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3,8

sur 3647 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'ai un doute…
 
… sur le fait que Nicolas Matthieu n'ait pas des caméras dans tous les foyers français, au coeur de l'intimité, sans artifice.
… sur le fait qu'il n'ait pas un bac + 30 en sociologie.
… sur le fait qu'il n'ait pas été aussi une femme, dans une autre vie. Dis-moi Nicolas, sinon, comment as-tu fait pour écrire le personnage d'Hélène avec une telle précision ? Je ne parle pas de la Hélène de 40 ans, ça à la limite je suppose que ta femme a pu te le raconter. Je veux bien le croire. Je parle de la Hélène adolescente. J'avais oublié que j'avais ressenti toutes ces choses à son âge, et pourtant, en te lisant, tout est remonté en une fraction en seconde. 
… sur le fait qu'il soit seulement écrivain. On arrête de rigoler deux minutes et tu nous dis dans quel cabinet de conseil t'as déjà bossé ?
… sur le fait que Christophe et Hélène, les deux protagonistes, n'aient pas réellement existé. Allez, Nicolas, avoue-tout, tu les as croisés un jour sur ton chemin et t'as écrit sur leur vie ?
 
En revanche, je n'ai aucun doute sur le fait que ce livre est un chef d'oeuvre.
 
Il parle de Christophe et Hélène, mais en fait, il parle de tout le monde.
Il ne s'y passe rien, et à la fois, il s'y passe tout.
Un livre de Schrödinger en somme. 
Comme pour le célèbre chat, il faudra ouvrir la boîte ou le livre pour savoir. 
À vous de faire l'expérience. 
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On a beau détester Michel Sardou et tout ce qu'il représente - une certaine idée de la France et des idéaux réactionnaires-, on a beau se gargariser toutes et tous de nos gouts musicaux plus pointus, plus engagés, moins franchouillards, plus sublimes et plus branchés, on a tous en nous le souvenir d'une fin de soirée où ont retenti dans la salle "Les lacs du Connemara" (Généralement, c'est peu de temps après "La Tribu de Dana" qu'on a remis à peu près dix fois au cours de la soirée!) et où l'esprit un peu embrumé, le corps transpirant de trop de danse et les pieds gonflés ont suivi le mouvement parce qu'au fond, cette chanson qu'on adore détester ou qu'on adore sans oser l'avouer, fait partie de notre patrimoine. "Les Lacs du Connemara, c'est ça: les fins de soirées, les 14 juillet, le mariage d'une cousine, l'aube qui se lève bientôt et qui nous surprendra comme Cendrillon après minuit, la parenthèse qui se ferme.

Cette chanson qui résonne, qui dit un temps qui n'est plus, quand la France ne déchantait pas encore, quand le monde n'était pas aussi noir et fermé qu'aujourd'hui, elle hante les souvenirs perclus de nostalgie et d'amertume des personnages de Nicolas Mathieu qui signe encore une fois avec "Connemara" un roman magnifique et fulgurant, à la hauteur du sublime "Leurs enfants après eux".

