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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Une descente aux enfers ? une quête frénétique d'amour ? une expérience d'avilissement absolu ?

Un électro-choc, une trépanation sans anesthésie, en tous les cas….

Jérôme est un OVNI qui a pourtant quelques frères en déréliction….

Jérôme est une sorte de frère monstrueux d'Ignatius Reilly, dans La Conjuration des imbéciles. Comme lui il est repoussant, obèse, alcoolique, libidineux, affligé d'une mère qui l'horrifie…
Mais Jérôme n'est pas Ignatius, insolent, foutraque et drôle : Jérôme fait horreur et pitié. Il ne fait jamais rire ni sourire.

Comme le consul de Au dessous-du volcan Jérôme s'abîme dans une quête d'amour vertigineuse ; comme lui, il mène son auto-destruction tambour battant, avec une sorte de méthode désespérée : 24h et je vous donne l'immonde …
Mais il n'y a pas chez Jérôme la moindre transcendance par le crime, le sexe ou l'alcool : juste un avilissement encore plus fondamental, une solitude encore plus désespérante, une nausée existentielle encore plus viscérale…

Comme Céline, Jean-Pierre Martinet utilise le verbe, la langue, comme viatique dans son Voyage- au- bout- de- la- nuit- personnel : langue incantatoire, langue coupée, langue éructée, langue bégayante, langue inventive, langue intrusive, langue portée jusqu'à l'incandescence, jusqu'au crachat, jusqu'à l'innommable…
Mais Martinet ne s'en sert pas comme Céline pour tenter de nommer les contrées étranges de la guerre, de l'Afrique, de la rutilante Amérique ou de la misère : la langue de Martinet explore son propre microcosme- un Enfer intérieur projeté devant Jérôme par sa propre angoisse, comme une ombre portée sur le sol; le monde de Martinet est ramené à son quartier, avec son cloaque souterrain- les bas-fonds du passage Nastenka- son cimetière, son café, sa maison des Papillons-Blancs( !!!), son école de filles, son épicerie- une ville-fantasme entre Paris et Saint-Pétersbourg, pendant 24h, d' un mois d'avril glacial et neigeux, plus hivernal que printanier.

Convoquer trois très grands livres pour tenter de parler de Jérôme c'est le mettre d'emblée au rang des toutes grandes oeuvres. Et c'est ce sentiment que j'ai eu, très vite, en le découvrant, même si ma lecture n'a pas été de tout repos. J'ai dû, je l'avoue, faire des pauses, malgré ma fascination, tant la violence de ce désespoir, tant l'humanité de cette abjection m'étaient douloureuses et parfois insupportables….avant de replonger dans le marasme et le cloaque où Jérôme s'enfonce irrémédiablement, comme si j'avais été irrésistiblement entraînée par cet anti-héros monstrueux - pédophile, tortionnaire, assassin, onaniste, ivrogne mais surtout seul, désespérément et inéluctablement seul.

L'histoire est simple, on pourrait même dire linéaire : Jérôme après avoir commis un crime presque malgré lui, et avoir assisté à la mort de sa vieille mère qui assure seule sa subsistance, sort de chez lui pour fuir ces deux cadavres, et se lance dans la poursuite désespérée d'un coeur ou d'un sexe à prendre. Son fantasme porte le nom d'une petite écolière qui l'obsède jusqu'au délire : Paulina Sémilonova.

Dans sa course à l'abîme, il ne rencontre que misère sexuelle, solitude, violence, déchéance ; il refuse toute marque d'affection ou d'attention comme suspectes, exerce sa cruauté sur les êtres et les bêtes, et, dans sa paranoïa, fuit autant qu'il la recherche toute rencontre.
Comme un Diogène, cynique, Jérôme cherche un homme, ou une femme, ou une enfant, ou une poule qui le sauverait du néant. Et il parcourt jusqu'au vertige sa propre déréliction, espérant qu'une main se tende : "….tu n'as jamais réussi à vomir les hommes. Toujours en toi cet immense amour inemployé déployé je voulais dire dévoyé. Ainsi la main qui voulait caresser à force de rebuffades finit-elle par brandir un poignard. de toute manière. »


