Citations sur À la lumière du petit matin (84)
Je relevai la tête, assis derrière son bureau, il me fixait par-dessus ses lunettes, avec un air réprobateur. Malgré sa bonhomie comique, il me terrifiait, ou plutôt son futur diagnostic m’horrifiait. J’avais froid, j’avais mal, je tremblais. Si je lâchais le peu de contrôle qu’il me restait sur moi-même, mes mains auraient été prises de convulsions.
Hortense, vous allez me prendre pour un fou, mais je n’arrive plus à travailler, je n’arrive plus à parler, je n’arrive plus à dormir, à vivre normalement. Je ne pense qu’à vous. J’ai cherché toutes les informations possibles sur votre école pour en apprendre davantage sur vous, je veux tout connaître, tout savoir. Je ne sais plus quoi faire pour vous sortir de ma tête.
L'odeur de la Bastide emplit mes narines ; ce parfum de maison de campagne, l'odeur familière de renfermé, celle qui rassure, qui dit rien n'a bougé, rien n'a changé, cet effluve, souvenir des jours heureux, légèrement teinté de feux de bois, réminiscences des flambées faites cet hiver.
Un désir d’une intensité bouleversante me saisit, un désir qui rendait ivre, un désir qui rendait amoureuse, un désir qui donnait l’impression d’avoir trouvé sa place. Je ne voulais pas que cela s’arrête. Un instant comme celui-ci, on rêvait d’en vivre rien qu’une fois dans sa vie.
Dans son regard, j'avais le sentiment d'exister, j'étais aimée. Pourtant, je n'aurais jamais imaginé devenir celle qui réclame, qui attend, qui se tape la tête contre les murs quand son amant la laisse pour rejoindre sa famille, celle qui se dégoûte parfois. Lui était devenu un spécialiste de la dissimulation, de la double-vie, un organisateur-né. Nous avions notre routine, comme un couple.
La réalité me rattrapa. Toutes les personnes de mon entourage - hormis Sandro, qui n'était pas franchement une référence - avaient leur famille, leur propre famille à eux, pas simplement celle des amis qu'on se choisit; ils avaient tous construit un foyer. [...] J'avais refusé de voir le temps passer, le temps filer, le temps m'échapper, et j'en étais là aujourd'hui. Je ne serais jamais qu'une marraine, sans famille à moi. Je me sentais pathétique d'en être arrivée là.
Le soir, lorsqu'il rentrait, certainement après avoir dîné quelque part, il venait me demander si j'avais passé une bonne journée, puis s'enfermait dans la salle de danse, il y restait jusqu'au moment où j'éteignait les lumières pour aller me coucher. Je fermais les yeux, sereine, apaisée par sa présence. Peut-être parce qu'il avait une façon bien à lui d'être attentif.
J'étais à la veille de mes quarante ans, j'avais laissé passer ma chance. Jamais je ne verrais mes propres enfants courir dans le jardin de leurs grands-parents disparus, ni sauter dans leur piscine. J'avais refusé de voir le temps passer, le temps filer, le temps m'échapper, et j'en étais là aujourd'hui.
Nous retournerions donc au restaurant, selon son bon vouloir. Encore un baiser distrait et il me lâcha. Il franchit le seuil sans se retourner. Bras ballants, je restai stoïque, pour ne pas dire abasourdie, durant de longues secondes. Et la rage me saisit ; j'eus envie de tout casser, de hurler au point d'alerter les voisins, au point de me briser les cordes vocales, je voulais frapper, démolir, détruire tout ce qu'il y avait autour de moi. Je voulais crier ma solitude, ma douleur. .....................Qu'était il en train de me faire ? Il m'abandonnait, il me laissait sur le bord de la route parce que je n'étais plus comme il le voulait. Je sentais que je devenais un boulet, un truc dont il n'arrivait plus à se défaire. M'aurait il pris pour son jouet ? Il était capricieux comme un enfant. Je n'avais plus de piles, alors il se désintéressait de moi. M'aimait il vraiment ?
Nous ne nous lâchions pas du regard, dans le mien, je sentais les larmes monter parce que tout m'apparaissait sous un jour nouveau. Le sien était traversé par le doute, le chagrin. Le serveur interrompit le silence, nos assiettes arrivaient, elles nous furent présentées, détaillées, sans que je comprenne un traître mot de son discours pompeux. J'avais mal, mal pour nous, mal pour lui, mal pour notre histoire.