De sa plume toujours si précise et presque médicale, l'auteur convoque et ausculte en virtuose, avec une justesse confondante et un réalisme douloureux des thèmes qu'il semble chérir: la France périphérique, les fulgurances et la puissance de l'adolescence, la violence latente du temps qui passe et qui charrie regrets et souvenirs mêlés, l'amertume et la frustration des rêves oubliés, les complexes de classe, le poids des regrets, la lumière et les désillusions.
Hélène aura bientôt quarante ans. Après quelques années d'une vie parisienne menée tambour battant et un burn out, elle est de retour dans son Est natal nanti d'un époux un peu distant et rarement disponible et de deux filles. Avec la maison d'architecte dans laquelle vit la famille, les vacances hors de prix qu'elle peut s'offrir, les emplois très bien payés que n'ont pas tardé à retrouver les époux, Hélène a tout pour être heureuse et sa réussite ressemble à celle qu'affiche les magazines ou mieux encore les comptes instagram triomphants. Pourtant quelque chose cloche... Hélène n'est pas si heureuse... Elle qui a tant donné pour fuir cette région de misère et pour arracher sa réussite loin des parents qui lui ont si souvent fait honte, elle qui s'est extirpée de sa classe sociale pour avoir plus, mieux, est finalement de retour et sa mélancolie l'oppresse, l'écrase.
Christophe, lui, n'est jamais parti. Ancienne étoile montante de l'équipe locale de hockey, il était la coqueluche de son lycée, la version française des quaterbacks des séries américaines, la star à qui tous promettaient un destin éclatant. Pourtant... rien. le jeune homme s'est laissé porter et n'a pas saisi sa chance. Aujourd'hui, il élève seul son fils en compagnie de son propre père dont la santé décline. Parfois, il retrouve les vieux copains autour d'une bière et ils refont le monde...
Hélène et Christophe s'étaient croisés autrefois et la petite lycéenne en crevait d'être regardé par le beau gosse du coin qui préférait les rebelles ou les plus délurées. Les filles sages au lycée n'attirent pas les garçons, c'est bien connu.
Et puis les années qui passent, les réseaux sociaux, un message puis un autre, un rendez-vous...
Bien sûr "Connemara" est, à l'instar de "Leurs enfants après eux", un roman éminemment politique qui parvient à transcrire avec acuité les fractures sociales qui blessent la société d'aujourd'hui et qui en dénonce les violences causées par ce néolibéralisme crasse, les inégalités, les désillusions mais c'est aussi un très beau roman sur l'humain, l'intime, sur l'espoir chaque jour renouvelé d'obtenir un peu de bonheur et de jouissance, sur ce qui meut les hommes et les femmes à continuer toujours, à y croire encore et malgré tout. Oui Hélène et Christophe symbolisent des types sociaux mais ils dépassent ce cadre, personnages de papier, pour être, être vraiment et c'est d'une beauté et d'une émotion à couper le souffle.
Il y a les mots et les regards. Il y a les corps aussi.
Il y a le présent auquel vient se mêler le passé dans une narration sensible et ample. Il y a les regrets, l'amertume et cette quête d'amour si douloureuse qu'elle brise le coeur.
Il y a le monde qui continue de tourner et la danse infernale pour en faire partie.
L'humour caustique et l'absurdité d'un certain monde du travail.
Les errances dont sont faites nos vies et l'inexorable fuite du temps.
Et cet épilogue!..
Un grand roman, un beau roman qui finalement nous pousse dans les bras du présent, parce que c'est encore lui le plus beau, le plus vivant.



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Très beau livre.
J'ai eu une petite appréhension en le commençant car je n'avais pas trop apprécié son Prix Goncourt, Leurs enfants après eux. Je ne sais plus pourquoi. Il ne m'avait pas touché.
Celui-ci est nettement meilleur.
Roman de société ou sociétal, la plume est magnifique.
Parfois, j'ai eu comme la sensation étrange de lire du Zola.
Je n'ai pas mis 5 étoiles car j'avoue que les digressions sur la vie professionnelle d'Hélène m'ont ennuyée.
On suit pas à pas la vie de Christophe, et celle d'Hélène. Avec des retours en arrière qui sont les bienvenus. Et puis un jour clac, ils se trouvent sans vraiment se chercher. Histoire d'amour maladroite, émaillée de scène de sexe torride (si, si).
Mais ça n'est jamais vulgaire, jamais déplaisant. Bien au contraire, les descriptions de leur vie intime sont même parfois proches de la poésie.
Oui, c'est cela, de la poésie.
On y trouve une princesse attendant son Prince Charmant, un vieux Papa qui commence une démence sénile, un mariage mémorable avec une plume si vraie, si authentique que j'ai eu la sensation d'y être, dans ce mariage.
On y trouve un gars fatigué de la vie déjà, ancien joueur de hockey sur glace, désabusé, amer, mais surtout attendant lui aussi son étincelle de bonheur.
On y trouve aussi des ados pleins d'eux-mêmes, ces ados que l'on retrouvent grandis, mais peut-être toujours aussi déçus et violents dans leur tête.
On y trouve enfin tout ce qu'il vous plaira, finalement.
On y trouve surtout la Vie, avec ses injustices et ses errements.
Un grand et puissant roman, avec encore une fois, une plume de dingue.
J'ai beaucoup aimé et j'ai avalé ce livre avec la peur de le terminer trop vite.
C'est toujours comme ça les beaux livres.
Allez, vivement le prochain.
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C'est qui la quiche qui n'avait jamais lu Nicolas Mathieu ?