Mais cet idiot est un fin lettré : dans sa nuit apparaissent Achab, Dante, Dostoïevsky, Ulysse, Bardamu, Aragon –la séquence auprès de la putain Bérénice qui a lu "Aurélien" est une des plus touchantes du livre- Bartleby, et même le pasteur fou de la Nuit du Chasseur…L'étrange silhouette présente-absente de Solange fait penser au Dracula de Bram Stocker….Tout ce que la culture a produit de plus fort, de plus beau semble émailler de ses clartés l'univers glauque et ténébreux de Jérôme.
Jérôme, c'est aussi le parcours d'un livre-monstre : sa genèse, ses refus, les réactions horrifiées qu'il a pu susciter, qui convoque à son secours, puis épuise ses modèles, ses idoles, et entreprend de descendre dans sa propre nuit, sans faiblir.


Jérôme Bauche personnage –monstre comme les créatures fantastiques du peintre flamand qui est presque son homonyme.

Jérôme livre-monstre d'un Jean-Pierre Martinet pétri de culture mais conscient que sa puissante originalité l'assigne à l'incompréhension, au rejet.

Jérôme narration- monstre à la fois baroque et classique –unité de temps, de lieu, d'action.

Jérôme langue-monstre poétique, incantatoire, musicale…

Je remercie les quelques aficionados de ce livre qui m'ont , à Babélio, ouvert les chemins de cette cathédrale de noirceur.



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Jérôme Bosch est un peintre néerlandais du 15e siècle qui est à l'origine de toiles où le mystique se mêle à l'hérétique, où la monstruosité se déploie dans une prolifération d'énergie plus puissante que celle qui anime la vie quelconque et sans vigueur du commun.
Jérome Bauche est le personnage d'un roman de Jean-Pierre Martinet. Cinq siècles le séparent de son homonyme néerlandais mais une pareille vénération pour la monstruosité les rapproche. Hasard… postule-t-on sur l'état d'esprit d'un peintre dérangé et hanté par la perversion au point d'avoir engendré des oeuvres telles que le « Jardin des Délices » ou la « Tentation de Saint-Antoine » pour s'infiltrer dans les affres mentaux de son digne descendant, Jérôme Bauche ? Les scènes qui s'animent sous son crâne sont des odes à la luxuriance perverse et les mots qui les décrivent pourraient très aisément former de nouvelles et sordides fresques.

En réalité, Jérôme Bauche ne semble jamais s'apercevoir de la ressemblance qui le lie à son homonyme peintre. de telles analogies ne peuvent être démontrées que par le lecteur qui dispose d'une distanciation suffisante ; Jérôme Bauche, en plein coeur de son récit, ne trouve rien d'anormal ni de monstrueux à ce qu'il décrit –quoique peut-être un peu, mais dans ce cas il s'accommode très bien des variations de son hygiène mentale.


Mais peut-être nous laissons-nous duper par le détachement apparent du personnage… Qu'est-ce qui nous indique que Jérôme Bauche n'est pas conscient des affiliations qu'il détient avec les pensées de certains personnages littéraires ? Au contraire, de nombreux indices nous portent à croire qu'il nous glisse sans cesse des allusions subtiles à seule fin d'éveiller notre intérêt. Ce bon gros bonhomme obèse, pas si indolent qu'il n'y paraît, éternel adolescent reclus dans sa chambre et partageant une idylle haineuse avec sa mère qu'il appelle « mamame », nous rappellera un Ignatius Reilly rageur, dénonçant avec une verve inspirée la désharmonie du monde moderne, les fautes de goût de ses contemporains et la vulgarité des épansions hypocrites.


« Je me sentais devenir enragé, car oui, vraiment, ce que je supportais le plus mal dans la vie, c'était l'absence d'harmonie, ces cris, cette vulgarité, comme si l'on se promenait éternellement dans une fête foraine, et au bout du compte, rien qu'un désaccord profond, une envie folle de se boucher les oreilles pour ne pas entendre ses propres hurlements. »


