AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782815911931
128 pages
L'Aube (02/04/2015)
0.5/5   1 notes
Résumé :
Quel est ce monde dans lequel nous vivons?? Les extrémismes se donnent à voir, et les nationalismes avec eux. Car le monde qui vient semble faire peur comme s'il allait échapper aux États, aux nations, aux hommes et aux femmes. Pour beaucoup, un retour à une stabilité imaginée, un repli, l'espoir d'un temps figé, sont autant de réponses à des environ­nements devenus instables. Pour sa part, si elle partage le constat d'un monde complexe et mouvant, Virginie Martin r... >Voir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après Ce monde qui nous échappe: Pour un universalisme des différencesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
L'auteur fait le constat de l'émergence médiatique des marges depuis l'avènement d'Internet (1996) et des réseaux sociaux (YouTube et Dailymotion sortent en 2005, Facebook et Twitter en 2006) et de l'émancipation, des hybridations d'identité et métissages culturels qui en résultent. Les prescriptions ne viennent plus d'en haut mais de partout tout en s'influençant entre elles, faisant entendre une infinité de nuances de voix dans une « horizontalité des pouvoirs ».

La thèse défendue est que ce cosmopolitisme virtuel doit s'accompagner en France de l'acceptation d'un cosmopolitisme réel et du renoncement au modèle républicain universaliste, pour « refonder l'universel afin qu'il intègre les conséquences de la mondialisation et des diverses diversités. »

Il y a pourtant une différence de fond entre les deux évolutions, et un autre ordre de grandeur. Les interactions virtuelles sont désirées, d'autant plus qu'elles sont ponctuelles, et donc émancipatrices ; les cohabitations réelles sont contraintes, d'autant plus qu'elles sont permanentes, et donc aliénantes.
Passer une semaine au Maroc n'a rien à voir avec vivre dans un quartier français devenu musulman ; le kebab consommé lors d'un séjour à Istanbul est mieux apprécié que celui de Château-d'Eau où il devient difficile de trouver autre chose. Ces réalités, et le volume des masses en jeu, sont superbement ignorés par Virginie Martin.

Dans son développement, elle commet plusieurs erreurs :
- s'inventer un adversaire imaginaire, une extrême droite avide de pureté qui ne veut voir que des « clones » dans une France « monochrome ».
- n'intégrer dans son analyse que la nature des processus et jamais leur volume. La notion de nombre est absente de l'ouvrage ;
- ne rien dire de l'étendue, des conséquences et de la faisabilité de l'ouverture puisque jugée inévitable.

Ainsi, elle oppose les hybridations d'identités à ceux qui « veulent nous montrer un passé constant, presque monolithique » (p.36), qui fantasment « une identité qui aurait été un jour homogène, finie, absolue et sans heurt » (p.53), « une France a un seul visage, homogène, composée d'individus identiques. » « La pureté culturelle, identitaire, linguistique n'a pas de sens », « les mouvances extrémistes jouent sur cette pureté au nom d'une consolidation identitaire » (p.42)
1/4 des électeurs ont voté FN aux européennes de 2014, est-il sérieux de les assimiler à des skinheads ?
Elle semble ignorer que les Noirs ne sont autorisés à s'installer en métropole que depuis 1848 et que leur nombre n'est devenu sensible qu'à l'issue de la Première Guerre mondiale comme le montre le recensement de 1921. Quant aux musulmans ils étaient 500 au vu de celui de 1861. Donc oui, même si des étrangers ont toujours été présents en France elle a effectivement été très homogène. Ce n'est pas un fantasme d'extrême droite mais une réalité séculaire.
Quelques % d'apports ethnoculturels, – ce que Fernand Braudel appelait en 1986 « une nuance » –, n'est pas comparable à une masse diversitaire de 30%. C'est changer d'ordre de grandeur, et même changer de pays ; c'est passer de la pincée de sel qui donne du goût à tout le contenu de la salière.
D'autre part, les électeurs du FN – puisque c'est eux qui sont visés – peuvent très bien dénoncer une overdose sans pour autant croire à un arrêt de l'immigration. On ne peut pas les accuser de vouloir une suppression s'ils demandent une réduction, ce serait confondre homogénéité et moindre hétérogénéité.
Et cela n'a rien à voir avec la nature des « hybridations », cela a juste à voir avec le nombre.

