Connemara est une chanson « qui n'a rien à voir avec l'Irlande, elle parle d'autre chose, d'une épopée moyenne qui ne s'est pas produite dans la lande ou ce genre de conneries, mais là, dans les campagnes et les pavillons, à petits pas, dans la peine des jours invariables». Une chanson au diapason de son époque, que tout le monde connait, de gauche comme de droite et qui, dès les premières notes, réveille nos mémoires.
De l'adolescence à la quarantaine, des années 90 à la présidentielle de 2017,
Nicolas Mathieu nous raconte la vie d'Hélène et de Christophe, originaires de la même petite ville du Grand-Est. Tout les sépare, leur milieu, leur carrière, leur caractère, et pourtant ils se croisent à nouveau, 25 ans après l'adolescence. Tous deux ont une famille, des enfants mais ils ont également des doutes et vont vivre ensemble une liaison torride, illusoire et brève.
Et à travers eux, c'est toute une génération qui est passée à la loupe, avec ses choix et ses envies mais aussi ses accidents de parcours et ses états d'âme.
Avec une façon tellement juste de regarder les gens qui nous ressemblent
Nicolas Mathieu est un génie de l'observation qui nous livre, dans ce roman, une véritable chronique des fractures. Fracture sociale entre la France d'en haut et celle d'en bas, fracture territoriale entre les citadins et les provinciaux, fracture sociétale entre la culture de la réussite et la débrouille institutionnalisée, fracture politique entre ce qu'il reste, à la veille de l'élection de Macron, de la droite et de la gauche.
Un peu comme un ethnologue étudierait une civilisation, c'est notre monde qu'il regarde, sans concession et sans illusion, mais avec un tel talent que l'émotion m'a souvent submergée de tant de clairvoyance.
Et je n'ai pas eu besoin de connaître les mécanismes de productivité pour être atterrée par l'horreur d'une gestion du moindre coût, ni d'être une férue de hockey pour m'enflammer dans l'ambiance survoltée d'un match local, car tout ici est écrit dans une langue que je parle, avec des pensées qui nourrissent mon questionnement quotidien et des sensations dont j'ai l'empreinte à fleur de peau.
Je referme ce livre avec la chanson de Sardou dans la tête et l'immense émotion d'avoir été touchée par la grâce de cette écriture sociale et humaine qui aura définitivement changé mon regard sur la société.
Un roman mémorable et un des plus grands auteurs français.