C'est qui l'idiote qui pensait que ce n'était pas pour elle ?
🤚
C'est qui la bêcheuse qui se demandait si ce n'étais pas un peu surcôté ?
🤚

J'ai donc lu Connemara (pas encore le Goncourt) et j'ai délibérément attaqué par ce roman car les avis n'étaient pas unanimes.
Alors oui, l'histoire est assez banale. Oui il y a quelques clichés. Mais quel auteur français écrit aussi bien sur les déceptions, les renoncements ? (seule réponse acceptée: Jean-Paul Dubois). Sur la nostalgie ? Sur la lente hémorragie du temps ? (personne).

Nicolas Mathieu arrive à poser des mots parfaits sur des sentiments insaisissables et c'est très émouvant.
A l'image de Zola, il parvient également à rendre compte de tout les infimes détails qui font une époque, un milieu social, un âge.
Un auteur d'une lucidité qui m'a fait autant de bien que de mal.

L'engouement d'amis lecteurs qui ont des goûts proches des miens aurait du me mettre la puce à l'oreille. C'était tellement fait pour moi.

Seul point noir: c'est p…. de chanson - que je n'aimais déjà pas et qui a le don de me filer le bourdon - passe en boucle dans ma tête depuis.
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Connemara : des nuages noir qui viennent du Nord colorent la terre, les lacs, les rivières... Stop, ce n'est pas le décor du Connemara, ni du Grand Est, et pourtant c'est un peu celui de notre histoire.
Au départ, un couple, départ classique, boy meets girl.. enfin, pas vraiment un couple, deux solitudes qui se croisent dans leur nuit et se séparent. Et en réalité, il y a bien d'autres choses. Patrick et Hélène sont tous deux issus de la même petite ville entre Lorraine et Vosges, dans une région qui n'existe pas, le Grand Est, au coeur d'une France qui fut en un temps pas si éloigné le moteur de la croissance, et, avec ses industries, a presque tout perdu. Oh je ne vais pas faire le procès de la mondialisation libérale, il a déjà été fait, et ce livre est une pièce supplémentaire au dossier. le procès ne sert à rien, ils gagneront toujours et nous repeteront qu'il n'y a pas d'alternative (d'ailleurs je crois l'avoir entendu récemment ) Et voilà deux vies écrasées. Pas trop quand-même. Hélène et Christophe s'en tirent assez bien, enfin surtout Hélène. Ils ne sont pas issus, Dieu merci pour eux, de la grande pauvreté.
Leur adolescence a été leur Grand Siècle, où tout leur semblait ouvert. Grâce au hockey sur glace, Christophe espérait une belle carrière sportive,, grâce à ses bonnes notes, Hélène attendait une belle carrière tout court. Christophe a échoué, il est resté là, il a encore de la chance, il a du travail, oh rien d'exaltant, il est commercial; il vend de la pâtée pour chien. A part ça ? Divorcé, un enfant. Il n'est pas malheureux, il y a les copains. Hélène a réussi à intégrer une école de commerce, mais pas la meilleure, a été recruté par un cabinet de consulting, mais pas le meilleur, et elle n'y obtiendra pas la promotion qu'elle espérait. Parce qu'elle n'est pas du bon milieu et n'a pas les codes, elle n'a pas pu intégrer une bonne école, parce qu'elle ne sort pas d'une bonne école... Vous avez compris. Mais elle n'est pas à plaindre, bien sûr. Elle gagne bien sa vie, bien sûr elle fait un métier qui consiste à vendre du vent, puisqu'elle est dans le consulting. Elle est intelligence, s'en rend compte, elle a bien essayé d'être corporate, elle est trop intelligente, elle n'y a pas réussi. L'ascenseur social, on le sait, est en panne depuis quarante ans.
Cependant elle a presque intégré les rangs des gagnants, des anywhere, alors que Christophe est resté un Somewhere pour reprendre la la classification de Guilluy dans La France périphérique. Cependant, à la faveur d'une mutation professionnelle, Hélène retourne dans la région, rencontre Christophe, et retrouve ( un peu) son milieu d'origine. D'ailleurs, la région, elle y restera. Ce n'est pas une happy end. Ni le contraire. Et nous voilà dans dans le corps de l'action. Certains reprochent au livre de manquer d'action. C'est sûr que ça manque de traders, de publicitaires, de cultureux en tout genre. Nous sommes chez les "gens de peu " au sens du livre de Pierre Sansot ( ce n'est surtout pas péjoratif, Sansot n'est pas Macron parlant de ceux qui ne sont rien. Et donc, oui, il ne se passe peut-être pas comprendre, juste la vie, la mort aussi d'ailleurs, et tout le monde fait de son mieux. Au, quand-même, si, grâce à Hélène nous avons un aperçu sur le monde glorieux de l'entreprise, sur les chevaliers du consulting qui viennent la régénérer, et s'attaquent même aux "pesanteurs et rigidités de l'État", comme on dit, avec l'indigne complicité de ceux qui vendent la France à la découpe. Ils s'en donnent d'autant plus à coeur joie en l'occurrence que nous sommes à l'époque de l'absurde réforme régionale qui donna naissance au Grand Est et qui mit une pagaille effroyable dans le mille feuilles régional qui n'en manquait pourtant pas. Alors, une bonne couche de charlatanisme là -dessus, au point où on en est... Mais je m'énerve et suis à la limite du hors sujet.
Parce l'essentiel du livre n'est pas là. Parce que les héros du livre, ce sont les simples gens qui font de leur mieux, avec ce que les beautiful people ont bien voulu leur laisser. Et qui vivent, et qui essaient d'être heureux, et, bien sûr, n'y arrivent pas tout à fait. Parce la condition humaine est là, avec le temps qui passe, les enfants qui grandissent, les générations qui se succèdent, la maladie, la mort. Et ce dont parle ce livre, c'est de la vie, la vraie.
Et le Connemara alors ? Oh, Matthieu l'explique mieux que moi. Disons simplement que c'est une chanson populaire, que les gens aiment, qu'ils chantent lors de leurs fêtes, et qui, d'une certaine façon, représente leur vie
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Hélène, bientôt 40 ans, mariée, deux enfants, bonnes études, réussite professionnelle, a réalisé ses ambitions de jeunesse. Elle a quitté sa campagne des Vosges, a échappé à sa condition, bref, elle a tout bien coché. Mais elle s'ennuie. le beau Christophe, lui, est resté à Cornécourt, la petite ville où ils ont tous les deux grandi. Sa carrière de hockeyeur n'a pas décollé. Commercial, il vend des croquettes pour chats et chiens et partage sa vie entre les fêtes avec ses vieux potes et son petit garçon, Gabriel, un enfant craintif, qu'il élève à mi-temps avec son amour de jeunesse, dont il est séparé. Hélène et Christophe se revoient et entament une liaison. Qu'engendreront ces retrouvailles inattendues ? C'est ce que raconte, entre autres, ce nouveau roman de Nicolas Mathieu.