Elle porte une lourde charge contre l'universalisme français qui « invisibilise, c'est sa volonté première ». « Il faut que cette République arrête de nous raconter qu'elle est parfaitement universelle », ce qui la conduit à souhaiter la légalisation des statistiques ethniques.
Ce faisant, et pour des raisons différentes, elle s'attaque au même concept que ses adversaires, avec le même moyen et dans le même but d'un vivre-ensemble harmonieux:
- elle souhaite des statistiques pour dénoncer les discriminations invisibilisées par l'universalisme républicain ;
- les défenseurs du peuple historique souhaitent les mêmes statistiques pour mettre en lumière les bouleversements ethnoculturels niés par ce même universalisme aveugle.
In fine, leur seule différence est le niveau de tolérance au volume de la diversité.
La lutte intersectionnelle réclame donc une nouvelle arme qui sera aussi celle de ses adversaires, ce qui créa les conditions d'une violence accrue dans les futurs débats.

En proposant un Etat neutre qui ne s'occuperait que du « nécessaire » (p.82), elle acte en creux l'émiettement de la société (décrit par Fourquet en 2019) et esquisse surtout le profil d'un Etat faible laissant libre cours aux communautés, une « démocratie numérique » qui permette « aux besoins de s'exprimer et de se réaliser ».
Ainsi, elle propose un « remplacement du Sénat par une chambre tirée au sort ». On imagine la qualité des rapports et commissions d'enquête d'une telle assemblée d'amateurs qui n'ont rien demandé ;
de « faire participer à la décision politique d'autres individus, non professionnalisés » pour éviter « l'entre-soi ». C'est ce que fera Macron que l'auteur ne cessera de critiquer ensuite… et qui peut dire que LREM n'est pas un entre-soi ?

Certaines pratiques depuis la sortie de l'ouvrage ont pu satisfaire l'auteur, mais elles lui donnent plutôt tort. Un questionnaire a été mis en ligne lors du Grand débat national de 2019, et il y a eu un tirage au sort pour la Convention citoyenne pour le climat, avec les résultats qu'on connaît.

Son appel à Etat participatif qui permette « aux besoins de s'exprimer » la conduit à déplorer la loi de 2004 sur le voile car c'est ignorer « ce qui dans la culture de l'autre pourrait constituer quelque chose d'une vérité qui pourrait intéresser notre ‘civilisation' ». (p.103)
Il faudrait expliquer en quoi la multiplication des voiles apporte quelque chose de positif à la civilisation française. Et cela revient à dire que satisfaire ces besoins d'expression prime sur le danger des radicalités qui pourront mieux s'exprimer elles aussi.

Elle déplore donc le recul de la confiance entre les politiques et les masses, « la confiance devrait être un objectif en soi » (p.80), mais n'aborde pas le recul de confiance inévitable entre individus communautarisés.
L'évitement et la défiance caractérisent les sociétés communautaristes, premiers pas vers les tensions et l'affrontement. Si elle n'est pas naïve, elle envisage donc que le gain de confiance envers un Etat neutre à « l'éthique minimale de non-nuisance à autrui » renonçant à sa prétention universaliste soit réduit par une moindre confiance des citoyens entre eux.

A la lecture de ce livre, on prend conscience que les appels à l'émancipation portés par les libertaires, cosmopolites et sans-frontiéristes ont aussi pour résultat d'émanciper les forces centrifuges qui morcellent la société davantage qu'elles ne l'enrichissent.
C'est aussi s'illusionner sur la volonté de tous de participer aux « hybridations ». Les différentes communautés ethnoculturelles envisagent-elles favorablement ces métissages ?
Les événements de mai 2023 pendant le championnat de France de football où sept joueurs musulmans ont refusé de porter le maillot arc-en-ciel, ou à Genk en Belgique quand des collégiens ont copieusement injurié aux cris d'Allah Akbar les militants LGBT venus les sensibiliser à leur cause, indiquent que l'application des propositions de l'auteur feraient surtout augmenter le niveau de violence.
Mais il n'envisage rien de cela, prônant « une émancipation visant à la reconnaissance de chacun en vue de moins de violences dans les inégalités. » (p.118)

V. Martin souhaite « accompagner les mouvements du mieux possible » et modifier la vision « que nous avons de différentes cultures que l'on tendrait à opposer plutôt que d'essayer de les hybrider afin de les faire vivre ensemble. » (p.40)
A qui va-t-on faire croire que des hybridations fécondes vont se réaliser avec des personnes dont – pour reprendre la formule de Sabrina Medjebeur – « la matrice anthropologique s'articule autour de l'antisémitisme, la misogynie et la haine de notre civilisation » ?
« Proposer cette voie n'est pas faire preuve d'angélisme » se défend l'auteur. Vraiment ?
« Notre temps est liquide » dit-elle, mais au lieu d'accompagner le flot en le laissant se répandre, on pourrait tout aussi bien le canaliser et s'efforcer de le réduire.

