Obéir ! Obéir ! Vous n’avez que ce mot à la bouche quand il s’agit des femmes. Pauvre meskin, tu retardes d’un demi-siècle. Même chez nous, dans le bled, ces idées sont périmées. Mais tu es de ceux qui n’acceptent pas que nous ne soyons plus livrées à vos caprices. Vous feignez d’adopter les idées modernes qui ont gagné notre pays, grâce à quelques esprits moins butés que les vôtres, mais dans votre cœur, vous ne les approuvez pas. Surtout en ce qui concerne les esclaves d’hier. Car c’est cela que nous étions : vos esclaves. Pas d’émancipation pour les femmes. Malgré le progrès, malgré la loi. En théorie, peut-être, mais dans la pratique et surtout en ce qui concerne vos épouses, il n’y a rien de changé.
— Un époux que je n’avais pas choisi, un chef au poil gris, plus laid et déplaisant qu’un vieux bouc !
— Ton père l’avait choisi. Et tu devais te soumettre. Mais tu es une rebelle, une fille révoltée qui a réussi à convaincre le vieux Belkacem. Il avait perdu l’esprit, je pense. Et puis, il était travaillé par les idées modernes, ces théories subversives qu’une politique déplorable a engendrées dans notre pays.
Parfaitement, tes dévergondages. Comment appeler autrement l’existence que tu mènes ici, seule au milieu des hommes de ce pays, sous ces vêtements impudiques, le visage nu, les épaules et la gorge offertes. Chez nous, ce sont les filles de rien qui se conduisent de cette façon, celles qui sont la honte des tribus et qu’on va voir en cachette, comme des pestiférées.
Ce monde particulier où bêtes et gens et paysages étaient si dissemblables de celui qu’elle avait adopté qu’il semblait aujourd’hui appartenir au rêve. Et pourtant…
Il faut bien un commencement à tout.