Dans Leurs enfants après eux, Prix Goncourt 2018, le romancier avait peint la jeunesse d'une poignée d'adolescents dans une zone sinistrée de la Lorraine désindustrialisée. Il peint dans Connemara la même génération, grandie dans les années 80-90, cette fois à l'aube de la quarantaine. le romancier remonte le temps, avec des flash-back dans l'adolescence de ses deux personnages, mais c'est bien ce moment charnière de la vie, celui où l'on s'arrête pour regarder dans le rétroviseur, qui l'intéresse dans ce nouveau roman.
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Quand on prend de l'âge et qu'on se remémore les années d'adolescence, on se prend à imaginer ce que sont devenus tous les gens qui usaient leurs jeans sur les mêmes bancs que nous. La fille maussade qui refusait de filer ses devoirs de maths parce que tu l'avais trop charriée et qu'elle trouvait là une revanche facile. le type à lunettes qui lisait Tolkien dans son coin et que personne ne charriait, lui. La sportive qui dépassait tout le monde d'une tête et le bon gros qui rigolait tout le temps.
Et puis il y avait eux. La meilleure élève, qui forçait le respect par son obstination à rafler tous les prix, et le mec le plus "waow!" (avec des points d'exclamation partout , juchés sur des petits ronds) qui faisait taire tout le monde quand il traversait la cour.
Et puis il y avait toi, qui regardais les vies parallèles de ces deux-là se suivre toujours sans se croiser jamais. Toi, devenu(e) adulte, qui comprends qu'ils n'avaient pas forcément la vie facile à l'époque. Elle, elle rêvait d'une grande vie dans une grande ville, enserrée qu'elle était dans sa famille étriquée. Comme dans cette chanson de Delpech, tu vois, "on dirait que ça te gêne de marcher dans la boue". Et ça la gênait tellement qu'elle a tout fait pour changer de vie, de peau, de monde. Jusqu'à se perdre en route. Lui, il a connu de beaux jours. de grands soirs quand il jouait au hockey. Des heures folles quand il est tombé amoureux comme on tombe à la mer. Des jours tristes quand sa mère est morte, quand sa douce s'est tirée avec le petit, quand son paternel a commencé à perdre la boule. Quand il a constaté que ses meilleurs potes devenaient vieux, puis qu'il s'est vu vieillir avec.
Alors , chacun de son côté, ils ont remonté le temps. Cherché dans le passé l'aiguillage foireux qui les avait menés sur ces voies de garage. Et le mec le plus cool du bahut a croisé la pire bêcheuse du monde. Dans un resto pas bon. Improbable et fou. Mais
"Là-bas au Connemara
On dit que la vie, c'est une folie
Et que la folie, ça se danse."
Voilà. Comme ça, que Nicolas Mathieu nous a fait entrer dans la danse. Avec des élégances de maître de ballet et des sabots de pur Vosgien. Avec le détachement de l'artiste et la tendresse d'un vieux pote. Avec des mots qui embellissent la vie de chacun sans jamais, jamais la ridiculiser. Il y a dans cette histoire, un peu banale en apparence, toute la poésie des grandes amours. "Les souvenirs et les regrets aussi". Puis la vie, la vie qui bouleverse tout, qui enchaîne les histoires comme un torrent roule ses cailloux, la vie qui survit à tout et à tous. La vie, le personnage principal. Et c'est beau.
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Hélène et Christophe sont tous deux nés dans une petite ville du Grand-Est. Hélène semble avoir réussi sa vie. Transfuge de classe, elle a maintenant un haut poste dans une entreprise de consulting. Christophe a prit une voie opposée, préférant à la réussite le maintien d'une vie adolescente faite de petits boulots pour survivre et de soirées entre copains. Alors âgées tous deux d'un peu plus de quarante ans, ils se rendent compte que les vies qu'ils ont ne leur conviennent pas. Dans une divagation mélancolique où tout semble promis à l'échec, ils vont, sur près de quatre cent pages tenter de nouer une relation pour ressortir la tête de l'eau.

