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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« Tout était blanc autour du petit cabaret et sur le toit des maisons et sur les arbres pétrifiés. On ne voyait même pas une trace de pas sur le sol. Tout le monde s'était enfermé chez soi et les plus inquiets, la tête raide sur l'oreiller, sentaient peser sur eux le mystique silence de la neige. »
Quatre hommes et une femme, peut-être poussés par le destin, vont entrer dans ce cabaret. Leur solitude est plus détestable encore que la froidure de cette nuit enneigée où les sons ne se propagent plus. le premier a toujours le ventre vide, celui-là est hanté par ses cauchemars, cet autre fuit des ombres, le dernier est en rupture de ban ; elle enfin ! entre deux rires grêles, se croit au théâtre, s'invente une vie. Encore une ! Ils sont jeunes, mais déjà épuisés par la vie. Cinq âmes perdues, tourmentées, qui se blottissent autour d'un poêle rougeoyant, qui se racontent comme seul on peut le faire au milieu de la nuit, un verre d'alcool à la main.
Puis, arrivé le petit matin, les mains enfoncées dans les poches, les épaules rentrées, chacun reprend sa direction. Perdus dans la brume épaisse de l'existence, la même hésitation. La même misère. le même dégoût. La même résignation. Sauf la femme peut-être – Nelly – qui tirera son épingle du jeu tandis que les quatre compères, eux, s'enfonceront irrémédiablement dans leur nuit.
Un roman magistral, crépusculaire, désespéré, sans fil conducteur sinon de nous montrer du bout du doigt, presque à la dérobée, cinq vies ballotées comme feuilles au vent.

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Du grand Mac Orlan, ce roman est une référence qui nous fait vite oublier le film pâlot qu'en a tiré Marcel Carné, qui affadit la vigueur, la justesse dérisoire et le côté désespéré du roman.
Des phrases assénées avec une certitude qui en fait la violence :
« Quand, de déchéance en déchéance, il eut endossé le costume de la misère, il reprit son chemin à travers les rues, à travers les hommes et les femmes dont il se promettait d'oublier les noms, dès que l'avenir le permettrait. »
Jean Rabe nous entraîne avec lui dans cette déchéance avec laquelle il joue, flirte puis se marie.
« Oui dit Rabe, la neige donne à la misère son décor le plus émouvant. Un misérable sur la neige possède encore une valeur sociale, tandis qu'un misérable en plein soleil, c'est déjà de la pourriture. »
Ce héros ordinaire marche sur le fil du rasoir, enchaînant dans sa tête des projets censés le sortir de la mouise, qui ne verront jamais le jour.
« Il se mit à imaginer comme les enfants, des situations extraordinaires où il se développait magnifiquement, tantôt en officier de marine, tantôt en coureur cycliste fameux, tantôt en homme invisible. Cette hypothèse charmante l'accapara jusqu'au moment où il s'endormit en rêvant que, grâce à son invisibilité, il dévalisait une banque et commettait d'autres méfaits d'un caractère plus intime. »
Il rêve en en couleur, mais sa réalité, celle où se contente de regarder les autres vivre la vie qu'il aurait voulu vivre, est en noir et blanc, (avec plus de noir que de blanc).
C'est cela peut-être la force de ce roman, démontrer que l'engrenage du malheur existe bel et bien, et que la charité, consentie à Rabe, prend souvent la forme du déni de la pauvreté lorsque l'on donne pour ne jamais avoir à demander soi-même un jour.
Frédéric le patron du « Lapin Agile » est-il l'homme généreux qui se cache sous une apparence bougonne ? :
« Garde tes sous dit le « boss » d'une voix sévère. L'humanité est vache, je te le dis. »
Quant à Nelly, elle est loin du personnage éthéré et irréel joué par Michèle Morgan :
« C'était une grande blonde, pâle, assez gentille, une figure fripée par la misère, l'amour, l'insomnie, et des embarras gastriques causés par l'abus de la charcuterie, des oeufs durs et de l'alcool. »
Dérision, cruauté, réalisme, humour :
« L'un de ses bas était troué et l'on voyait son pouce qui se recroquevillait devant la flamme comme un tout petit personnage indépendant. »
« L'Allemand désirait tendrement Nelly, parce que l'extrême misère de cette pauvre fille, vêtue de loques prétentieuses, l'excitait sensuellement jusqu'aux larmes. Nelly profitait de cette situation pour emprunter au jeune peintre des sommes ridicules, en échange de quoi elle ne lui offrait rien. »
Michel Kraus est un peintre visionnaire, il décèle dans les paysages et les visages qu'il peint, la vraie nature des personnages et des lieux. Ce don lui fut révélé par l'intense lumière qui se dégageait d'un puit qu'il avait peint en arrière-plan d'un tableau, puit dans lequel un cadavre attendait une sépulture depuis des années.
Il ne supporte plus cette mise à nu des choses et des gens.
Zabel, le boucher, surjoue son métier, il met en avant, sur ses mains et ses vêtements, dans ses yeux, ce sang dont se pare le vendeur de viande. A l'abattoir ses collègues ne l'aiment pas, mêmes s'ils acceptent de prendre l'apéritif avec lui.
