Alors que l'URSS tousse et s'approche de la fin, dans un orphelinat au fin fond de la Sibérie, le narrateur, âgé de treize ans, fait la connaissance de Vardan, un jeune Arménien qui s'est fait prendre à partie brutalement par les meneurs, en se portant à son secours. Une amitié naît entre eux, et il va faire la connaissance de la famille, de ses traditions, de sa culture.
Vardan est venu vivre ici provisoirement avec sa famille, et d'autres personnes, car il y a eu une révolte chez eux et les hommes qui ont été arrêtés ont été transférés dans la prison qui domine la ville. Prison qui était autrefois un monastère, mais les Bolchéviks les ont dépossédés, pour ne pas dire plus.
On fait la connaissance de Chamiram, la mère de Vardan, de la belle Gulizar, sa soeur et d'autre personnages tout aussi attachants.Leurs conditions de vie sont précaires, dans des « logements insalubre », deux valises faisant fonction de lit pour Vardan, alors que la pièce est décorée de châles, une vieille table un peu boiteuse.
Vardan et le narrateur ont trouvé refuge dans un abri, secret au pied des tours de la prison. Ils s'y retrouvent pour parler, pour faire plus ample connaissance.
Dans leur cachette, les deux ados voient passer un vol d'oies sauvages et partagent ce moment de grâce particulier, car elles sont libres, et les prisonniers de la prison-monastère peuvent aussi les voir voler dans le ciel.
« Je me sentis péniblement muet, ne sachant pas encore que le plaisir de partager cet instant de beauté était le sens même de la création, l'aspiration véritable des poètes et qui restait le plus souvent incomprise. »
On rencontre aussi Ronine, le professeur de science, atypique dans la vie comme dans l'exercice de son métier n'hésite pas à se mêler aux Arméniens qui habitent de façon précaire dans ce lieu qu'on appelle le Bout et que l'auteur appellera le Royaume d'Arménie ». C'était un commissaire politique dans l'armée qui a eu le bras arraché par un éclat d'obus, alors qu'il partait à l'assaut avec ses camarades en criant : « pour la patrie ! pour Staline »
L'accueil est chaleureux, avec le café à la turque dans la belle cafetière, et les quelques objets de valeur qu'ils ont apportés avec eux, ce qui leur permettra de survivre en attendant le procès. On voit passer la belle Gulizar qui porte des colis aux prisonniers. Malgré la pauvreté, ils sont accueillants, partageant leur repas, faisant parfois la fête. Peu à peu, Chamiram raconte leur histoire, les persécutions dont ils ont été victimes pratiquement du jour au lendemain : des hommes qui les saluaient poliment la veille se sont mis à les frapper, les étriper, prendre leur biens… les relations compliquées entre Arméniens et Azerbaïdjanais ne datent pas d'hier dans le Karabach, le génocide turc de 1915 a fait des émules…
J'ai beaucoup aimé ce dernier roman d'
Andreï Makine, car il raconte une belle histoire humaine, au travers d'un fait historique, avec Vardan, ce gamin à la santé fragile, atteint de ce que l'on appelle « la maladie arménienne » qui ressemble à des rhumatismes articulaires aigus, et le laisse allongé, immobile et fiévreux, avec des articulations qui doublent de volume, un adolescent qui est devenu adulte trop vite, du fait de tout ce qu'il a pu voir déjà dans sa vie.
Le narrateur, orphelin dans ce pensionnat sinistre, plonge dans la vie de cette famille chaleureuse et découvre les liens étroits qui les unissent. Il aime le récit de Chamiram qui lui fait découvrir un autre univers, ce qui va l'aider à se construire lui-aussi, lui montrant qu'il n'y a pas que la violence aveugle (les meneurs de l'orphelinat sont dépeints de manière brutale, mais il n'y a pas qu'eux, certains quartiers sont des zones de non-droit).
J'aime bien retrouver la plume d'
Andreï Makine, que j'ai découvert il y a longtemps avec «
le testament français », et ce roman m'a beaucoup plu, alors que j'avais été un peu désarçonnée par le précédent «
au-delà des frontières » intéressant certes mais comme je ne suis une grande adepte des dystopies…
Une fois de plus, l'auteur nous parle de fort belle manière de l'exil, du bannissement, de ce qu'on laisse derrière soi à chaque départ, et des conflits ethniques qui font rage depuis la nuit des temps et ne sont pas près de s'arrêter.
Je mettrai juste un petit bémol, en refermant «
L'ami Arménien » : l'écriture est magnifique, la maitrise de la langue française renversante comme toujours, mais ce qui est d'habitude de l'ordre de la réserve et de la pudeur, s'apparente plus à de la froideur… la précision est quasi chirurgicale… cependant, c'est une très belle histoire alors, si vous aimez l'auteur, foncez.
Mon préféré, pour l'instant, reste «
L'archipel d'une autre vie ».
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m'ont permis de découvrir ce roman et de retrouver un auteur que j'aime beaucoup.
#Lamiarménien #NetGalleyFrance
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