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EAN : 9782226141859
304 pages
Albin Michel (03/09/2003)
4.22/5   496 notes
Résumé :

Tout quitter du jour au lendemain pour aller chercher, seule, au fin fond de la Chine communiste, les secrets oubliés de l'art antique chinois, était-ce bien raisonnable ?

Fabienne Verdier ne s'est pas posé la question : en ce début des années 80, la jeune et brillante étudiante des Beaux-Arts est comme aimantée par le désir d'apprendre cet art pictural et calligraphique dévasté par la Révolution culturelle.

Et lorsque, étrangè... >Voir plus
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Je viens de finir ce livre, qui m'a sidérée. Que faisiez-vous, de 1980 à 1990? Pour ma part, je n'ai cessé de m'adresser cette question, en même temps que je suivais Fabienne Verdier dans sa quête initiatique personnelle, dans sa réponse à un appel, dont elle dit n'avoir jamais connu l'origine, mais seulement la force irrésistible.Pourquoi partir, et surtout pourquoi rester dans un pays évoquant la Colonie pénitentiaire de Kafka, à l'échelle d'un continent? Pourquoi risquer de perdre sa jeunesse, sa santé, sa liberté, sa vie, à la recherche de Maîtres d'un art dont les communistes chinois ont voulu la disparition? Pourquoi se confronter aux horreurs subies au passé et au présent par un peuple martyr, mais qui continue à cautionner une justice et des exécutions d'un autre âge?Pourquoi quand on recherche la beauté et la perfection, accepter de passer dix ans au milieu des uniformes, de la pollution, en butte à une bureaucratie sauvage et impitoyable, isolée, c'est le pire, au milieu de la surpopulation chinoise, durant des mois sans amis, durant des années sans amour; en butte à la méfiance de ceux qu'elle admire, et à la concupiscence de ceux qu'elle abhorre? Il y a de la bergère de Domrémy, une pureté et une droiture extrème au milieu d'une société avilie et réduite à l'esclavage de la pensée, chez cette française ascétique, aux traits émaciés, et qui aime la culture chinoise bien plus que les chinois eux-mêmes, a-culturés, abâtardis, génocidés, abrutis, sans parler de ceux qui furent mutilés, affamés, torturés, poussés au suicide au nom de la révolution culturelle.Jamais cependant Fabienne Verdier ne s'autorise à moraliser, ou à mépriser ces hommes réduits à renier ce qui les reliait à leurs racines. Et elle s'en veut durablement d'avoir, pour cuisiner elle-même des plats qu'elle pourrait absorber, après une hépatite gravissime, d'avoir donc accepté de consommer à elle seule l'électricité de cent condisciples étudiants avec son réchaud électrique personnel.Etudiante, disciple, puis attachée culturelle, Fabienne Verdier voit peu à peu disparaître tous ses liens antérieurs avec ses racines françaises. Passagère d'une initiation dont elle ne peut plus s'affranchir, elle est guidée par des passeurs qui sont eux-mêmes des survivants, et qui finalement lui reconnaissent un talent propre, en plus de son apprentissage si dur et si long de l'art ancien de la calligraphie. Thèse: la quête d'un ailleurs, le départ de France et le renoncement aux Beaux Arts occidentaux. Antithèse: le voyage dans les ténèbres de son ignorance. Synthèse: une artiste singulière, pareille à nulle autre, et qui est une survivante. Survivante de l'orgueil occidental, et survivante de l'horreur uniformisatrice déshumanisante et génocidaire de la Chine rouge. Je pose ce livre, et je me demande ce que j'ai fait, de 1980 à 1990, sans savoir ce que cette femme hors du commun poursuivait, et dans quelles conditions. J'ai vécu, voilà tout, et maintenant grâce à ce livre je sais un peu mieux ce qu'un désir irrésistible peut faire accomplir à un être humain, dans le sens de la vie, mais au risque de sa propre mort.
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Il y a dans ce livre, non pas une lecture, mais plusieurs.