Hélène et Christophe ont emprunté chacun deux voies diamétralement opposées. Elle, s'est extirpée de sa province « prolo » et de son statut social pour intégrer de grandes entreprises de consulting. Lui, est resté dans sa petite ville natale, vivant de boulots peut glorieux et passant le temps en se marrant avec ses potes ; dans une existence à la frontière avec l'adulescence. Je ne suis d'ailleurs pas d'accord avec la quatrième de couverture qui le présente comme plutôt heureux de sa vie telle qu'elle est, et le coeur plein d'espoir. Au contraire, je l'ai lui aussi trouvé matraqué par la vie ; entre un fils qui part à l'autre bout de la France et qu'il ne verra pas grandir et un père malade qui est transféré en EHPAD. Au milieu de tout ça, il tente de reprendre le hockey tout en sachant qu'il n'a plus sa place dans l'équipe locale et que son corps et sa forme physique sont loin d'être ce qu'elles étaient. Lui aussi se rend donc compte, à quarante ans passés, d'à quel point sa vie est pourrie. Et c'est intéressant de voir que ces deux personnages qui ont pris deux voies complètement différentes : l'un ayant réussi, l'autre continuant une vie d'ado, se retrouvent tout deux désabusés en se rendant compte qu'ils ont foiré leurs vies. Et la relation qui se noue entre eux en est d'autant plus belle. Ces deux « opposés » que relie le sentiment de gâchis et de désillusion tentent de créer une histoire amoureuse pour penser leurs plaies. Deux vies opposées qui se rejoignent dans la douleur. Mais le lecteur et les personnages savent très bien que cette relation est vouée à l'échec et qu'ils ne s'accordent qu'un sursis. Ils pourraient ne plus avoir d'espoir et pourtant ils s'évertuent à s'accorder une parenthèse hors de leurs vies défaites. J'ai trouvé cela magnifique. Cette relation est mise en parallèle avec leur jeunesse, ce qui apporte un regard nouveau, une dimension supplémentaire à ce que ressent le lecteur sur leur relation présente.

