« Il doit y avoir quelque chose, dans la nature de l'amour entre un homme et une femme, qui les pousse au tourment, au soupçon. » (p. 320)
Le jeune Philip Ashley coule des jours paisibles dans le domaine de son cousin, en Cornouailles. Mais ce dernier, âgé d'une vingtaine d'années de plus que lui et qui l'a élevé, part régulièrement en voyage. C'est en Italie qu'Ambroise, célibataire endurci, fait la connaissance de Rachel, une parente éloignée et succombe à ses charmes, sans savoir qu'elle va bouleverser leur vie à tous deux…
Très vite, le mariage tourne au cauchemar ; Ambroise confie dans ses lettres qu'il pense être victime d'un empoisonnement. Philip décide alors de le rejoindre, mais il est trop tard. Bien décidé à venger son cousin, il accueille bientôt Rachel au domaine…
En voilà une lecture envoûtante ! le premier chapitre installe le lecteur dans une atmosphère angoissante : le spectacle d'un pendu à la croisée des Quatre Chemins, occasion pour le narrateur de s'interroger sur la notion de culpabilité. le personnage de Rachel, introduit par cette anecdote, est d'emblée placé sous le signe de l'ambiguïté : innocente ou coupable, ange ou démon ? Sincérité ou duplicité ? Prévenu, le lecteur est alors prêt à aborder le récit rétrospectif des douze mois écoulés qui ont changé sans espoir de retour le destin de Philip Ashley.
Comme dans
Rebecca, c'est une figure féminine qui est au coeur du roman. Figure tantôt adulée, tantôt haïe. Ici, Rachel est enveloppée d'une aura de mystère dès le début. D'abord fantasmée par Philip qui lui prête mille visages, monstre, empoisonneuse, elle est aussi encensée par les autres (domestiques, voisins) qui louent son dévouement, sa loyauté et son désintéressement ; et surtout, elle ne fait son apparition qu'au bout d'une centaine de pages, au chapitre 8, laissant aussi au lecteur le temps de se forger sa propre Rachel imaginaire. « Elle avait tant de visages, tant de personnalités diverses sous ce nom de comtessa dont Giuseppe et Rainaldi la désignaient de préférence à Mrs. Ashley, qu'elle en était environnée d'une espèce de nimbe, bien étrangère à la première idée que je m'étais faite d'elle [...] »
Les chapitres s'écoulent lentement, tout comme la vie de Philip au domaine. Mais chacun apporte une pierre à l'édifice et un élément au crédit ou à la culpabilité de Rachel. On peut bien sûr d'agacer de la candeur du jeune homme et de son impulsivité. Mais même si
Daphné du Maurier sème le doute avec habileté, on a nous aussi envie de se laisser bercer par la personnalité séduisante de Rachel… Un suspense psychologique haletant...
Le cadre a tout pour renforcer ce presque huis-clos : un domaine un peu désuet comme je les aime, une maison ancienne sur une côte déchiquetée, comme le Menabilly de Daphné du Maurier. Un lieu propice aux tempêtes et aux tourments, au sens propre et au sens métaphorique.