Ce dégoût s'accompagne d'un inévitable sentiment de supériorité, mégalomanie divine qui lui permet de se doter des qualités et des pouvoirs les plus convoités. On sent cette fois-ci la présence du Giovanni Papini exacerbé des jeunes années, celui qui avait écrit Un homme fini et qui prévoyait déjà d'asservir l'humanité à ses ambitions (« J'étais un être supérieur, mais j'étais le seul à le savoir : ma force n'en était que plus grande »). Mais Jérôme Bauche se détourne rapidement de ces considérations mégalomaniaques : on comprend qu'elles ne servent qu'à dissimuler un manque profond. Manque d'amour, manque de confiance en soi, manque de signification… L'existence de Jérôme est étiolée. Complètement désenchanté, ce personnage est semblable au berger de L'alchimiste qui se demande quels sont les processus qui ont oeuvré à ses dépens depuis son enfance pour qu'il devienne un homme désabusé et, plus que cela dans le cas de Jérôme : névrosé voire psychotique. Quelle quantité de faits est purement spéculative ? Quels actes Jérôme accomplit-il réellement ? Si tous les évènements décrits dans le livre sont réels, alors Jérôme est un criminel sans vergogne –psychotique. Si aucun des évènements décrits dans le livre ne sont réels, alors Jérôme est plongé en plein délire –psychotique. Et si l'on flotte entre totalité assassine et spéculation absolue, le doute sur la salubrité mentale du personnage se confirme une fois de plus. le livre qui est pur langage n'est qu'une logorrhée ininterrompue, dense et sans respiration, de pensées et de paroles qui semblent crachées sans réflexion par Jérôme. le besoin de dire est incessant. Si la fonction de communication du personnage au lecteur ne pose parfois aucun doute, il est d'autres pages plus incertaines au cours desquelles le langage se morcèle et se fait le reflet de l'instabilité mentale du personnage :


« Alors ? Alors, je ne devais pas m'affoler, et. Car enfin, je n'avais qu'à m'arranger pour faire disparaître le cadavre de Monsieur Cloret, ce n'était pas. La magie des frontières : quand on les franchit, on repart à zéro. Ni l'herbe ni le ciel n'ont la même couleur. Ce n'était pas une tâche insurmontable, après tout. »


Nous-mêmes serions sans doute à l'image de Jérôme si nous avions partagé son vécu. Son histoire est d'une cruauté édifiante, qui dépasse à peine celle qui caractérise l'indifférence voire le plaisir masochiste que prend Jérôme à la raconter. Enfant né d'un « caoutchouc percé », « moisissure », il grandit sans père dans le sillage d'une mère amère dont les seuls souvenirs de bonheur se résument aux coups de bite que son mari infligeait à des monticules de noix ou aux truites qu'il lui fourrait par hasard dans le vagin. Entouré de peu de compagnons, Jérôme n'a jamais appris à mener des relations valorisantes avec autrui. Arrivé à l'âge adulte, il se cherche depuis longtemps, ne se trouve jamais. le livre Jérôme décrit un tournant de cet homme qui, seulement névrosé, s'extirpera de sa langueur pour devenir actif et donner une forme à son existence. Mais quelle forme donner à un tel matériau lorsque ses idéaux sont devenus éloignés des normes et des valeurs d'une majorité qui, sans grands besoins affectifs, ne projette que des ambitions sentimentales et émotionnelles médiocres ?


Pédophile, violeur, assassin, s'en prenant aux hommes comme aux animaux, pratiquant l'onanisme dans les pots de yaourt ou dans les bus, Jérôme semble improbable, cumulant trop de tares pour être crédible. Mais sitôt qu'on le connaît un peu mieux, à peine aura-t-on commencé à partager ses obsessions, à fréquenter les individus qui l'entourent, à connaître ses idéaux et ses rêves, on s'étonnera de ne pas le voir céder à plus de comportements autodestructeurs. Né de grandes souffrances (« La souffrance c'est pas beau à voir. On plonge dans des profondeurs vertes et quand on remonte on est tellement mort que plus personne vous reconnaît. Les cernes violets sous les yeux, l'air absent, aussi quelques rides gravées dans des endroits bizarres, là où elles auraient pas dû, forcément, ça étonne, et puis les mains vides, forcément » ), ce roman en génère d'encore plus terribles. Visions sans espoirs et cyniques d'une destinée individuelle qui ne promet plus rien s'opposent au paradigme rêvé d'une fusion de tous les êtres humains dans la plus grande harmonie (« Tu te rends compte de ça, Jérôme ? TOUS les gens ont des visages différents. La vie fabuleuse, quoi. Pas un qui se ressemble. Et à l'intérieur alors, comment ça doit être ! Encore plus différent ! Encore plus étonnant ! C'est ça, la vraie merveille. Dommage qu'on s'en rende compte que quand il est trop tard et qu'on n'a plus personne à qui causer. Si on avait su on aurait vécu autrement, mais voilà. On voudrait bien recommencer, on les laisserait pas passer tous ces visages, on les questionnerait, on mettrait des choses en commun, les pas belles et les elles, seulement voilà »). Mais impossible, pas possible, et c'est là la souffrance suprême.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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Comment le monde littéraire français avait-il osé, sans rougir, faire disparaître Jean-Pierre Martinet? Comment Jérôme ne compte-t-il pas encore parmi les chefs d'oeuvre du 20° siècle?

