« Oh, il savait manier le fouet, ce vieux mulaga. Il pouvait vous arracher l'oeil de la tête du premier coup - il était connu pour ça. Y avait pas mal de Goorie borgnes dans le coin, à l'époque. Cracker Nunne, on l'appelait, tellement il faisait craquer la mèche de son fouet.
Cracker Nunne, crièrent les corbeaux, excités. Cracker Nunne, Cracker Nunne. »
Celle qui parle aux corbeaux,
Melissa Lucashenko @editionsduseuil #voixautochtones
Voici le deuxième livre publié par les @editionsduseuil dans la collection Voix autochtones, et cette fois c'est la voix des Aborigènes d'Australie qui s'élève pour faire entendre son histoire, sa vérité!
Un récit poignant, une plume dure, grinçante, sans filtre, une voix authentique qui transmet au mieux la réalité telle que vécue par les autochtones…
« Oh ! ceux-là. Les gros ploucs avec leur drapeau australien sur le portail et la bannière confédérée des esclavagistes sur leur Ford F-100. Des whitefellas. Avec des coups de soleil sur leurs vieux tatouages dégueulasses. Des yeux bleus de poissons bouillis contemplant, aveugles, un ciel mort. Ne pigeant rien à rien, sauf quand ça les concernait ou leur appartenait. Mais normaux, par ailleurs. Super, super normaux. Les whitefellas étaient partout dans ce comté, partout où elle allait. Ce n'était pas Logan ici, c'était Durrongo, où les peaux sombres se faisaient rares et espacées les unes des autres, et où les sauvagesnormauxblancs régnaient en
maîtres. »
Elle n'est pas belle la réalité, le racisme à l'égard des peuples premiers est toujours d'actualité, l'inégalité, la misère et la violence le sont aussi!
« C'était toujours un peu la honte d'expliquer comment vivaient les blackfellas. Même quand les dugais vous croyaient, ils étaient pleins de putains d'idées de génie à la noix sur comment se hisser hors de la misère. Comme si c'était simple. Comme si ça n'arrangeait pas les autorités de laisser les pauvres tâtonner dans leur merde, de détourner leur attention de toutes les bonnes choses scintillantes du monde riche, au cas où l'idée leur viendrait de s'en approprier une partie. »
À travers l'histoire de la famille Salter se dévoile non seulement les origines de la dépossession des Aborigènes, mais aussi le quotidien des communautés de nos jours, leurs vicissitudes, leurs combats, leur quête de respect, de reconnaissance, d'émancipation…
« Et la Harley était bien la seule foutue chose plus ou moins stylée à Durrongo, le seul élément ici qui ne trahissait pas la misère et le désespoir. La seule et unique chose qui disait à Kenny chaque matin, qu'elle avait réussi à se tirer vivante de ce trou du cul du monde, qu'elle n'était pas condamnée à vivre pour l'éternité dans ce coin paumé qu'elle avait fui à dix-sept ans. »
Naître blackfella n'est pas une sinécure! c'est grandir et tenter de trouver sa place dans un monde qui vous ferme ses portes comme si nous ne pouviez n'être qu'une seule chose: un paria!
Avec un humour grinçant, une écriture brute et crue, des personnages authentiques, l'autrice nous présente ici un échantillon de la vraie vie des peuples autochtones…
« - Ouais, bruz, ça c'est la vérité, lança Ken à Black Superman, avant de s'adresser aux policiers : Vous autres, vous devriez les emmener à la ville, tous ces whitefellas qui traînent par ici. Leur montrer leurs sites sacrés - les centres commerciaux, les usines, tout ça.
- Et pour l'amour de Dieu, vous pourriez pas les aider à reprendre leurs anciennes coutumes? Organiser des ateliers sur comment pendre et écarteler les gens? Et brûler les sorcières !
Black Superman avait atteint son rythme de croisière.
- Rien de tel qu'un bon vieux bûcher pour rappeler à l'ordre un gosse blanc à problèmes !
Ils sauraient même plus comment s'y prendre pour utiliser les gens comme des esclaves dans leurs exploitations bovines, de nos jours, ajouta Pretty Mary. Faudrait que vous leur appreniez cet aspect-là, Nunny. Comment envahir les pays des autres et les assassiner, en appelant ça la civilisation… »
Un livre nécessaire!