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3,72

sur 381 notes
Dans une Ville en guerre, jamais nommée, un Colonel est affecté pour diriger la Section spéciale sous les ordres d'un Général, enfermé dans son bureau et jouant aux échecs; le Colonel a à sa disposition une Ordonnance. le Colonel est un tortionnaire zélé, qui exécute les ordres le jour sans se poser de questions et ne peut plus dormir la nuit, hanté par toutes ses victimes.
Le roman alterne la narration autour de ces trois personnages et les monologues hallucinés sous forme de poésie libre du Colonel dans lesquels il s'adresse à tous ceux qui sont morts sous la torture qu'il leur a infligée.
A aucun moment, n'apparaît le mot "torture" mais sont utilisés des vocables encore plus terriblement évocateurs : "il travaille, coupe, taille, sectionne, tranche, rompt, brise, arrache" qui banalisent l'horreur, en font une activité normale si on oublie que ces verbes concernent le corps d'hommes suppliciés.
Le roman baigne dans une atmosphère grise, humide, poisseuse, poussiéreuse ; la pluie tombe sans interruption conduisant à la déliquescence des êtres et des choses. Paradoxalement, la seule lumière de ce roman provient du halo lumineux sous lequel officie le Colonel et où des êtres humains meurent dans d'atroces souffrances.
L'absence de nom pour la Ville confère un caractère universel au texte, à la guerre et ses horreurs, quel que soit le lieu. Les trois personnages n'ont pas de nom, non plus, comme s'ils étaient déshumanisés. Les victimes sont chosifiées et perdent toute leur humanité en devenant des hommes-poissons ou des hommes-chiens.
Ce roman est un réquisitoire terriblement efficace contre la guerre, contre la torture. On ne peut manquer d'associer le Colonel à Paul Aussaresses, que Pierre Messmer qualifie en exergue de « spécialiste », qualificatif que l'on retrouve accolé au personnage du Colonel ; comme les militaires du roman, il portait un béret rouge, celui des Parachutistes, auquel il appartenait. Paul Aussaresses a pratiqué et justifié la torture en Algérie comme moyen de récolter du renseignement afin de faire avorter les opérations ennemies meurtrières.
Ce texte est glaçant, désincarné, déshumanisé, il donne la nausée mais il est d'une force évocatrice incroyable. La langue est magnifique et puissante. Je ressors secouée de ma lecture et admirative du caractère singulier et dramatique de ce court roman.
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Voici un texte aussi court qu'intense. Il est d'une grande beauté, alliant le style narratif et la poésie en prose. Ces choix plongent le lecteur dans un maelstrom d'émotions. Ils lui permettent au sens propre t'entendre le cri de détresse du colonel qui, sous nos yeux, perd son humanité.
Bien sûr, de prime abord, on est perplexe. Cet homme, qui torture à longueur de journée, de semaines, de mois, a-t-il une conscience ?
Ce colonel est un tortionnaire. Chaque nuit, il est poursuivi par ses victimes qui le hantent. La nuit, c'est son âme qui prend les commandes, oubliant le conditionnement militaire, la place que la société lui a assignée.
C'est le tour de force de ce roman, apporter de l'humanité à celui qui la nie, amener le lecteur à faire un pas de côté et à oublier le jugement rapide que l'on a tous face à ces bourreaux.
Une autre façon de rappeler que les monstres n'existent pas, ces tortionnaires appartiennent aussi au genre humain. Avec toute l'horreur qui accompagne cette prise de conscience.
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Dans une ville dont on ne connaîtra pas le nom, dans l'atmosphère liquéfiée d'un pays en guerre, des militaires sont les acteurs dociles et serviles de la Reconquête. Dans cette ville, ce bâtiment aux statues décapitées qui prend l'eau, les hommes obtempèrent aux ordres des états majors qui ne pensent qu'a faire bouger leurs pions sur la carte des vainqueurs. Ils agissent sur ordre, sans jamais se soucier des hommes qui meurent, de ceux qu'ils brisent, et agissent hors de toute conscience, sans aucune humanité.
Le général, le colonel et l'ordonnance sont de ces hommes en uniformes uniformément gris.

Mais désormais le colonel ne dort plus.

Car le colonel a trop de morts, d'actes de torture, d'hommes brisés sur la conscience pour que ses victimes le laissent dormir en paix. Chacun de ceux qu'il a brisé pour ce qu'on lui avait annoncé comme une noble cause viennent tour à tour hanter ses nuits à tout jamais.
Car soudain, le colonel a une conscience.

Les chapitres alternent entre ces trois hommes et leur conscience, ou manque de conscience sans doute, et les pensées du colonel. Ce colonel qui a une âme, une conscience du mal fait, de l'horreur vécue au quotidien, c'est aujourd'hui un homme qui ne souhaite qu'une chose, mourir sans doute et dormir enfin, apaiser sa mauvaise conscience et oublier les multiples morts sont il est coupable, lui dont les yeux sont enfin dessillés, qui voit enfin ce qu'il a fait en obéissant aux ordres, en voulant gagner ses guerres fort de son droit et de la justesse de ses actions. La reconquête avait un prix, celui de la vie des hommes.

