China Love

Vaste et complexe sujet que celui de l'amour en Chine. Pays à l'histoire et à la culture millénaire, super puissance économique à la croissance frénétique, on entend souvent les mêmes rengaines lorsque l'on évoque l'empire du Milieu. Ici, l'auteur Dorian Malovic, fort de son expérience et de sa connaissance pointue du pays s'attaque aux relations amoureuses entre les Chinois. Et quoi de mieux que les sentiments pour savoir comment fonctionne une société ? Par quelles règles est-elle régie ?

Tout d'abord il faut commencer par un constat simple : il y a aujourd'hui en Chine, 118 garçons pour 100 filles, un des plus forts déséquilibres au monde. Ce chiffre résulte de la politique de l'enfant unique menée par le gouvernement chinois depuis plusieurs décennies. Par exemple, l'amende pour un second enfant, garçon de surcroît, peut monter à plus de 100 000 yuans (13 000 euros).
Ensuite, il faut évoquer le poids du passé, la Chine est un pays très conservateur où le mariage est un des piliers de la société. Pour les jeunes Chinois, la pression sociale et familiale est très forte. Encore plus pour les filles, qui au-delà de 25 ans, si elles ne sont toujours pas mariées sont considérées comme des "restes". Tous les moyens sont bons pour trouver sa future épouse ou son futur mari et ce sont souvent les parents qui décident. le marché des célibataires, ces parcs où les parents se pressent ; les agences matrimoniales, dont le nombre explose ces dernières années ou encore les sites de rencontres comme le célèbre Jiayuan.com ("destin heureux"). Toutes les caractéristiques des candidats au mariage sont passées au crible : taille, poids, niveau d'études (qui ne doit pas être trop élevé pour les filles cela pourrait faire fuir un éventuel mari), origines, salaire, propriétaire de son appartement (condition indispensable pour les hommes). L'auteur s'inscrit même sur un site de rencontres et dans des agences, nous faisant part de ses relations épistolaires afin de cibler quelles sont les attentes des Chinoises. le rêve du prince charmant Occidental, romantique et sensuel aux antipodes des Chinois, en fait partie.
La Chine a longtemps été étouffée dans un carcan politique oppressant , tout le monde a courbé l'échine, serré les dents, réprimé sa pensée et ses désirs. Ce qui explique le comportement des Chinois d'aujourd'hui qui veulent rattraper le temps perdu et ne pas reproduire le schéma de leurs parents ou grands-parents. Certains ont eu la chance de voyager en Occident, par le biais des études, et reviennent avec une vision nouvelle. L'argent, le nouveau dieu a effacé l'idéologie et balayé du même coup tous les interdits sexuels. On y découvre la prostitution, le monde gay dont on ne sait quasiment rien ou encore le statut des ernai (concubines), signe de pouvoir pour les hommes riches.

Passionnant de suivre Dorian Malovic dans ses rencontres où l'on découvre la séduction, les sentiments, mais aussi les compromis et les faux semblants à la chinoise. L'auteur qui parle le chinois et qui côtoie ce pays depuis de nombreuses années, a réalisé un travail de longue haleine (plus de cinq ans) pour en arriver à cet ouvrage exhaustif. Les intervenantes sont variés : qu'elles aient dix-huit ans ou la quarantaine, venant de Shanghai ou de provinces rurales, célibataires ou divorcées, amies de l'auteur ou inconnues. Avec des témoignages émouvants et parfois bouleversants de l'intimité, elles n'hésitent pas à se livrer, à tout dire comme à un psychanalyste qui les comprend. China Love est une vraie mine d'or, pour tous ceux qui souhaitent en savoir plus sur la société chinoise et ses moeurs.

L'amour existe-t-il en Chine ?
Vaste question à laquelle il n'est pas aisé de répondre. Dorian Malovic s'est intéressé au sujet et a essayé d'y apporter une réponse.

Une enquête constituée sur deux axes : un axe chronologique en quatre parties (la recherche de l'amour, le mariage, la vie conjugale et le chaos sentimental post-mariage). Dans les premiers chapitres, l'auteur s'est prêté au jeu de l'amoureux transi dans des relations épistolaires et a accepté de participer à des rencontres organisées par des agences matrimoniales afin de découvrir les attentes des Chinoises et leur vision de l'amour. S'ensuivent un dur retour à la réalité et un désenchantement. A travers son enquête, nous pouvons constater une certaine tendance matérialiste qui se traduit par la recherche d'un mari fortuné, aux dépends du romantisme généralement associé à l'amour et au mariage. L'auteur ne critique pas les faits, il les expose et essaie de comprendre les causes de cette vision pragmatique.

Un autre axe est conçu selon les différentes couches de la société. Sur un ton neutre, l'auteur nous brosse différents portraits, notamment celui de parents qui organisent désespérément des rendez-vous arrangés entre eux pour décider d'une potentielle rencontre entre leurs enfants. Dans chaque récit, nous découvrons les blessures profondes de ceux qui se sont épanchés auprès de Dorian Malovic, ils ont dû s'adapter à la société chinoise actuelle, qui a connu un développement économique très rapide.

Une enquête inédite qui vous fera découvrir les dessous de la séduction à la chinoise, les aléas de la vie conjugale et qui donne également une rare voix aux sujets qui fâchent : l'homosexualité, la prostitution, l'éducation sexuelle et le rapport à l'argent.

Je trouve que cet essai manque d'objectivité. L'auteur lance des affirmations sur la vie des couples en Chine en se basant essentiellement sur les témoignages des femmes, non pas par choix délibéré parce qu'il aurait voulu laisser la parole exclusive aux femmes, mais parce qu'il avoue lui-même n'avoir pas réussi à nouer des liens suffisamment forts avec les hommes pour recueillir leurs versions de la vie en couple ! Ces témoignages ne représentent donc que l'opinion de 50% des sujets de l'étude. Et effectivement, c'est un véritable procès des comportements masculins. Je ne nie pas que la mentalité des hommes chinois puisse avoir des répercussions accablantes sur les droits des femmes, mais les affirmations de ce livre ne sont pas assez nuancées à mon goût, et il aurait justement été intéressant d'avoir des témoignages d'hommes.
Ayant assisté à une conférence donnée par l'auteur, j'ai trouvé ses explications sur ses méthodes de travail plutôt vaseuses : il est resté vague sur la manière dont il a obtenu ses entretiens et sur ses compétences en mandarin. Même si son but est de conserver l'anonymat des interrogées qui, selon ses dires, ont pris des risques en se confiant, je trouve que l'on manque d'informations sur leurs origines. Ces femmes sont-elles vraiment représentatives de la Chine ou sont-elles des témoins isolées ? Cette enquête publie des affirmations fortes sans s'appuyer sur des statistiques sérieuses. Je pense que ce type de livres, loin d'améliorer la situation des femmes en Chine, ne pourra que remplir la tête des Européens de préjugés négatifs.