Je ferais une sorte de parallèle un peu étrange entre le propos de ce roman et une phrase d'Hannah Arendt sur la géopolitique. Elle dit qu'"une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites » (1). Elle dit également que les « crises générales » sont des moyens de se questionner, de se remettre en question et donc d'évoluer. Sur ces points, « Connemara » n'est pas en accord avec ce que dit Arendt. En effet, ces deux personnages sont tout deux en proie à une crise de la quarantaine carabinée mais n'évoluent pas pour autant. Au contraire, la relation qu'ils tentent de nouer pour parer à ces crises est vaine, promise à l'échec. La fin nous montre d'ailleurs que ces crises n'ont, en quelque sorte, servi à rien car chacun reprend finalement son existence qui ne lui convient pas, résigné. En attendant la prochaine crise, pourrait-t-on dire… Ces personnages ont également tenter de contrer malgré eux ces crises existentielles en allant à l'encontre des « idées toutes faites, des préjugés » dont parle Arendt. Au lieu de faire ce que certains feraient à leur place, ils tentent de trouver de l'espoir dans leur détresse et d'utiliser l'amour comme levier pour reprendre le dessus sur le désenchantement. Mais Nicolas Mathieu nous montre encore une fois, que tout cela est vain, que rien ne pourra contrer ces « crises ». Je ferais également un parallèle entre ce roman et le – magnifique – film « France », de Bruno Dumont (2). Léa Seydoux y incarne une femme que la vie assène de coups et de catastrophes. Mais Bruno Dumont apporte à cette « crise générale » une réponse opposée à celle de Mathieu, Léa Seydoux se servant de l'amour comme levier pour refaire surface dans l'adversité et sortir la tête de l'eau.

« Connemara », c'est aussi un grand roman sur l'âge, et sur le temps qui passe. Christophe est confronté à la fin de la jeunesse, bien qu'il veuille s'y accrocher, à l'apparition des responsabilités de la vie d'adulte : enfants, mariages, etc ; mis en parallèle avec son propre caractère adulescent et quelque peu immature. Aux marques de l'âge, au corps qui se détériore de manière exponentielle sans qu'on ai le temps d'en prendre conscience. Lorsqu'il constate qu'il met trois jours pour se remettre d'un match de hockey ou d'une soirée trop arrosée. Il y a aussi son père confronté à un Alzheimer dévastateur qui le conduit en institution…

C'est aussi un grand roman sur la désillusion et le monde du travail. On est en 2017. le monde de l'entreprise dont fait partie Hélène voit en Emmanuel Macron le candidat providentiel qui transformera la France en une société « ubersisée » arborant fièrement ses « auto-entrepreneurs ». Mais Hélène, même dans son travail ou pourtant elle excelle, est désabusée. Elle sait qu'elle n'obtiendra jamais la promotion promise par son patron alors qu'elle la mérite. Elle regarde de loin cet engouement pour ce monde rêvé d'une économie « moderne » qui marquera le « renouveau français » ; elle sait que ça ne mènera à rien. Elle regarde la petite stagiaire un peu rebelle avec qui elle aime discuter tout en sachant qu'elle finira comme les autres. Les descriptions du monde de l'entreprise et du consulting sont fascinantes et très documentées. Ces passages m'ont fait penser aux « Heures souterraines » de Delphine de Vigan (3), vive critique de ce monde de l'entreprise.