Il y a l'histoire d'une démarche personnelle artistique passionnante d'une jeune fille suffisamment audacieuse pour affronter seule une Chine des années 1983 à 1989. Une fille de 20 ans poursuit son rêve intense de l'approche picturale authentique loin de l'académisme et du « je m'en foutisme » qu'elle croise dans une école d'art française dont on se demande ce qu'y font ces « appelés » de l'art...

Il y a, décrit, tout l'accomplissement de cette approche en surmontant les conditions de vie pauvres et dures, le malaise général, la volonté de trouver ce qui convient exactement à sa recherche.
Il y a cet extraordinaire « Maître » en la personne de Huang, qui ouvre l'auteur non seulement à l'essence créatrice mais également à elle-même, condition indispensable pour entrer en peinture comme on entre en religion.
Des citations de paroles de ce maître sont époustouflantes de révélations, elles sont à lire, relire et à méditer.
L'homme y devient Homme dans le sens le plus noble du terme.

Il y a la description de ce « vide » nécessaire à la création, cette « réceptivité » de l'instant présent, cet abandon au laisser-aller, source d'ouvertures. Des mois de travail répétitif, rigoureux avant d'arriver à l'expression personnelle ont été nécessaires pour acquérir cette vérité, cette authenticité.

Il y a le portrait de la Chine de l'époque, des humiliations, des être anéantis, des artistes bafoués, de la misère, de la vie qui ne compte pas.
Il y a toute cette culture perdue et ces mots profondément révélateurs du « Maître » en ce qui concerne l'utilité de l'homme politique par rapport à l'artiste.
Il y a les voyages au Tibet, les rencontres d'ethnies, des expériences que Fabienne Verdier nous fait partager dans un style sobre, simple qui parle directement à notre coeur.
Il y a le retour à l'étroitesse européenne dont il faudra que l'auteur s'éloigne pour que puisse s'exprimer tout son art.

Il y a un livre que l'on repose en sachant qu'il a mis une pierre à l'édifice de notre propre vie.
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Voyager et vivre à l'étranger dans les années 90, tenter « l'inculturation », apprendre une nouvelle langue, rencontrer des êtres uniques et passionnants… Ça, j'ai eu la chance de pouvoir l'expérimenter dans ma vingtaine.
Étudier la calligraphie en Chine, appréhender le désastre de la révolution culturelle, subir la surveillance du parti, manquer de liberté, enchaîner les exercices artistiques monotones, perdre sa santé, vivre un amour impossible, goûter à la protection d'un maître, oser le dénuement et la solitude totale… Ça, je l'ai découvert en lisant ce magnifique témoignage de Fabienne Verdier, Passagère du silence.

Ce récit se lit comme un roman. On s'attache aux personnages; on a peur pour eux; on s'impatiente à leurs côtés; on rêve de félicitations et de reconnaissance; on admire la persévérance; on rit; on pleure; on vénère; on se tait.

Je reviens de ce voyage initiatique comblée de dépaysement, de rigueur au travail, d'art ancestral, de sagesse, d'humilité, de quête, d'intime… Mais il me reste tant à apprendre encore.

Je vais de ce pas me plonger dans les méandres d'internet pour lire la biographie de Fabienne Verdier suite à sa découverte sino-perso-artistico-humaine et de ses oeuvres qui vont - je n'en doute pas - me bouleverser.
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Avoir 20 ans. Des rêves plein la tête. Une passion déjà bien installée. Se lancer dans le vaste monde à la recherche de ce pourquoi on veut vivre. C'est ce qu'a entrepris Fabienne Verdier, brillante étudiante aux Beaux Arts de Toulouse, pour s'initier à l'art de la calligraphie : destination Chine.

