Le vase où meurt cette verveine, – D'un coup d'éventail fut fêlé. – le coup dut l'effleurer à peine: – Aucun bruit ne l'a révélé. – … – Personne ne s'en doute; – N'y touchez pas, il est brisé.
Ces quelques vers de
Sully Prudhomme sont une belle métaphore pour ce livre.
Il a suffi de la fissure que représente la maladie de Zica et son besoin d'un spécialiste pour que le couple soit séparé pour un temps beaucoup trop long pour eux. L'échange épistolaire entre les deux parents-amants montre la force de leur amour, un amour sans partage, charnel, fusionnel qui perdure.
Seulement, il a créé une paroi de verre où les doigts de leur fille Isabelle n'ont pu s'accrocher, elle n'a jamais trouvé sa place pour se blottir bien au chaud. Bien sûr, ils l'ont aimée, choyée, élevée…. Mais Isabelle n'a jamais trouvé la faille pour s'y accrocher.
Dans leurs correspondances il n'y a de la place que pour leur amour, leurs enfants deviennent des gêneurs. L'amour, la haine vont finir par cohabiter dans le coeur de Zica « L'humiliation, tant qu'on ne l'a pas connue, on ne sait pas de quoi il retourne. Mais quand on l'a prise de face, mon ami, on ne peut l'oublier. Pendant un instant, tout s'est arrêté et j'ai su que je haïssais quelqu'un pour la première fois. Cette femme devant moi, n'était plus ma fille. Il y a eu la gifle et il y a eu la déflagration qu'elle a causée en moi. Oui, ça dévaste tout, l'humiliation, ça brûle, ça corrompt, c'est de l'acide pur. » Isabelle, pleine de rancoeur, ne réussira jamais à garder sa Mère pour elle. Pourtant, c'était un bon plan de les séparer et de profiter de Sa présence, de lui prouver son amour.
Joseph, lui, peut retrouver des forces en se tournant vers ses petits-enfants qui l'adorent sans lui poser de questions. Les grands-parents sont souvent le réceptacle des petits secrets de leurs petits-enfants et sont un lien solide et sûr où ils peuvent s'ancrer de temps à autre.
Frédérique Martin, à travers ces lettres échangées nous parle également de la grande épreuve, pour les parents, de se retrouver à charge et pour les enfants, de devenir les parents de leurs parents. « Nous sommes un poids, voilà le message qu'il nous délivre, ma chère Zika ». Cette difficulté qu'ont nos parents de quitter leur univers où il y a tous leurs souvenirs, leurs chères habitudes et, surtout, le plaisir de vieillir à deux…. « Notre maison s'est gravée tout entière dans mon corps. Il me suffit de fermer les yeux, de tendre mes mains sur le vide, pour redécouvrir la rudesse d'un mur, l'angle d'une porte, et le contact de mes pieds nus sur le sol. »
« Je me suis senti ferme et puissant sur mes jarrets, campé avec fierté, les mains carrées, rien ne m'était impossible et ta présence continuelle, le fil ininterrompu des jours et des saisons m'ont confirmé dans mon euphorie de seigneur. Et voilà que le poids de ma bêtise me rattrape. Mes muscles ont fondu dans les années, je n'ai plus que ma lucidité de vieillard pour affronter la réalité ».
Frédérique Martin aborde, par le biais de ces échanges épistolaires, le douloureux problème de la vieillesse, de la dépendance, de l'éloignement des enfants, de l'amour chez nos aînés, sans oublier le pardon et l'acceptation que nos enfants soient différents de nous et de nos chers désirs. L'auteure ne prend pas de gants et nous estomaque de temps à autre. La jalousie y est destructrice, la passion dévorante. A la fois doux et brutal, ce n'est pas un livre anodin.
Je remercie vivement Entrée Livre et les Editions Belfond pour ce partenariat doublé d'une très belle découverte. Un coup de coeur !
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