Désillusion, désillusion. Loin d'être un roman optimiste, "Connemara" montre comment la vie nous matraque de déconvenues et que tenter de riposter ne mène à rien. La fin en est l'illustration parfaite. Porté par une écriture magnifique qui emporte littéralement le lecteur, « Connemara » est un roman brillantissime qui entremêle et articule un très grand nombre de sujets (âge, temps qui passe, désillusion, monde du travail, etc) autour de deux personnages sans que cela ne parte dans tout les sens et en gardant une harmonie parfaite. Il dépeint ce basculement au creux d'une vie qui fait lui-même « basculer » le lecteur dans l'histoire et dans un flot ininterrompu d'émotions. Mention particulière pour la couverture qui, selon moi, représente parfaitement le livre. Très grand coups de coeur.
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(1) Cité dans « Penser la crise avec Hannah Arendt », chronique d'Adèle van Reeth sur France Culture le 30 mars 2020.
(2) « France », de Bruno Dumont. Avec Léa Seydoux, Blanche Gardin et Benjamin Biolay. Sorti le 25 août 2021 en France.
(3) « Les heures souterraines », de Delphine de Vigan, éditions J.-C. Lattès, 2009
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Nicolas Mathieu, c'était un peu le pote de jeunesse qui te rappelait tes années lycée dans Leurs enfants après eux. Tu te souviens la crâneuse ? Et celui qui mangeait ses crottes de nez en cours ? Et cette fête improbable pour le bac dans la grande maison du fils du médecin ? Et cet été où la mono de colo avait selon la légende couché avec tout le monde ? Et l'autre qui descendait la rue en se la pétant avec sa mobylette ?
Et les parents qui nous agaçaient. Trop vieux, trop tièdes, trop mous, trop méfiants. Englués dans leur petite vie médiocre. On y est là, non ? On retrouve bien ce coeur qui bat trop fort pour la belle voisine de cours de science dont on frôlerait bien la main à défaut de la jambe ou d'un début de poitrine. On retrouve le souffle court et cette impression d'étouffer dans la ville trop calme, trop province, trop épié par ses parents et leurs copains beauf du même acabit. Eh oui parce qu'à 15 ans on est bouffi d'illusions, d'ambition.
A 40 ans on est toujours bouffi. Cette fois-ci, c'est la bouffe trop riche, les nuits trop courtes et trop alcoolisées. Les désillusions pesantes que l'on traine comme on trainait avant un cartable trop lourd. Ces 40 ans, Nicolas Mathieu nous les raconte, en vieux pote qu'on retrouverait après quelques années d'absence.
Il finit les phrases que l'on commence, et prononce celles que l'on n'ose même pas dire à haute voix. Il dépeint cet âge où l'on fait la part des choses entre les vieilles illusions qui nous collent à la peau et nous grattent comme un vieux pull en laine feutré, et ce que l'on peut vraiment être en acceptant d'entrer enfin dans la réalité. de quitter ces limbes d'une adolescence qui s'étire, moribonde, et couvre l'instant d'un linceul d'irréalité.
A 40 ans on ne triche plus. On choisit. Sinon on s'aigrit, on se recroqueville sur un quant-à-soi stérile. A 40 ans on n'est plus seulement le fils ou la fille de. On est aussi le père ou la mère de. Et un peu aussi les parents de ses parents. Une bascule à vivre, à intégrer qui fait ressortir tant les blessures que les trésors de l'enfance.
Et puis il y a aussi le portrait savoureux des excès et aberrations de la conjonction entre les consultants et les collectivités. Accrochez-vous, ils prennent cher aussi. C'est à qui brasse de l'air en gagnant le plus d'argent, ou en en dépensant le moins, selon le côté de la barrière où l'on se situe. Et que je te balance du petit chef compliquant les process pour mieux régner sur un domaine obscur où son incompétence se perd dans les méandres poussiéreux de l'administration. Et que je te dépeins l'univers impitoyable des consultants qui débitent des anglicismes flanqués de graphiques et de concepts qui disent tout et rien, au tarif de 2000 € la journée. Et les forces s'équilibrent aux frais des contribuables qui payent les collectivités qui payent les consultants pour leur dire qu'ils font presque bien leur travail, mais sans trop les bousculer. Il ne faudrait quand même pas qu'ils se mettent à travailler ni qu'ils deviennent réellement efficaces…

Voilà ce que Nicolas Mathieu vous présente, vous narre dans ce très bon roman. Qui n'a pas le charme de la première fois de Leurs Enfants après eux, mais qui vaut le détour, pour en apprécier le regard acéré et la plume vraie et fluide.

Alors, faut-il le lire ? Oui !!! Seul effet indésirable notable : vous risquez d'avoir très souvent les Lacs du Connemara dans la tête, où on n'accepte pas la paix des gallois ni celle des rois d'Angleterre…
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Adolescente, Hélène⁩ vit dans une petite ville près d'Épinal. Elle n'a qu'un rêve, réussir brillamment ses études, faire une belle carrière, et vivre dans une belle maison. C'est ce qu'elle croit avoir réussi mais à 40 ans, elle a comme un goût d'inachevé.
Christophe, lui est resté dans la petite ville de son enfance où à 16 ans, il a brillé comme joueur de hockey sur glace. Beau gosse, tout lui souriait. Aujourd'hui, il est commercial en nourriture pour animaux. Séparé, il vit toujours chez son père avec son fils Gabriel. Il croit encore que tout est possible.
Ces deux là, se croisaient au lycée sans vraiment se parler et, à quarante ans, leurs routes vont se croiser de nouveau.
Ce roman m'a plongé dans mes années d'ado, les rires, les pleurs et les rêves.
Chronique de nos vies, ce roman est d'un réalisme incroyable.
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