Deborah Levy est une romancière britannique, connue à l'origine en tant que dramaturge et poétesse. L'année 2020 l'a consacrée en tant qu'auteure avec deux ouvrages qui ont remporté le Prix Femina étranger. Ces deux oeuvres,
Ce que je ne veux pas savoir (2013) et
le coût de la vie (2020) sont au coeur d'un travail autobiographique que
Deborah Levy appelle Living autobiography. L'enjeu de ce travail biographique est d'écrire au coeur même de la vie, où, comme le dit l'écrivain, les oeuvres sont « vivantes », puisqu'
elles « ne sont, espérons-le, pas écrites à la fin avec le recul, mais dans la tempête de la vie » (Sunday Times, 2019).
Ce que je ne veux pas savoir a pour ambition de répondre à l'essai de George Orwell Why I write(Pourquoi j'écris).
le coût de la vie en est la suite, lorsque l'auteure se retrouve fraîchement divorcée.
Ce que je ne veux pas savoir est un ouvrage assez particulier, peut-être malgré tout plus linéaire que
le coût de la vie. On y suit l'auteure en retranchement à Majorque, au coeur d'une période de vie chaotique. Il fait très froid,
Déborah Levy est seule dans sa chambre, avec un bureau et une prise pour charger son ordinateur. Ses contacts se limitent à Maria, la tenancière de l'hôtel, et à un épicier chinois. C'est sûrement parce qu'elle est perdue dans sa vie, et « ailleurs », loin de
Londres, que lui reviennent en tête ses souvenirs d'enfance.
Déborah Lévy est née en Afrique du Sud. Son père, membre de l'African National Congress, a été emprisonné 5 ans durant l'Apartheid. À sa libération, la famille fuit, s'exile, à
Londres, où les parents divorcent.
La notion – ou le concept ? ou la réalité ? – d'exil est au coeur de l'ouvrage. Vivre exilé, loin de soi-même, sans porter haut sa voix, sans savoir d'ailleurs comment trouver une place quand votre histoire familiale et politique (l'Apartheid) ne laisse personne prendre de place tout court, voilà la sève de cette écriture autobiographique. Dans l'exil, quelle que soit la forme qu'il prend, il y a toujours des choses qu'on laisse, sur lesqu
elles on ferme les yeux, pour avancer. Pour survivre, plus généralement. Et ces choses-là, qu'on refuse de voir, on en a le droit.
Ce que je ne veux pas savoir reprend fondamentalement cette idée-ci : je ne veux pas savoir le pourquoi du comment de certaines choses. N'en déplaise à tous ceux qui peuvent penser le contraire, qu'il faut savoir pour comprendre. Parfois, on comprend sans savoir véritablement, et c'est sûrement assez. La vie est souvent très compliquée, et entrer dans cette « acceptation des choses » n'est pas forcément possible, même si les coachs nous bassinent avec cela. Accepter les choses, c'est prendre le risque de mal les écrire (j'aime beaucoup cet argument que l'auteure prend de
Virginia Woolf). Or s'il y a bien une chose que sait
Déborah Levy, c'est qu'elle veut devenir auteur.
J'apprécie de plus en plus cette plume relativement unique en son genre, qui n'apporte rien : ni constat, ni question, ni réponse. Seulement un flottement autour d'une existence qui tente par-dessus tout de tenir une place. Ça ne ressemble pas à grand-chose, peut-être à des récits de carnets, mais avec un ton distant en dépit du confidentiel.
Une lecture à découvrir.
PS : prochain billet sur
le coût de la vie.
Jo la frite
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