Le « boss » ne s'y trompe pas :
« - Je ne sais d'où tu viens, ni qui tu es, fit le « boss » d'une voix ferme. Mais je sais que tu l'as échappé belle cette nuit. Je ne veux pas te connaître, cela ne me regarde pas. le jour se lève, tu peux partir. C'est l'heure. Tu n'as pas besoins de me remercier. Et tu n'as pas besoin non plus de revenir par ici, car je ne t'ouvrirai pas la porte. Tu as une tête que je n'aime pas. »
On a dit et écrit ( !) de ce roman, qu'il reposait sur rien, une trame simple, des personnages transparents et que le film de Marcel Carné l'avait magnifié en y trouvant des choses que Mac Orlan lui-même n'y avait pas vues.
Diantre, comment peut-on oser ?
Le quai des brumes est une parabole construite autour d'un personnage principal, Jean Rabe, une sorte de looser du début du 20ème siècle, bachelier sans estime de soi, sans envies, sans âme, refusant la vie qui lui est proposée.
Les autres personnages n'existent que par rapport à lui, ou du moins les fait-il vivre pour nous selon sa propre logique, celle du trimardeur qui ne voit dans les autres que la pièce de 5 francs qu'il va pouvoir obtenir pour pousser sa vie de quelques jours plus loin.
Frédéric le patron du lapin agile est l'homme établi, le sage, le nanti, celui qui peut donner, Rabe le considère comme un recours permanent, mais il n'ose jamais lui demander de dormir au lapin agile. Il y boit, il y mange, il s'y repose, ramasse une pièce et pas plus…
« - Adieu ! vieux « boss », cria Rabe, je pars pour je ne sais où. »
Nelly la prostituée qui s'impose parfois à Rabe lorsque celui-ci dégote une piaule :
« Vers midi Nelly se réveilla. Rabe la regardait dormir depuis plus d'une heure. Il frémissait de rage impuissante, car il n'aurait jamais pu dire, à cette jeune fille qui avait besoin de sommeil, de s'en aller. »
Michel Kraus le peintre :
« Quant à Rabe et Nelly, je ne sais me prononcer. Après tout, ceux-là possèdent un coeur relativement pur. J'aurais pu peindre les portraits de Rabe et Nelly sans danger et sans inquiétude… »
Le soldat qui usurpe l'identité de Jean-Marie Ernst déserte et finit pas rempiler pour cinq années dans la légion.
« le lendemain à dix-heures, Ernst, avec son faux blaze, s'engageait pour cinq ans. »
« Et les deux bouts de sa vie se rejoignaient pour former un cercle parfait. »
Rabe et Nelly se retrouveront ils dans une autre vie, rien n'est moins sûr :
« Nous deux Nelly, nous sommes encore aujourd'hui ce que nous étions hier. Quel soulagement de le constater… »
« Cette nuit-là, Nelly travailla courageusement, ainsi qu'une vraie femme du métier. Elle forçait l'attention des hommes, parce qu'un élément supérieur à toutes les hypothèses la dominait et la dirigeait vers son avenir par une route aussi nette et aussi autoritaire qu'une voie ferrée. »
La morale terrible de ce roman, qui en fait la force et lui donne la couleur du désespoir, est que les rêveurs ne s'en sortent jamais.
Cette affirmation restitue la noirceur de la période d'avant la grande guerre : « A cette époque l'Europe dormait entre ses pattes comme un bête de proie hypocrite, et l'humanité pensait à tort et à travers avec la permission tacite de la bête endormie. »
Rabe (d'ailleurs on peut s'interroger sur le choix du nom du héros, Rabe est celui qui en rajoute toujours, rêve toujours plus que les autres, est toujours plus inconscient que les autres, toujours plus généreux que les autres, toujours plus impuissant que les autres, devant la vacuité de son existence et la sombre direction qu'elle prend, malgré tous ses efforts pour la dévier vers l'un de ses rêves) incarne cette génération sacrifiée à la grande guerre, cette chaire à canon dont une grande partie fut avalée en l'espace de quatre années par la bête affamée.
Alors, oubliez tout ce que vous avez pu entendre sur ce roman de Mac Orlan et plongez-vous dans la brume du quai, vous n'en sortirez pas indemne, en tout cas vous en reviendrez avec une conscience différente, et n'est-ce pas ce que l'on demande à un roman, de nous faire progresser vers la conscience universelle ?










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Dire que j'ai osé vivre 55 ans, avec un bouquin pareil dans ma bibliothèque sans l'ouvrir... Impardonnable.
Ce livre possède une puissance évocatrice peu commune. Il n'est pas noir, il est désespéré d'une misère sans fond.
Non pas un livre à lire, mais des mots à mâcher un matin de brouillard, vers cinq heures, en mastiquant la brume noire et pâteuse qui vous entoure...
Il n'y a pas d'histoire, juste l'évocation de quelques personnages, déjà morts en eux-mêmes, qui se traînent, se perdent, se tuent, se dégoûtent si profondément qu'ils en deviennent presque abstraits de bêtise.
Le reste appartient au génie de Mac Orlan, qui assemble des mots comme un boucher s'amuserait, par désoeuvrement, à construire en pyramide son arsenal de coutelas.. Avec professionalisme mais en pure perte...
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Des trajectoires qui se croisent dans un bar, par une nuit enneigée... Toute la force du roman réaliste, qui révèle la lumière au coeur de la misère la plus sombre. Mac Orlan, grand chansonnier et grand coeur, au sommet de la narration de la condition humaine
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