pour-compte à une autre, j'ai besoin sinon je pourrais m'asseoir et pleurer ou lancer des bombes ».
« Et je meurs de ne pas suffire à la tâche, je ne pourrais jamais dormir, la terre entière est remplie de connards qui ne pensent qu'à se remplir les poches, comment on fait pour rattraper toutes leurs conneries ? »

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Sur les rives de la baie d'Ungawa nu nord du Québec, la narratrice revient à Salluit un village du nord du Québec comme chaque été s'occuper des enfants. Mais cette année elle ne retrouve pas son amie Eva assassinée dont le fjord a englouti le corps.

En s'adressant à son amie, elle dit tout son amour pour cette région, son attachement à cette nature et à ses habitants. La narratrice ne peut que se demander en voyant les enfants dont elle s'occupe ce qu'ils deviendront dans quelques années. Parce qu'il y a les fléaux modernes, les violence faites aux femmes et la fin de l'innocence qui arrive souvent bien trop vite chez les enfants. Bien sur, elle n'est pas la seule blanche à venir mais son amour pour cette région est sincère.
Avec ce cri du coeur pour le Grand Nord, l'auteure évoque les décisions (économiques et politiques) et décrit l'importation d'une culture qui a modifié le mode de vie des Inuits. Son propre désarroi et ses questionnements se font sentir et c'est poignant. Un portrait réaliste où la beauté, la dureté et une sorte de résignation se mêlent sans rendre ce livre plombant.

De l'attachement viscéral de la narratrice aux constats âpres qui pointent du doigt les contradictions, j'ai frôlé de peu le coup de coeur ( oui!) tant j'ai été remuée par cette écriture et par le contenu ( j'ai juste trouvé que la deuxième partie consacrée au fils d'Eva était moins puissante). Sans fard ni pathos mais avec une justesse qui touche le coeur et l'âme, il s'agit d'une lecture très forte qui laisse des traces durables.

Lien : https://claraetlesmots.blogs..
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