Ce roman monstre s'avère un délicieux cloaque dans lequel j'ai pataugé avec délectation. J'ai pensé à Céline et ses éructations, à Dostoievski et ses culpabilités baveuses; Martinet soutient la comparaison avec une plume qui n'appartient qu'à lui.

Pris au piège d'une prose serrée qui ne respire jamais (l'altitude n'appartient pas à l'univers de Martinet), le lecteur ne peut que poursuivre sa lecture en apnée et suivre le gros Jérôme en bas. Toujours plus bas. Dans des obsessions gluantes et des pérégrinations alcooliques. En ne cessant d'admirer son créateur.
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Si je devais choisir quel livre mériterait une critique, ce serait sans conteste le Jérôme de Martinet. En effet, j'en suis encore resté sidéré.
Cela fait plus de un an et demi que Jérôme trône sur ma table de chevet en tyran de mes lectures : insupportable à finir et impossible à abandonner. J'ai donc scrupuleusement inspecté mon humeur et dès qu'une embellie s'affirmait, je me permettais une incursion au pays de Bauche. Mais …
Mais commençons par le début : les boeufs ne s'en porteront mieux et sauront par conséquent encore mieux tirer la charrue. Jérôme, c'est Jérôme Bauche : personnage central aux facettes multiples, plus sombres les unes que les autres, détestable à l'excès. Soyons honnêtes, rien en Jérôme ne peut être qualifié en termes de mignon, joli, tendre. Dire que c'est un monstre serait le plus juste … et même un bon point de départ d'analyse pour montrer justement en quoi il s'échappe malgré tout à son modèle. Donc Jérôme est un monstre déjà par son physique : plus de deux mètres de haut, cent cinquante kilos, imberbe et pourvu d'un appendice sexuel qui semblerait même ridicule sur le Manneken-Pis. Mais l'habit ne fait pas le moine et plus d'un auteur nous a déjà divertis par un physique à l'opposé de la grandeur d'âme. Mais ici non … La stature du personnage serait même plaisante en comparaison à ses pensées, ses actes … Non il rêve de petites filles sur lesquelles il pourrait assouvir ses pulsions, de meurtre, de torture … Quand je vous disais un monstre, Jérôme en est un vrai … Même plus que cela ….
En fait, il est humain, profondément et irrémédiablement, même plus que tous les gentils et bons qu'il rencontre dans ses pérégrinations. Car lui ne se cache pas derrière de beaux discours, les bons sentiments : il est un monstre mais il a besoin qu'on l'écoute, qu'on lui prête attention, qu'on le touche, qu'on l'aime. Parmi tous les protagonistes il est le plus humain : on parvient à comprendre et surtout ressentir comme Jérôme même si c'est insupportable et sordide. Et rien ne nous est caché : son obsession des petites filles, ses petites tortures, ses meurtres, ses étreintes avec une pute amazone pitoyable au coeur aussi grand que son ablation du sein.