1983. Première étudiante étrangère, elle débarque dans la province reculée du Sichuan pour étudier la calligraphie chinoise. Tout ici est nouveau pour elle et loin des clichés véhiculés à l'époque. Où est le raffinement de la culture et de la cuisine chinoises ? Tout autour d'elle dénonce la misère, le manque.
Elle s'aperçoit peu à peu qu'elle est en fait prisonnière du système chinois. La peinture, comme tous les autres arts, doit être conforme à l'idéologie du parti. La vie sur le campus est codifiée, les étudiants sont mal logés, mal nourris. Elle, fait figure de privilégiée. La barrière de la langue est pendant quelque temps un problème, on lui refuse cet enseignement. Elle est venue ici pour le dessin, pas pour devenir sinologue. Au bout de six mois, n'en pouvant plus de vivre à l'écart des autres, elle se rebelle et demande à être considérée comme tous les autres étudiants, à rencontrer les anciens maîtres du dessin, à apprendre la langue.

Ses voeux sont exaucés et à partir de ce moment, elle va vraiment découvrir la Chine et rencontrer les grands maîtres de l'art, mis à l'écart pendant la révolution culturelle, et oubliés par les jeunes étudiants.
Son parcours est difficile. Mais l'épanouissement est total. Elle est tenace, patiente, humble devant l'effort. Elle apprend la calligraphie, le lavis, la sculpture des sceaux. Toutes les rencontres avec les anciens maîtres et lettrés sont sources de découverte, d'approche de la philosophie chinoise, d'émerveillement, de recherche et d'accomplissement. Et quel bel hommage rendu à ces grands maîtres, détruits par la révolution culturelle !

J'ai dévoré ce témoignage, véritable page d'histoire de la Chine. J'ai été émerveillée par l'artiste qui s'est révélée, par ces qualités humaines et relationnelles, par son tempérament opiniâtre. Une très belle leçon de vie...
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Fabienne Verdier, « pinceau pensant », est une artiste peintre française née en 1962, créatrice d'oeuvres d'art contemporain.
Elle excelle notamment dans des grandes fresques colorées emplies de traits et formes dépouillés. Elle réalise ses oeuvres avec des pinceaux géants qui doivent être actionnés, debout ; une énergie et surtout une dextérité incroyable pour maîtriser un pinceau et une quantité d'eau en réserve de soixante litres voire davantage.

Pour une contemplation de créations plus « classiques », on peut (re)découvrir le magnifique « petit » livre de François Cheng « Poésie chinoise », un trésor d'extraits de poésies Tang sélectionnées et ornementées de calligraphies de FV. Impossible de ne pas être sidéré par les traits qui allient l'élan et la souplesse du bambou, la floraison du lotus, le tout avec un sens époustouflant de l'équilibre, de la symétrie. La représentation de « la montagne » retracée, si on se réfère à la forme « standard » en trident, prend ainsi une autre dimension, plus de hauteur si j'ose dire, soulevée par la grâce. Après avoir contemplé a minima ces calligraphies, elles ne vous lâchent plus ; en particulier je me sens particulièrement en correspondance avec la représentation de « montagne vide ».

FV se désigne comme une « passagère du silence », cultivant la calligraphie, son art de vivre, adossé à une maîtrise technique mais d'abord et surtout irrigué par un état d'esprit.

Ce livre « Passagère du silence » est une autobiographie qui relate la construction de l'univers artistique et humain de l'auteure ; il offre une densité incroyable. Chaque page sollicite le lecteur en profondeur ; il s'agit en fait d'un trois en un. Dans ce livre, outre le propos directement lié à l'univers le plus intime de l'auteure, la sensation de lire, par séquences intercalées, une oeuvre de François Cheng et d'Alexandra David Neel.
L'auteure a eu très précocement le projet de devenir peintre et de vivre de son art. Elle commence des études de « Beaux Arts » à Toulouse, où rapidement elle se rebelle en réaction au contenu et à l'esprit de l'enseignement. Parallèlement, elle découvre la calligraphie occidentale et une sorte de flagrance la gagne.
Elle obtient une bourse qui lui permet d'entreprendre des études d'apprentissage de la peinture en Chine à Chongqing dans un établissement d'études supérieures dans le Sichuan, dans la partie occidentale au nord du Yunnan, beaucoup plus proche du Tibet que des zones plus « ouvertes » de Pékin ou de la côte Pacifique.

