Un titre « coup de poing », et un auteur qui m'a séduit chaque fois que j'ai ouvert un de ses livres…il n'en fallait pas plus pour m'attirer quelques mois après les attentats de Paris…et pendant cette lecture j'apprends les attentats de Bruxelles…
Le Maître-mot de ce livre est « Pourquoi? » Pourquoi en sommes nous arrivés à ces guerres, à cette violence, à ces dérèglements climatiques.. ?
En effet : « Nous sommes entrés dans le nouveau siècle sans boussole. Dès les premiers mois, dès événements importants se produisent, qui donnent à penser que le monde connaît un dérèglement majeur, et dans plusieurs domaines à la fois – dérèglement intellectuel, dérèglement financier, dérèglement climatique, dérèglement géopolitique, dérèglement éthique »
Alors
Amin Maalouf, Homme sage et érudit recherchant le dialogue entre les civilisations s'appuie sur une bibliographie importante et sur sa connaissance du Moyen Orient, pour poser le problème et tenter de comprendre et de nous faire comprendre : « D'une manière ou d'une autre, tous les peuples de la terre sont dans la tourmente. Riches ou pauvres, arrogants ou soumis, occupants, occupés, ils sont – nous sommes – embarqués sur le même radeau fragile, en train de sombrer ensemble. Cependant nous continuons à nous invectiver et à nous quereller sans nous soucier de la mer qui monte »
A aucun moment il ne cherchera à désigner LE coupable de ces dérèglements climatiques, culturels, sociologiques, religieux. La responsabilité est collective : Colonialisme, poids et influence démesurés des Etats-Unis, politique de dirigeants Arabes et musulmans, consommation du monde occidental, poids des idéologies, gaspillage de notre intelligence collective, religions, immigrations et politique d'accueil des immigrés, importance donnée à l'argent… Aucune de ces causes n'est exclusive, aucune ne peut être montrée du doigt et expliquer à elle seule ce dérèglement actuel de notre monde, elles sont souvent imbriquées et interdépendantes.
Connaissant bien le Moyen Orient où il est né et qu'il a quitté il y a quarante ans,
Amin Maalouf, nous détaille ces guerres et ces politiques menées par Israël, par les dirigeants musulmans, depuis Kemal Atatürk qui réussit à occidentaliser la Turquie, à lui faire abandonner l'écriture arabe, jusqu'à Saddam Hussein en passant par Nasser et le Shah d'Iran…une longue suite de succès en Turquie et d'échecs ailleurs, d'échecs qui créent la rancoeur, des échecs dus à la fois à la politique de ces dirigeants et à des fautes de l'Occident, fautes parmi lesquelles il note la politique coloniale de la France ou de l'Angleterre, prônant des valeurs, prêchant la démocratie chez eux et incapables de les appliquer dans leurs colonies.« Contrairement à l'idée reçue, la faute séculaire des puissances européennes n'est pas d'avoir voulu imposer leurs valeurs au reste du monde, mais très exactement l'inverse : d'avoir constamment renoncé à respecter leurs propres valeurs dans leurs rapports avec les pays dominés » (P. 62). Un rappel historique très documenté, bougrement intéressant, notamment sur la politique de ces dirigeants arabes .
La politique américaine n'est pas non plus étrangère à ces dérèglements…les quelques bulletins de vote qu'il a fallu examiner à la loupe et qui ont permis élection de
George Bush ont été déterminants…Guerre ou pas guerre….Quelques américains ont changé pour toujours la face du monde, et depuis « Chaque élection américaine sera l'occasion d'un psychodrame planétaire » (P. 104). Une image de Guantanamo, centre de torture reconnu par le gouvernement américain – Première fois qu'un gouvernement officialise la torture! – peut aussi par sa violence perçue dans le monde musulman, créer une autre violence incontrôlable en retour…un monde en permanence sur le fil du rasoir
La religion, devenue facteur identitaire, est également source d'incompréhension et de division entre les hommes. Nombreux sont ceux et celles qui sont d'abord musulmans ou chrétiens avant d'être citoyen d'un pays. S'il ne viendrait pas à l'idée d'un pape de revenir sur une décision prise par l'un de ses prédécesseurs, il n'en est pas de même en ce qui concerne le monde musulman, qui n'est pas organisé hiérarchiquement comme l'est la religion catholique, et dans lequel une fatwa plus rigoriste d'un imam peut annuler une autre fatwa prise par un autre imam. « C'est l'absence d'une institution «papale» capable de tracer la frontière entre le politique et le religieux qui explique à mes yeux, la dérive qui affecte le monde musulman, plutôt qu'une directive divine instaurant la confusion des genres » (P. 227-8)
L'actualité confirme, si besoin était, que ce « coup de poing sur la table » donné par cet honnête homme
Amin Maalouf, conserve toute sa pertinence. Il est dommage qu'il ne soit pas mieux connu, que chacun de ses aspects, notamment ceux relatifs à la politique d'intégration des immigrés, ne soient pas discutés, ne soient pas connus par chacun de nous. Ils prouvent si besoin était la grandeur d'âme et l'ouverture d'esprit de l'écrivain, de l'homme.
Un livre dont il faut parler, un morceau de bravoure qui tout d'abord permet à chacun d'apprendre, de réfléchir, de ne pas avancer des solutions simplistes du type « Y a qu'à » ou « Il faudrait » en réponse à la complexité des problèmes, un ouvrage qui devrait donner lieu à des échanges, dans nos vies, dans nos cités, des échanges pour beaucoup mieux se connaître et tenter à partir de là de se comprendre et s'accepter, pour que notre regard sur les autres change : « Il n'y a plus d'étrangers en ce siècle, il n'y a plus que des compagnons de voyage » (P. 205)
Un livre indispensable si nous voulons tous balancer du bon côté : « Je balance entre l'extrême inquiétude et l'espoir » (P. 277)
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