Un roman que j'ai trouvé difficile à écouter, et à lire sans doute, particulièrement en ces mois où la guerre est devenue une réalité au quotidien dans un pays si proche de nous. Mais aussi en pensant à la réalité de ces mots dans le quotidien de tant d'hommes et de femmes dans l'histoire y compris récente. de fait, je l'ai écouté à dose homéopathique pour en absorber toute la force du texte. Il faut dire que les mots d'Émilienne Malfatto claquent et heurtent nos consciences endormies, donnant une autre réalité aux actes de guerre, de torture, de conquête au nom de qui et par qui. Car c'est aussi une réalité, les militaires sont avant tout des hommes, et obéir n'est pas sans risque pour les consciences le jour où elles s'éveillent enfin.

J'ai vraiment aimé la lecture par Feodor Atkine, sa puissance sonore, sa force, sa tonalité entrent en symbiose avec le texte d'une façon magistrale. Il se coule dans la tête de ce colonel insomniaque et presque repenti pour le faire vivre à travers les intonations et la puissance de sa voix.

Chronique complète sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2022/10/25/le-colonel-ne-dort-pas-emilienne-malfato/
Lien : https://domiclire.wordpress...
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Le colonel ne dort pas. Ses heures nocturnes s'étirent, rythmées par des ombres, pesant de tout leurs poids sur son âme.

Les ombres, ses victimes, devenues ses bourreaux. Car le colonel est un spécialiste.

Un spécialiste de la guerre mais surtout de la torture, des moyens de maintenir un corps en vie, de le briser pour en connaître tous les secrets.

Mais voilà, même si c'est son devoir (quoiqu'il n'ait pas rechigné à un changement de camp), le colonel se trouble, grisonne, se dématérialise.

Comme la Ville où il opère, noyée sous la pluie, comme le général qui réalise la précarité de son statut, comme le subalterne qui ment sur les réussites militaires, comme l'ordonnance qui pense à tout sauf au spectacle morbide auquel il doit assister.

Ce récit d'Emilienne Malfatto est encore une très belle réussite. J'ai lu qu'elle avait écrit ce court roman avant « Que sur toi se lamente le Tigre » et cela se ressent un peu. J'ai trouvé ce récit peut-être un peu moins abouti, un peu moins percutant mais tout aussi émouvant.

Il interroge sur la guerre et sur la vacuité de celle-ci, où les atrocités sont, au final, commises par tous les protagonistes. Une situation où tous subissent cette déshumanisation, cette désespérance et ce, peu importe les raisons du combat.

Un roman qui interroge, interpelle, déstabilise le lecteur et qui ne s'oublie pas après la dernière page tournée.
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Le colonel ne dort pas. Et insomniaque, on le serait à moins. Car toute la journée, dans une cave, au milieu d'un cercle de lumière, le colonel mène des interrogatoires sur les ennemis de la Reconquête.
Mais ce militaire aguerri, pourtant consciencieux et discipliné, n'arrive plus à chasser de son esprit les corps déshumanisés de ses victimes. Alors il ne dort plus.
Car dans cette Longue Guerre, les soldats les plus convaincus commencent à perdre leurs motivations. Bien sur, il y avait un dictateur à chasser, un nouveau régime à installer, mais que reste-t-il encore à faire maintenant? Sous une pluie battante, au son lointain des canons, la Ville se dissout dans une grisaille qui engloutit ses plus fervents défenseurs.
Dans ce monde gris où tout est devenu flou et fou, seul un jeune soldat, ordonnance du colonel, semble faire preuve d'un semblant d'insoumission qui lui permet de garder une petite touche de couleur.
Mêlant la narration à un long poème en prose, avec des mots si bien choisis qu'ils nous vont droit au coeur, Emilienne Malfatto remet en cause la discipline guerrière qui ne laisse plus de place aux états d'âmes.
Alors si l'objectif de l'autrice était de nous révolter contre l'absurdité des conflits qui s'enlisent et l'insoutenable horreur de la torture, c'est tout à fait réussi et même plus.
A tel point que personnellement, je préfèrerais ne pas avoir lu ce court roman qui m'a paru souvent insoutenable et qui me hante encore aujourd'hui.
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Voilà un curieux ouvrage qui mêle intelligemment des poèmes et des textes en prose.
Les poèmes sont à la première personne et trahissent l'emprise du mal sur le psychisme des deux principaux personnages, le colonel et le général.
Les proses sont à la troisième personne et décrivent plutôt froidement les actions du colonel et un peu du général.

Conseillé par ma libraire qui voyait que je m'intéressais à la question du mal (d'un point de vue philosophique).