Sa quête commence par une série de catastrophes. D'abord, en transit au Pakistan, la jeune femme est victime d'une agression sexuelle dans des conditions sordides. Ensuite à Chongqing, seule occidentale étudiante, elle est sous haute surveillance mise sous un régime quasi carcéral dans des conditions matérielles indigentes. Dans son austère pièce attribuée, elle réalise pourtant qu'elle bénéficie sur ce point d'un privilège par rapport aux étudiants chinois affectés dans des dortoirs collectifs spartiates. Et, la cerise sur le gâteau, c'est le fait de se retrouver en cours, face à face avec le buste en plâtre de Beethoven à dessiner ! Un exil à des milliers de kms pour retrouver tout ce que, d'un point de vue artistique elle fuit ! Où sont les poètes peintres dépositaires de l'art millénaire chinois, comme celui épanoui dans son livre de Shi Tao, qui sera son guide de survie pendant ces années de pauvreté et de grande solitude ?
Mais nous sommes en 1983. Si Mao est mort en 1976, on sait que la révolution culturelle a fait rage auparavant et que toute la culture millénaire a été considérée comme contre révolutionnaire. Des persécutions, des massacres ont été commis à l'encontre de tous ceux qui étaient liés à la culture traditionnelle. En réalité, tout le monde dénonçait tout le monde dans une hystérie et un fanatisme atroces, y compris au sein des familles.
Par un affreux parallélisme, il y avait eu un précédent à l'identique avec le premier empereur de l'histoire chinoise de l'éphémère dynastie Qin érigée en vainqueur des royaumes combattants. Mao fut la réincarnation de ce despote Shihuangdi qui voulut lui aussi dèjà faire table rase du passé. En -213 furent ordonnées la destruction des livres et la persécution et le massacre des léttrés. Seuls les ouvrages utilitaires et du taoïsme, dont le classique Tao Te King furent épargnés. Heureusement, des exemplaires des ouvrages condamnés furent dissimulés et échappèrent à l'autodafé.

De même, en 1983 des rescapés de la folie humaine, traumatisés, survivants dans l'ombre, des calligraphes, des peintres essayaient de reprendre leur souffle.

C'est ainsi que FV réussit à entrer en contact avec celui qui allait devenir son maître, Huang Yuan. Mais la partie est loin d'être gagnée. Plusieurs mois d'abnégation, d'exercices remis au quotidien sont nécessaires ; le maître finit par accepter d'enseigner, convaincu de l'authenticité de la requête singulière de la jeune française, dans le contexte de l'époque.
Et le plus dur commence ; tracer encore et encore des « bâtons », pour une maîtrise technique mais surtout pour donner une âme aux traits. A cet effet, il est aussi indispensable de s'initier aux oeuvres de sagesse chinoise. La peinture n'est pas la « recherche du beau » mais un souffle doit l'animer. On ne recherche pas la dextérité en soi comme en Occident, la maladresse, le raté ont bien plus d'importance que les effets clinquants. C'est ainsi que certains traits des calligraphies dont je parlais en ouverture, peuvent paraître incomplets, mal segmentés telles des herbes folles, pourtant ces « imperfections » forment un tout magnifique, presque comme si la moindre irrégularité faisait partie d'une esquisse préétablie.

FV travaille très dur, dans la pauvreté mais avec feu et son nom prend corps et âme ; en chinois :

-fa, la régle naissante dans la recherche de la voie,
-bi, l'étude comparative,
-enne, la bonté la générosité.

Au cours de ces dix années en Chine, mille péripéties ont accompagné FV, dont chacune ou presque aurait pu être fatale. L'auteure est une vraie survivante.

