L’amour est anormal, si l'on entend par là une dérogation à l'ordre naturel. Le thème fourni par la nature est en effet d’une absolue simplicité. Elle souhaite la continuation animale par reproduction. Elle dote les êtres de deux organes destinés à l’assurer par conjonction, soit à des époques fixes correspondant aux saisons et aux influences climatériques, soit constamment. Elle a associé à l’acte de la conjonction un plaisir très vif auquel participe tout le système sensoriel, afin d’engager les êtres à se rechercher.
Là où nous croyons pouvoir qualifier « amour » notre état psychique à la vue d'un être, il n'y a pas seulement préférence organique, c'est-à-dire l'obscure prescience d'une copulation génératrice de produits sains et beaux. A cette préférence à cette prescience, nous ne songeons pas : nous ne nous en tenons qu'a supputer l'intensité du plaisir, sans souci de servir aux fins de la nature. Notre déviation intellectuelle est si grande que si, devant une femme aimée, notre première pensée était : « Je la veux parce qu'elle fera un bel enfant », nous nous trouverions aussi grossiers que l'étalon ou le taureau : et nous ne nous avouons même notre vœu de l'étreinte qu'avec des restrictions sentimentales et des enjolivements.