Le texte m'a semblé un peu naïf à première vue car c'est une sorte de conte philosophique. Et peut-on parler du mal de façon si abstraite? Mais en réalité, en avançant dans la lecture, j'ai compris les éléments principaux qui sont développés :
-l'emprise du mal sur les consciences de ceux qui le pratiquent impunément, qui le justifient. le colonel ne dort pas... mais il continue à faire consciencieusement son travail de torturer les ennemis du régime.
-le prix à payer pour fermer les yeux sur le mal et les compromissions nécessaires pour s'en acquitter (l'ordonnance et l'envoyé de la capitale).

J'ai aussi apprécié le terme de reconquête, car c'est un terme qui n'est pas anodin dans notre paysage politique actuelle et qui traduit une emprise sournoise du mal sur les consciences, en essayant de changer la mémoire d'un pays et de ses valeurs. Les torturés sans visage du conte me font penser aux convertis du mouvement, victimes malgré eux de cette torture psychologique par la peur et la haine.

Alors, c'est un beau texte, et j'ai beaucoup apprécié l'alternance de poésie et prose, mais il me touche beaucoup moins que par exemple Où j'ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari sur la guerre d'Algérie.
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Le colonel ne dort pas, il est hanté par ses morts, ceux qui sont passés de vie à trépas à cause des tortures infligés par ses soins, le colonel est un tortionnaire, un expert pour obtenir des renseignements.
Peu importe où nous sommes, dans quel conflit, avec quelle armée, à quelle époque, seule la culpabilité est universelle et celle de notre colonel est contagieuse, visqueuse, insidieuse.
Un livre étonnant où les pensées du tortionnaire sont écrites en italique sous forme de poésie.
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Je me sens moins seule après avoir lu les critiques correspondant à ma note (et en dessous)
J'avais trop aimé le Tigre, l'attente était forte et je suis déçue; je ne suis pas vraiment rentrée dans le livre, écouté en audio, il me semble que l'éventuelle qualité littéraire passe mal; seule l'histoire émerge: une ville après une dictature, un colonel qui a tellement torturé qu'il en a perdu le sommeil, une ordonnance sans épaisseur et un général qui devient fou avec la montée des eaux; enfermé dans son bureau inondé par la pluie incessante, il se met à attraper les petits poissons qu'il mange crus.
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Thème délicat qui rappelle (en effet) le désert des tartares de Buzzati, mais dont la forme ici redessine l'impact. Émilienne Malfatto, un temps reporter de guerre, a vu les horreurs commises, les horreurs subies et les dévastations qui n'en finissent pas de gangréner acteurs, victimes et spectateurs de la barbarie.
J'ai été happée par le récit glaçant, brut et sans détours d'une guerre intemporelle, sans nom, sans date et sans lieu.
Les cauchemars du colonel sont délivrés sous forme d'une poésie libre qui alterne avec un récit factuel . C'est une surprise d'écriture.  Sur un thème aussi sensible que la guerre, mêler poésie et atrocité n'est pas évident, et le format, court, n'a pas alourdi ce bref mais saisissant témoignage. Lire plus sur http://anne.vacquant.free.fr/av/index.php/2022/10/13/emilienne-malfatto-le-colonel-ne-dort-pas/
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Lambeaux de conscience pour une mort lente…
La construction et la densité de l'écriture donnent une force à ce sujet sans unité de lieu ni de temps, l'auteur nous dit la planète brûle ne détournons pas la tête.
Ce troisième opus est une confirmation d'un talent réel et d'une écriture puissante.
La construction qui alterne ce que je nomme des lambeaux de conscience qui prennent une forme éblouissante, ne seraient-ils pas des éclairs d'une foudre révélant la violence de l'orage de notre monde et d'une planète en feu ?
Émilienne Malfatto me fascine par cette écriture si dense qui nous donne cette sensation d'un tableau impressionniste où le mystère réside dans tous les détails à visualiser pour connaître l'intention du peintre.
Le sujet m'a fait penser à l'auteur discret et talentueux Hubert Mingarelli avec Quatre soldats, dire ce que la guerre fait aux hommes.
En peu de mots, mais des mots choisis avec art , le lecteur voit se dissoudre l'humanité.
« le colonel a oublié le moment exact où il a cessé de dormir. Après quel mort, quel interrogatoire, quelle bataille, quel corps qui n'en était plus un. »
Une fiction que le lecteur sait réelle, donc pas besoin de nommer car elle concerne tous les hommes de la planète.
L'écriture maîtrise l'art d'arrêter sa course juste au moment où cela serait insupportable à lire.
On se surprend à penser à des figures emblématiques de la torture de tous les pays et toutes les époques, on pense aussi à cette guerre à nos portes.
Le rythme nous porte vers la plongée du précipice de l'irrémédiable.
C'est un cri magistral qui nous dit l'absurde et nous enjoint de ne pas le banaliser.
C'est un livre dense, puissant, une déflagration littéraire qui se confirme.
Le colonel ne dort pas, quand sera-t-il des lecteurs ?
La couverture est éblouissante et dans la veine des mots d'Émilienne Malfatto.
Lu dans le cadre du Prix Landerneau 2022
©Chantal Lafon



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