En définitive, après « avoir fait ses gammes » l'essence-ciel lui est révélée au fil de ses marches en très haute altitude, au Tibet, lors de périple organisé par son établissement d'enseignement avec d'autres étudiants. Cette véritable illumination est aussi suscitée par son maitre qui initie une quête sur le Mont Emei, montagne sacrée bouddhiste dans la Sichuan, qui fut aussi un haut lieu taoïste. Là, dans l'alternance du silence de la marche et du dialogue avec le maître, dans l'atmosphère des rencontres dans les monastères perchés, tout son être s'éveille. Dans cet univers, en dépit de la dureté des conditions de vie, le risque est grand de ne plus « redescendre », mais ce n'est pas la destinée de FV.

Elle achève son cursus, dans les convulsions des évènements de 1989, métamorphosée intérieurement et mure pour faire épanouir sa sensibilité et son talent. Mais cette richesse se conjugue avec une extrême pauvreté matérielle, elle se qualifie de « clocharde céleste ». Elle doit composer en offrant ses services à l'ambassade de France à Pékin. Elle y sera pendant trois années attachée culturelle. Cette fonction lui permet de compléter son apprentissage en rencontrant des maîtres ; elle s'efforce aussi avec les maigres moyens mis à sa disposition d'aider les peintres chinois en difficulté.
Elle se doit de reprendre ses pinceaux comme son maître lui en fait injonction ; un énième souci de santé précipite sa réorientation, loin de l‘Orient, en lui imposant pour sa survie de rentrer en Occident.

Évidemment, lorsque l'on découvre les oeuvres exposées les plus récentes, difficile de ne pas se dire que le souffle du Mont Emei est resté sur le seuil de la galerie, que nous sommes plus proches de Miro que de Shi Tao ..J'ai ma petite idée, mais les clés sont sans doute dans les autres livres que je n'ai pas lus.

Quoiqu'il en soit, « Passagère du silence » est un livre exceptionnel d'une femme exceptionnelle.

Pour avoir le plaisir d'entendre la belle voix (et la voie) de FV, on peut se référer à une interview avec de superbes photos dans la regrettée revue Ultraïa (n°15 avril-juin 2018) et une série d'émissions radio également avec la participation de FV https://www.franceculture.fr/emissions/series/fabienne-verdier-lenergie-en-peinture
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Citations et extraits (117) Voir plus Ajouter une citation
Ton trait n’est pas vivant. Connais-tu le principe de vie du mystère végétale ? » Il allait dans le jardin, cueillir une branche : « regarde : il y a une ossature externe, et de la sève à l’intérieur ; c’est un fluide qui nourrit la tige. Il y a un mouvement interne et une enveloppe externe stable. J’aimerais que tu reproduise ça avec ton cœur. » page 109
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Je parlais assez bien le dialecte local pour baragouiner avec eux, mais ce qu’aucune parole ne serait parvenue à obtenir, quelques traits de crayon y réussirent. Pour comprendre comment quelques croquis suffirent à ce qu’ils m’accordent leur confiance, il faut se rappeler l’importance du trait en Chine. […] les Chinois savent que le discours peut être hypocrite; ils l’ont appris à leurs dépens. Une peinture, par contre, un dessin ou une calligraphie, tout ce qui relève du trait ne peut tromper; la vertu morale de celui qui le trace s’y révèle, elle y est mise à nu sans qu’il soit possible de feindre. C’est la personnalité de l’artiste, autant que son œuvre, qu’on juge sur une peinture ou une calligraphie. Celui qui maîtrise le "hua" est le possesseur de ce langage particulier qui ne peut être que vrai. C’est une des singularités de la pensée chinoise. […] L’artiste, en Chine, possède un statut unique car l’art est supposé traduire la vérité d’un esprit, sans faux-semblant. Les clients de la maison de thé, j’aurais pu essayer de les séduire avec de belles paroles. Mes croquis leur avaient révélé le fond de mes intentions.

