Dans une Ville en guerre, jamais nommée, un Colonel est affecté pour diriger la Section spéciale sous les ordres d'un Général, enfermé dans son bureau et jouant aux échecs; le Colonel a à sa disposition une Ordonnance. le Colonel est un tortionnaire zélé, qui exécute les ordres le jour sans se poser de questions et ne peut plus dormir la nuit, hanté par toutes ses victimes.
Le roman alterne la narration autour de ces trois personnages et les monologues hallucinés sous forme de poésie libre du Colonel dans lesquels il s'adresse à tous ceux qui sont morts sous la torture qu'il leur a infligée.
A aucun moment, n'apparaît le mot "torture" mais sont utilisés des vocables encore plus terriblement évocateurs : "il travaille, coupe, taille, sectionne, tranche, rompt, brise, arrache" qui banalisent l'horreur, en font une activité normale si on oublie que ces verbes concernent le corps d'hommes suppliciés.
Le roman baigne dans une atmosphère grise, humide, poisseuse, poussiéreuse ; la pluie tombe sans interruption conduisant à la déliquescence des êtres et des choses. Paradoxalement, la seule lumière de ce roman provient du halo lumineux sous lequel officie le Colonel et où des êtres humains meurent dans d'atroces souffrances.
L'absence de nom pour la Ville confère un caractère universel au texte, à la guerre et ses horreurs, quel que soit le lieu. Les trois personnages n'ont pas de nom, non plus, comme s'ils étaient déshumanisés. Les victimes sont chosifiées et perdent toute leur humanité en devenant des hommes-poissons ou des hommes-chiens.
Ce roman est un réquisitoire terriblement efficace contre la guerre, contre la torture. On ne peut manquer d'associer le Colonel à
Paul Aussaresses, que Pierre Messmer qualifie en exergue de « spécialiste », qualificatif que l'on retrouve accolé au personnage du Colonel ; comme les militaires du roman, il portait un béret rouge, celui des Parachutistes, auquel il appartenait.
Paul Aussaresses a pratiqué et justifié la torture en Algérie comme moyen de récolter du renseignement afin de faire avorter les opérations ennemies meurtrières.
Ce texte est glaçant, désincarné, déshumanisé, il donne la nausée mais il est d'une force évocatrice incroyable. La langue est magnifique et puissante. Je ressors secouée de ma lecture et admirative du caractère singulier et dramatique de ce court roman.