N'oublions pas de parler du style si particulier, qui m'a beaucoup fait pensé à Céline au point d'imaginer que Jérôme était une sorte d'enfant monstrueux de Bardamu, plus désespéré, moins révolté et ayant subi une monstrueuse (encore une fois ce qualificatif …) transformation génétique, mi cloporte mi homme.
Quelques citations glanées de çi de là :
« La charcutière en a profité pour m'écraser de sa pitié : mon pauvre Jérôme, mon pauvre enfant, tu diras à ta maman que je lui souhaite un prompt rétablissement. Elle a glissé dans ma poche un sac de bonbons. Une bonne occasion pour m'effleurer la queue au passage. Ce n'était pas la première fois que madame Parnot se livrait sur moi à ces attouchements furtifs. Je me suis reculé instinctivement. Elle a tapoté sa perruque blonde d'un geste désinvolte tandis que je la remerciais humblement. Moi : merci, madame. Je vais les garder pour ce soir pour les manger en regardant mon feuilleton à la télé. Et aussi pour mon lit en lisant Mickey. »
« J'ai commencé à gifler la siamoise sur le museau, gentiment d'abord, comme pour jouer, puis un peu plus fort. Pourtant, il n'y avait rien au monde que j'aime plus que les chats, mais elle non, il n'y avait rien à faire, elle me narguait, elle ne voulait pas m'avouer qui était son amant, elle se contentait d'essayer d'attraper mon nez avec sa patte, comme si j'étais là pour m'amuser. Sale chatte. Il n'y a rien de plus vicieux que les siamoises, toujours en chaleur. Je ne pouvais pas tolérer plus longtemps cette obstination à se moquer de moi. D'une main je lui ai fermé la gueule, pour qu'elle ne miaule pas, et de l'autre je l'ai étranglée. C'est si mince le cou d'un chat, si fragile, on peut le broyer entre ses mains comme un poussin. »
« Décidément. J'avais un goût prononcé pour le ridicule. Je croyais vivre un drame romantique, mais il ne s'agissait peut-être que d'un vaudeville minable, aux relents de draps sales, une caleçonnade sinistre, où le cocu déclenche les rires gras en se cachant dans l'armoire ou sous le lit pour assister aux ébats de sa femme. Solange me répétait souvent : nous cherchons partout l'absolu, et nous ne rencontrons que le grotesque et la dérision. »
Si Jérôme est monstrueux, il peut également générer un rire à son image, lourd, qui vous prend la bouche comme un rictus salvateur. Mais ce rire, cet humour se sont pour moi trop souvent rapidement dissipés pour ne laisser place qu'à une certaine nausée, de plus en plus prégnante au long des pages. Je n'ai jamais pu lire plus de vingt pages d'une traite sans m'arrêter et passer à un ouvrage tourne-page.
Car je dois bien l'avouer, Jérôme, c'est trop fort pour moi et même si c'est un des meilleurs livres que j'ai lu dernièrement, ses relents nauséeux m'empêchent de m'épancher à sa lecture. Mais à toute personne ayant apprécié Céline, je conseille fortement sa lecture : il y trouvera sûrement son bonheur !
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Vous connaissez, vous, Jean-Pierre Martinet ?

