Plusieurs mois désormais que Kerry Salter n'est pas rentrée chez elle, à Durrongo, sa ville natale qu'elle a toujours voulu fuir, plus précisément son frère, Ken, paresseux alcoolique qui rejette la faute sur toutes et tous et maltraite psychologiquement son fils, bien décidé à se détourner de son paternel par une plongée sans fond dans les abysses des jeux sur PC, et sa mère, Pretty Mary, qui n'est plus la même depuis la disparition de Donna, la cadette, il y a désormais de nombreuses années. Mais il était temps pour Kerry de se mettre au vert, faisant la route sur une Harley-Davidson volée et transportant un sac rempli de dollars, résultat d'un cambriolage qui a mal tourné - enfin surtout pour sa petite-amie qui a, elle, été arrêtée. Alors le coup de fil maternel pour annoncer que Pop, le grand-père, n'en avait plus pour longtemps, tombe à pic pour un retour tonitruant au pays, avec en prime une petite discussion avec trois corbeaux qui donne le ton du retour au nid.
Pop, - ce que nous conte le prologue -, c'est Owen Addison, celui qui a combattu fièrement en 1943, celui qui ne s'est pas couché pendant un match de boxe, alors qu'il en connaissait déjà les conséquences, parce que non, un aborigène, bien que plus agile et puissant que son adversaire, n'a pas le droit de gagner un match contre un blanc.
Tant le prologue, qui nous présente Pop au faîte de sa gloire, que les premiers chapitres qui nous content le retour de Kerry chez elle, et les conséquences de ce retour, sur la famille, mais aussi sur elle-même, nous mettent devant le fait accompli : ce roman ne sera pas tendre à lire, s'inspirant de toutes les violences subies à partir de la colonisation anglaise de l'Australie, vécues par l'autrice ou des membres de sa famille, retrouvées dans des archives historiques, issues de récits oraux aborigènes - ce qu'elle précise en introduction -.
La vie est en effet rude, et l'a toujours été, pour les Salter, depuis qu'Ava, l'arrière-grand-mère, enceinte, s'est fait tirer dessus alors qu'elle tentait de s'échapper des mains de son "patron", survivant miraculeusement aux balles et à sa chute dans la rivière qui annonce une île, qui deviendra du coup familiale et qui portera son nom. La misère est omniprésente, les coups du sort aussi, mais c'est sans misérabilisme, et surtout avec beaucoup d'humour, de gouaillerie, de légèreté dans les moments les plus graves, de péripéties menées tambour battant, à l'image même de Kerry, que l'autrice nous décrit
L Histoire aborigène australienne, des exactions, encore et toujours - c'est désormais l'île d'Ava qui risque d'être spoliée par le maire de la ville, et qui réunira la famille dans un combat contre le colonisateur blanc qui l'a toujours spoliée -, et des manoeuvres mises en place pour les déjouer ou y résister envers et contre tout.
C'est un roman riche, à l'énergie fulgurante, aux personnages attachants dans leur anti-héroïsme, aux piques cinglantes et pince-sans-rire qui critiquent sans ambages la colonisation australienne d'hier et ses conséquences, toujours d'actualité, sur les aborigènes, très agréable à lire malgré la dureté des évènements racontés - qui plus est lorsque l'on sait que la majorité des évènements se sont réellement produits -
Je remercie les éditions du Seuil et Babelio de m'avoir permis la découverte, et de
Melissa Lucashenko, et de la nouvelle collection "Voix Autochtones" qui est plus que prometteuse. Je vais lire sous peu le premier roman publié dans celle-ci, Cinq petits indiens, pour confirmer, j'espère, cette première excellente impression.