Citations sur L'archipel d'une autre vie (228)
Je me souviens qu'en parlant de cette vie Gartsev me confia : " Je ne n'aurais jamais cru que l'homme avait besoin de si peu. "
Un soleil pâle, l’infini de l’étendue marine et, à l’arrière, l’attente éternelle de la taïga. Le temps aboli.
Ce que je vis, arrivant là-haut, fut impossible à exprimer. L'infini, le néant, la chute dans le vide...Ma pensée articulait ces mots qui s'effaçaient devant la vertigineuse beauté qui n'en avait plus besoin. Une légère brume voilait l'horizon. L'océan unit au ciel était l'unique élément qui nous entourait de toutes parts. Et le soleil, déjà bas, renforçait cette sensation de fusion, recouvrant tout d'un poudroiement doré, ne laissant pas le regard s'accrocher à un détail. Nous étions, je le voyais à présent, au point culminant d'une petite péninsule et la hauteur du lieu créait cet effet de lévitation au-dessus de l'immensité océanique.
Dans ce monde confus, l'unique constante s'imposait : la haine. Elle pouvait résulter du désir, de la peur ou bien des idées apparemment nobles et, curieusement, les plus meurtrières.
Le commandant s'affala près du feu, nous invitant, Vassine et moi, à prendre place. Dans une prestidigitation solennelle, il plongea une main dans son sac et en retira une bouteille d'un litre.
" Voilà ! Du pur alcool d'infirmerie."
La bouteille était déjà bien entamée, mais Boutov, interceptant notre coup d'oeil, nous rassura : "Du cent pour cent. Pour une part, vous mettez quatre parts d'eau... Et n'oubliez pas ça !" Dans sa tasse d'aluminium, il écrasa une poignée de framboises sauvages. "Mieux qu'un porto !"
la mer gonfle, explose, se chiffonne de crêtes d’écume, s’enfle dans un rapide mûrissement des masses d’eau qui exhibent leurs entrailles verdâtres, me fouettent de sel, entraînent le bateau dans un glissement oblique, lui faisant heurter une vague en fuite. Au-dessus de ce chaos, le ciel demeure d’une sérénité impassible, égale dans sa tonalité d’acier, un miroir mat qui reflète ce grain de poussière – notre bateau – perdu au milieu du néant. Le soleil ne s’est pas encore levé et cette clarté sans nuances est celle d’une planète inconnue, recouverte tout entière d’un océan des premiers âges…
Comment, avec son air de valser sur les nuages, pouvait-elle apprendre la comptabilité ?
Le vent chassait les vapeurs d’alcool, nous faisant frôler cette lucidité extrême qu’on atteint rarement sans avoir bu.
A la chute du jour, en dévorant la chair grillée sur les braises, je pris conscience de n'avoir jamais pensé avec un tel chagrin et une telle reconnaissance, à une parcelle de vivant qui m'épargnait la mort. En vérité, jamais je ne m'étais senti aussi uni à cette vie dite sauvage et à laquelle à présent j'appartenais...
J’hésitai un moment, puis avouai : « Il n’y avait pas de cave pleine de vins dans cette ville balte dont j’ai parlé. Juste une caisse de bouteilles. J’ai bu avec les bidasses pour oublier que nous avions piétiné les visages des cadavres. Depuis, je n’ai pas trouvé d’autre moyen d’oublier…