Personnellement, cet écrivain était pour moi un parfait inconnu, jusqu'à ce que mon intérêt soit fortement éveillé par un article élogieux publié sur un blog ami...

Je me suis alors précipitée dans la librairie la plus proche (à 300 mètres de mon lieu de travail ; si j'avais voulu le faire exprès...), et me suis procurée "Jérôme", l'un des rares romans que cet auteur eut le temps d'écrire avant son décès prématuré en 1993 (alors qu'il n'était âgé que de 49 ans).
Rien qu'en soupesant l'objet -un bel ouvrage, réédité en 2008 trente ans après une première parution couronnée d'insuccès-, je me suis surprise à penser : "Ça, c'est du lourd !"
Je ne croyais pas si bien penser...
Après quelques heures de lecture - évidemment étalées sur plusieurs jours- passées dans l'univers à la fois sordide et fantasmagorique de Jérôme Bauche, héros de cet impressionnant roman, je ne peux en effet que confirmer ce que m'avaient permis d'imaginer les louanges chantés par Edwood, à savoir que Jean-Pierre Martinet était un écrivain hors norme.

D'emblée, le lecteur est immergé dans le flot ininterrompu des pensées de Jérôme, qui nous livre ainsi, avec une volubilité qui suscite assez vite un certain malaise, ses angoisses, les manifestations de sa paranoïa, ses fantasmes, et l'obsession qui hante jour et nuit son cerveau malade, qui a pour nom Paulina Semilionova, adolescente de 15 ans qu'il traque sans répit dans un Paris devenu tentaculaire et dangereux, qu'il imagine être un faubourg de Saint-Pétersbourg. Précisons que Jérôme est quant à lui un grand garçon de 42 ans, de stature plutôt imposante (il pèse 150 kilos pour 1m90), qui vit toujours chez sa "mamane"...

Appréhender le monde par les yeux de Jérôme, c'est le voir à travers la toile élaborée d'un délire entretenu par une sorte d'hyper sensibilité à tout ce qui l'entoure et l'agresse (les odeurs, les couleurs) et construit sur la base des interprétations hallucinatoires qu'il retire de son environnement, et des individus qu'il croise ou qui l'entourent.
Dans son univers, tout perd son éventuel caractère sacré, pour se parer d'une nature sale et délétère : la maternité, l'amour, le sexe, même la vie est considérée comme vaine et laide... les petites filles y sont vicieuses et perverses, les sentiments y sont souillés. La compassion, l'espoir n'y ont pas de place.

"Il n'y a rien de plus obscène que les sentiments. Toutes ces paroles. Que l'ombre d'un ange, un jour, s'approche de toi, alors que tu fais consciencieusement ton travail de pute, les pattes écartées, comme toutes les salopes de cette planète pourrie, les mères, les soeurs, les fiancées, baisées, bourrées, enfilées, défoncées, démolies, haletantes, toujours à essayer de prolonger en jouissant le cauchemar de la vie, comme si ça ne suffisait pas comme ça, déjà, mais non, encore, encore, haletantes, trempées, retournées, malaxées, concassées, déshabillées, en hiver, en été, toujours dans des chambres étouffantes, gigotant, sautant, bavant, hurlant, oh oui que l'ombre d'un ange, par n'importe quel temps, s'approche, dans le silence absolu, et décrète la fin de cette mascarade. Car la vie n'est pas douce, et elle n'est pas bonne, contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire un peu partout. Pas de raisin dans la vigne, pas de figue au figuier. Les feuilles sont flétries, les eaux empoisonnées. La création est ratée, Solange le disait souvent, et les grandes villes sont des repaires de chacals, maintenant : une sale brume recouvre tout."

Jérôme nous entraîne dans une spirale qui se nourrit de sa suspicion et de son mal-être ; il devient au fur et à mesure du récit de plus en plus difficile de distinguer le réel de l'imaginaire et d'ailleurs, le héros lui-même, dont on ne sait plus par moments s'il est doté d'une intelligence supérieure ou atteint d'une grave psychose, s'y perd.
Sans laisser au lecteur le temps de reprendre son souffle, Jean-Pierre Martinet lui impose subrepticement le rythme mental de son personnage qui, le temps de la lecture, nous habite et nous plonge dans l'enfer qu'est son existence.

"Jérôme" est un récit à la fois sombre et superbe, glauque et fécond, dont l'aspect burlesque de certaines situations ne parvient pas à alléger l'atmosphère. D'ailleurs, ce n'est pas le but : il sourd de ce roman un désespoir sans fond, un dégoût de la vie qui font de cette lecture une expérience forte mais presque douloureuse.

"(...) moi, Jérôme Bauche, je savais bien que c'était du faux, du vent, putasserie fardée, que jamais rien ne rachèterait la souffrance d'être enfermé dans une montagne de chair de cent cinquante kilos appelée Jérôme Bauche, une forteresse imprenable, bouclé là-dedans, oui, et torturé tous les jours, avec une cruauté raffinée, aucune issue, pas le moindre souterrain pour revoir la lumière du jour, j'avais beau essayer de gratter le sol, parfois, je n'arrivais qu'à m'écorcher les mains, les repas à heure fixe, pas le moindre rai de jour, je grattais la terre comme les bêtes, j'embrassais le salpêtre des murs, je me barbouillais avec mon propre sang (...)".