Certains passages ressemblent à ceux d'idéologues de 1789 – tel Sieyès – qui croient pouvoir refaire le monde avec un manque de réalisme inquiétant : « le principe de non-nuisance (…) permet de faire naître de nouvelles pensées, de nouvelles conception du monde, de nouveaux systèmes de valeurs (…) et ouvre la possibilité de construire un vivre-ensemble qui serait à priori et pour toujours partagé par tous les humains. » (p.117)
« Il n'est plus question d'imposer un modèle mais de construire avec l'Autre une conception de l'universel que lui aussi puisse partager. le temps est certainement approprié à ce basculement. » (p.115), ce qui revient pour le vieux peuple attaché à son mode de vie et à sa culture à baisser la garde, et aux peuples de branches à en faire autant sans esprit de revanche. Or tout montre que ni les uns ni les autres ne sont disposés à le faire.

Compte tenu des évolutions démographiques, avec la disparition des boomers – génération la plus nombreuse de toute l'histoire de France –, et l'émergence d'une génération d'origine largement extra-européenne, la « diversité » sera majoritaire en France en 2060 et nul doute qu'elle imposera ses vues. Toute trace de Colbert et Napoléon devra disparaître, sans doute aussi celles de Louis XIV pour sa participation active à l'esclavage. Jean-Michel Apathie propose de raser le château de Versailles, les prochaines générations de « Français » l'aideront à y parvenir.

« Il est temps d'accepter universellement les différences, et que cette reconnaissance soit réciproque. C'est l'unique message de cet ouvrage » (p.118)
Bon courage pour faire reconnaître la théorie du genre aux chariatistes.

L'auteur pêche aussi par idéologie et défaut de réalisme quand, soucieuse d'accompagner cette ouverture, elle stigmatise ceux qui « prônent le made in France dans un pays qui pourrait encore se replier sur lui-même » (p.54) sans penser que 10% d'industrie est déjà très faible et que l'augmenter réduit la dépendance de l'étranger, surtout en cas de pandémie, et sans imaginer que les pénuries de ressources et la crise écologique rendront de toute façon ce made in France inévitable.
Elle affirme « le temps est fini où telle puissance européenne pouvait s'autoriser un retrait de l'Europe ». Quid du Brexit voté un an plus tard ?
Virginie Martin c'est la mondialisation heureuse, mais on est parfaitement fondé à penser que c'est se montrer irénique, irréaliste et irresponsable.

Au final, ses propositions ressemblent à des aspirations fragiles, hautement improbables et déjà largement démenties par les faits. Elle y met certes un bémol en ouvrant son livre sur les attentats de janvier 2015, mais elle ignore encore ceux novembre qui feront 14 fois plus de victimes…
Dans 20 ans, devant le développement du communautarisme et des violences qui l'accompagnent, dans un pays divisé, déclassé, en pénurie de ressources, endetté comme jamais et incapable de maintenir l'ordre, elle dira face au chaos « je me suis trompée, j'ai manqué de réalisme, je n'ai pas voulu voir. »

Une recherche avec les mots "nous n'avons pas voulu voir", donnera une idée de ce que nous ne voulons toujours pas voir et qui pourtant nous attend.

Un livre qui a vieilli très vite et qui aurait pu s'appeler La bienveillance dangereuse.
Commenter  J’apprécie          00

Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Il est difficile, en ces temps troublés, de penser la reconnaissance mutuelle bien sûr. C'est pourtant un défi impératif à relever. Il me semble que c'est peut être le seul qui fera qu'un pays comme le nôtre celui qui permet de penser sans s'affoler et de continuer à envisager le "commun". La France doit impérativement continuer à être une "substance pensante".
Commenter  J’apprécie          31

Lire un extrait
autres livres classés : politiqueVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (6) Voir plus




{* *}