(IV- Maison de thé de Jiu Long Po, p.67 à 69)
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Il était extraordinaire de voir ces jeunes s'inspirer entièrement d'une culture étrangère. Mais qu'avaient-ils eu le droit de conserver de la leur ? On leur avait refuser cet héritage sous prétexte qu'il n'était qu'un ramassis de vieilleries. Reprendre ainsi à leur compte une culture qu'ils ne connaissaient que par des reproductions restait un procédé totalement artificiel chez certains mais, chez d'autres, s'était intériorisé de façon surprenante. Je me suis interrogée sur leur démarche puisqu'elle me concernait directement : au fond, je voulais parcourir le chemin exactement inverse du leur. [...] Si une étrangère était capable de pratiquer l'art du pinceau traditionnel chinois comme eux maîtrisaient la peinture à l(huile, elle devait parvenir à créer une peinture nouvelle. J'ai vite compris que l'entreprise exigeait deux conditions indispensables. La première était de maîtriser la technique chinoise, et d'abord la calligraphie, car celle-ci contient tous les traits utilisés par la suite dans le paysage et autres sujets. Cela demandait un travail énorme et beaucoup de patience ; il fallait cet acharnement et ce sérieux dont les étudiants chinois donnaient l'exemple quand ils étudiaient notre peinture à l'huile. [...] La seconde condition était de ne pas se limiter à la technique. Il fallait acquérir la culture intérieure qui l'accompagne, pas seulement des connaissances livresques, même si elles sont nécessaires. Je devais aussi m'imprégner de la pensée chinoise, devenir un peu chinoise par l'esprit, par toute ma façon d'être et même de vivre.

(V- Quelques avatars de Courbet à Millet, p.86 sq)
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[…] je me souviens de cette pensée de Kandinsky qui, à elle seule, suffit à m’encourager: «L’artiste doit être aveugle vis-à-vis de la forme "reconnue " ou "non reconnue", sourd aux enseignements et aux désirs de son temps. Son œil doit être dirigé vers sa vie intérieure et son oreille tendue vers la voix de la nécessité intérieure.»
J’ai donc présenté des travaux hors norme, hors sujet, hardiesse que personne, curieusement, n’avait eu l’idée de tenter pour ce diplôme, et j’ai réussi brillamment. On m’a offert une bourse pour poursuivre mes études à Paris, que j’ai refusée: c’était en Chine que je désirais aller.

(I- Socquettes blanches et jupe bleue, p.23)
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Il* trébuchait dans ses papiers, ses cartons de documents poussiéreux ; il était à quatre pattes devant ses placards quand, soudain, il poussa un gémissement de bonheur : il avait trouvé son trésor emballé, à la manière chinoise, dans du papier journal. Il me l’offrit avant mon départ. Je l’ouvris avec impatience : c’était une pierre de rêve. « Si tu veux, me dit-il, peindre un jour des paysages, crois-moi, étudie de près la profonde fraternité de destin entre l’oeuvre de la nature et celle de l’homme. Médite sur cette pierre, j’en serai fier. Elle t’ouvrira les portes du paysage intérieur. » C’était ma première pierre de rêve ; j’étais à la fois comblée et bouleversée.
     
Ce présent provoqua en effet un éveil violent à mes recherches futures. Sur le moment, j’eus du mal à croire à la beauté naturelle de la pierre : ses veines suggéraient un paysage sublime dans une composition simple et harmonieuse. Je la frottais, la polissais nerveusement, incapable de me convaincre qu’elle n’était pas peinte. Depuis ce jour, je fais collection de pierres de rêve : elles ne cessent de m’apprendre le mystère du vivant.
     
*Lu Yanshao
     
(pp. 248-249)
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Vidéo de Fabienne Verdier
Méditation audio guidée à partir d'une oeuvre de Fabienne Verdier tirée du beau livre "Méditer à travers l'art, 100 oeuvres pour faire l'expérience de la pleine conscience" de Soizic Michelot.
Pour en savoir plus : https://www.albin-michel.fr/mediter-a-travers-lart-9782226464712
>Histoire, géographie, sciences auxiliaires de l'histoire>Biographie générale et généalogie>Biographie: artistes et sportifs (789)
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