L'écriture de Jean-Pierre Martinet -cette verve infatigable, dont le caractère parfois lancinant vous happe et vous heurte- n'est pas sans évoquer Céline. La trame du roman, et l'atmosphère qui le baigne, m'ont en revanche fait penser à certains auteurs russes, notamment Gogol, avec son "Journal d'un fou", ou encore Dostoïevski, auquel l'auteur fait référence à de nombreuses reprises.
Ceci dit, ne nous méprenons pas : le talent de Jean-Pierre Martinet est bel et bien original ; il rend certes hommage, tout au long de ce récit, à quelques-uns des écrivains qu'ils admiraient, mais lorsque l'on referme "Jérôme", on a la certitude de n'avoir jamais rien lu de semblable.
Lien : http://bookin-ingannmic.blog..
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Roman monstre sur un personnage qui est lui est lui même un monstre et qui évolue dans un Paris monstrueux largement fantasmé qui ressemble à Saint-Pétersbourg. Ce gros livre est un grand roman sur la solitude, le désir inassouvi et la pulsion de mort. Cette lecture est très prenante, une de celles, rares, qui marquent et qui comptent dans une vie. le personnage de Jérôme Baush nous ramène à notre propre humanité et inhumanité. Un livre magnifique dont on a du mal à sortir et dont on ne sort pas indemne : un vrai chef d'oeuvre inconnu du XXème siècle mais à ne pas mettre entre toutes les mains (à ne pas conseiller à un ami suicidaire dépressif).
Je perçois dans l'écriture de Martinet, grand styliste, l'influence de Lautréamont, de Céline, Faulkner et de Gombrowicz mais je devine beaucoup d'autres influences littéraires qui m'échappent …et cela n'en est que plus beau.
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Enorme
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En week-end à Lille, à la libraire Furet du Nord, je croise un libraire loquace et sympathique. A un moment de la discussion, il me tend fébrilement un lourd livre à la couverture orange : « Il faut lire ceci, et rétablir le génie Jean-Pierre Martinet ». Convaincue par ses yeux brillants de passion littéraire, je l'achète. Avant de partir, il me glisse avec un sourire « enfin lisez le quand votre vie va bien, c'est mieux »

Et évidemment ce n'est pas ce moment-là que j'ai choisi. J'ai décidé de m'y plonger un moment où il me fallait un livre compliqué, qui ne me détournerait pas de mes révisions. Quelle erreur ! Je sors de cette lecture lessivée et un peu déprimée. Je suis soulagée d'avoir terminé mais je me sens esseulée. Jérôme Bauche est le livre qu'on est incapable d'abandonner et qu'on retrouve inquiet. Jérôme Bauche est le pire des personnages mais il est si vrai.

Je vais essayer de très peu en révéler. le roman se passe pendant quelques jours, on suit Jérôme Bauche, 48 ans, obèse, fils à maman et simple d'esprit. Il est obsédée par Paulina une lycéenne, à laquelle il pense sans arrêt. On traverse ses élucubrations au bord de la paranoïa, ses fantasmes à la limite de l'obscène et ses quêtes sans logique.

Si vous recherchez du beau, du doux, du léger : passez votre chemin ce n'est pas pour vous. le récit est cruel, écorché et aussi troublant, sensible. Il y a beaucoup d'humour mais qui ne fait jamais rire. On perçoit rapidement les obsessions de Martinet pour le politiquement incorrect et l'humiliation.

La plume est sublime, le rythme alterne sans arrêt. L'auteur nous balade, rentre dans notre crâne et fait de notre cerveau de la bouillie immonde. Il se paie le luxe de faire un pavé sans forme, sans mis en page, presque sans ponctuation dans un monde semi-fantastique.

J'ai l'impression d'avoir vécu une épreuve, je n'en sors pas indemne.

Réhabilitons Jean-Pierre Martinet ce génie du mal.
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"Jean-Pierre Martinet, écrivain ivre de désespoir et de littérature" : un article à lire dans la revue en ligne l'Ampoule: http://www.editionsdelabatjour.com/pages/jean-pierre-martinet-ecrivain-ivre-de-desespoir-et-de-litterature-4621082.html
Lien : http://www.editionsdelabatjo..
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Ogre ? Victime de son corps et de sa famille ? Tout autre chose ? L'énorme Jérôme Bauche.

Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2015/02/24/note-de-lecture-jerome-jean-pierre-martinet/
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